Toit, Dignité, Intégration : trois objectifs indissociables

Le Regroupement des organismes du Montréal ethnique pour le logement (ROMEL) fait état des difficultés d’accès au logement pour les nouveaux arrivant.e.s. Or, l’accès à un logement décent et abordable constitue un facteur important d’intégration sociale et professionnelle pour ces populations.

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Zahia El-Masri, chargée de formation et de communication
Regroupement des organismes du Montréal ethnique pour le logement (ROMEL)

 

Nous vivons de plus en plus dans une société multiculturelle. Au Québec, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 a dénombré 974 895 personnes immigrées, soit 12,6 % de la population totale du Québec. C’est la proportion la plus forte jamais constatée dans l’histoire de la province.[1] Il est donc impératif que les nouveaux arrivant-e-s soient au courant des enjeux qui touchent la réalité du logement et du marché locatif, afin d’éviter des situations de discrimination et de préjugés culturels qui excluent ces membres clés de la société.

Le Regroupement des organismes du Montréal ethnique pour le logement (ROMEL) est très sensible à la réalité des nouveaux arrivant-e-s et aux difficultés qu’elles et ils rencontrent pour avoir accès à un logement décent et abordable. Dans le cadre de nos interventions et activités, nous avons été amenés à constater les difficultés croissantes qu’éprouvent les personnes démunies, particulièrement les nouveaux arrivant-e-s, à louer un logement décent et abordable.

Accès au logement pour les nouveaux arrivant-e-s : un processus pavé d’obstacles

L’accès à un logement abordable et décent est déjà un tour de force pour la population en général. Pour la population issue de l’immigration, plusieurs facteurs rendent ce processus encore plus difficile et cette population encore plus vulnérable.

Dès leur arrivée, les nouveaux arrivant-e-s font souvent face à de nombreux défis dont le racisme, la discrimination cachée, les revenus limités, l’emploi précaire, la non-reconnaissance des diplômes, le nouveau système scolaire, la nouvelle dynamique familiale, la méconnaissance du marché locatif, etc.

L’accumulation de ces obstacles vient alourdir le processus d’intégration et fragilise la personne immigrante. Elle devient ainsi davantage à risque d’isolement et de marginalisation, confinée à un réseau social limité, pour ne pas dire inexistant. À l’occasion d’une perte d’emploi, d’un divorce ou d’autres situations de crise, la personne se retrouve dépourvue, ne connaissant pas les ressources disponibles pour lui venir en aide, ni de personne, d’organisation ou de lieu vers lequel se tourner. Un tel contexte pousse la personne à louer un logement insalubre et la rend encore plus vulnérable aux abus des propriétaires, gestionnaires ou concierges de l’immeuble de résidence.

À ces difficultés s’ajoute la discrimination dont font l’objet les nouveaux arrivant-e-s lors de la recherche d’un logement. Cette discrimination peut être fondée sur de nombreuses caractéristiques de la personne qui fait la demande de location, notamment la taille de sa famille, sa « race », son statut d’immigrant-e, sa langue et son appartenance religieuse[2].

Quand il s’agit d’immigration, les gens ont généralement tendance à se méfier de ce qu’ils ne connaissent pas. Souvent, des propriétaires ne se rendent pas compte que leur comportement face aux nouveaux arrivant-e-s constitue de la discrimination. De leur point de vue, ils visent à protéger la rentabilité de leur investissement en recherchant des locataires potentiels bardés de références. Or la personne nouvelle arrivante n’a pas ces références et n’a pas encore développé une bonne cote de crédit. Le propriétaire moyen compose mal avec cette insécurité apparente.

Quant à la personne nouvellement arrivée, son souci premier est de bien s’installer afin d’entreprendre sa nouvelle vie. Loin d’elle l’idée de faire valoir des droits qu’elle connaît mal ou de causer des remous qui pourraient porter ombrage à son dossier d’immigration. Même devant une situation d’injustice, elle sera peu encline à poursuivre un-e propriétaire ou à s’inscrire dans quelque litige ou revendication.

À leur tour, les problèmes de logement nuisent à l’intégration des personnes immigrantes. L’histoire de chaque personne nouvellement arrivée commence par la décision de quitter sa terre natale, de tout laisser et de commencer une nouvelle vie ailleurs. Faire face à un-e propriétaire négligent et affairiste ne fait certainement pas partie de l’image idéale de cette nouvelle vie choisie par l’immigrant-e. Le rêve de vivre dans de meilleures conditions, avec un avenir rempli d’espoir, s’effondre devant cette réalité plus sombre. Cette difficulté constitue un frein à l’adaptation et à l’intégration des immigrant-e-s à la société d’accueil. Les cinq premières années sont les plus importantes dans le processus d’intégration d’une personne nouvelle arrivant-e. Imaginons alors la situation d’un-e immigrant-e, quand son premier contact avec la société d’accueil est un-e propriétaire abusif et un logement insalubre. L’intégration cède alors la place à l’exclusion sociale. Au contraire, l’accès à un logement décent et abordable constitue incontestablement un facteur d’intégration pour les populations immigrantes[3].

La nécessité de soutenir les locataires dans la connaissance et la défense de leurs droits

L’accès à la connaissance des droits des locataires a une importance majeure. Pourtant, dans l’échelle des démarches d’installation des nouveaux arrivant-e-s, cette préoccupation se situe bien bas. Ce devrait être l’inverse. Un-e locataire averti, conscient de ses droits autant que de ses responsabilités, est en mesure de mieux contrôler sa situation et peut prendre des décisions éclairées et agir en conséquence. D’où la pertinence d’offrir aux nouveaux arrivant-e-s les outils adéquats. Ainsi, des projets mis en place par le ROMEL, tels que le projet Harmonie, visent à créer un espace de dialogue entre locataires et propriétaires, à expliquer les droits de chacun-e et les devoirs de l’un-e vis-à-vis de l’autre et à combattre les comportements discriminatoires.

Par ailleurs, les politiques d’immigration devront prévoir un accès plus facile aux recours contre les cas de discrimination en amont de l’accueil des nouveaux arrivant-e-s, à la portée des personnes les plus touchées. Toute personne nouvelle arrivant-e devrait disposer des meilleurs outils pour faire valoir ses droits à son arrivée, avant qu’un bail ne soit signé.

L’importance du logement social pour les nouveaux arrivant-e-s

Sacha était professionnelle dans son pays d’origine. Elle a été reçue au Québec en tant que réfugiée humanitaire. Son premier logement lui faisait revivre les mêmes inquiétudes et peurs que celles qu’elle a quittées. Elle craignait de sortir de son appartement le soir à cause du commerce de drogue et de la prostitution autour de son immeuble. Devant un propriétaire abusif et un logement délabré et infesté de vermine, Sacha s’est isolée et a plongé dans la dépression. Son environnement et son logement avaient totalement miné son quotidien, mais la crainte de se retrouver à la rue la hantait constamment. Heureusement, un nouveau projet de logement social auquel elle s’était jointe a vu le jour, et elle a été admise comme locataire.

Sur cette base plus stable et solide, elle a pu entreprendre sa nouvelle vie dans la société d’accueil. Aujourd’hui, elle est membre du conseil d’administration de l’organisme propriétaire. Elle s’implique activement dans sa communauté et elle soutient des personnes dans leurs démarches d’intégration.

 

Le cas de Sacha représente la réalité de beaucoup de nouveaux arrivant-e-s pour qui, désormais, l’écart est bien mince entre l’hébergement et la rue. Le logement social et communautaire représente une solution qui répond à leurs besoins criants.

Pour ce faire, il faut bonifier le programme Accès-Logis et le rendre permanent. Les expériences sur le terrain nous le démontrent, la stratégie d’inclusion est un bon levier pour réduire l’exclusion sociale et augmenter l’appartenance à un quartier et à une communauté.

Toit, dignité, intégration. Chaque action posée par le ROMEL repose sur l’application de ces trois principes indissociables.

Le ROMEL fait la promotion active de l’appartenance à un quartier, à une ville, à un pays. Intéresser les nouveaux arrivant-e-s à la vie collective constitue le meilleur raccourci vers l’intégration sociale et professionnelle. L’accès à un logement abordable est une condition incontournable de cette intégration. Or, pour les personnes racisées, vulnérables et marginalisés de notre société, ce droit fondamental est loin d’être acquis. Tant et aussi longtemps que l’accès à un logement décent et abordable n’est pas traité comme une priorité dans les politiques gouvernementales, et abordé comme besoin essentiel, cette injustice sociale persistera.

 

[1] http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/FICHE_syn_an2014.pdf

[2] https://www.cmhc-schl.gc.ca/odpub/pdf/65683.pdf?fr=1519740374001

[3] Frenette, Y. (1992). Le logement et les communautés culturelles. Analyse de la situation. Montréal, Conseil des communautés culturelles et de l’immigration

 

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