Vieillir et vivre seule : une réalité féminine méconnue

L’expérience de la solitude chez les femmes aînées est loin de correspondre aux stéréotypes dominant notre paysage visuel. En s’appuyant sur une étude à laquelle elle contribua, l’auteure s’attarde aux réalités complexes, multiples et diversifiées des femmes aînées.

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Karine Prud’homme, travailleuse sociale et chargée de cours
École de travail social, UQAM
Membre de la Chaire de recherche sur le vieillissement et la diversité citoyenne

Les représentations du vieillissement véhiculées par les médias ne permettent pas d’accéder à la pluralité des expériences individuelles. L’alternance entre l’image de la pauvre femme âgée vivant seule et celle du couple actif et aisé s’inscrivant dans une société de loisirs, domine encore notre paysage visuel. Dans le cadre d’une étude conduite par la Chaire de recherche sur le vieillissement et la diversité citoyenne, nous avons exploré différentes expériences du vieillir et vivre seule chez des femmes âgées[1]. Les différentes réalités vécues par ces femmes tendent à s’éloigner des stéréotypes véhiculés sur les aîné-e-s.

Les femmes aînées vivent de plus en plus seules

Au Québec comme ailleurs, le phénomène du vivre seul chez les femmes aînées est en croissance. À la suite d’un divorce, du décès du conjoint ou par choix, le mode d’habitat en solo est vécu par 37,7 % des femmes de 65 ans et plus et par 56,3 % des femmes de 85 ans et plus. Lorsqu’on les questionne à ce sujet, elles disent apprécier ce mode de vie pour la liberté et l’autonomie décisionnelle qu’il leur procure. Leur quotidien social est composé de la famille, avec ou sans enfant, de la fratrie, mais aussi d’amies et de voisines. Elles semblent accorder tout autant d’importance à ces relations extranucléaires, conscientes que les enfants sont occupés, ont leur vie. Sortir entre amies, avoir des loisirs, faire du bénévolat, se raconter entre elles sont des plaisirs recherchés et satisfaits régulièrement, lorsque les pertes et les deuils ne sont pas omniprésents dans leur entourage.

Pour celles qui vivent avec des contraintes physiques, leur inquiétude ne porte pas tellement sur la sempiternelle question de l’accès aux services de santé; elle se situe davantage autour des déplacements et de leur capacité à fonctionner au quotidien sans aide. La mobilité est au centre de leurs préoccupations; celles qui la possèdent la chérissent, les autres vivent un deuil et tentent de la compenser par différents moyens. Cet enjeu de mobilité s’exprime également par leur besoin de transport. Renoncer à conduire la voiture, devoir dépendre des autres pour se déplacer ou accéder au transport adapté (si difficilement accessible) les restreignent dans leur autonomie, surtout si leur capacité financière est limitée.

Discrètes sur les questions d’argent, elles en parlent peu, se disent satisfaites, quel que soit leur revenu. Dans leurs silences s’exprime ce manque qui vient contaminer leur capacité à se projeter dans la prochaine étape : la transition vers le dernier âge et ses besoins d’assistance. Certaines ne peuvent envisager la suite, craintives de ne pas avoir les ressources pour financer l’hébergement ou les services à domicile.

La quiétude des vieux jours est donc très variable entre celles qui peuvent compter sur les fonds nécessaires et celles qui ne peuvent imaginer ce que sera la suite. Que des enfants soient présents et aidants ou non, elles tiennent à ne compter que sur elle-même et sur leur capacité à subvenir à leurs besoins. Cette fierté les empêche de quémander et les amène à déployer toutes sortes de stratégies pour faire seule, s’arranger, même si cela rime parfois avec se restreindre et s’isoler. Il importe de nommer cette solitude plus présente chez celles qui vivent à la fois un isolement social, une précarité économique et des problématiques de santé. Toutes ne sont pas égales en ressources et en capacités face à ce sentiment et une portion d’entre elles est souffrante.

Les femmes âgées vivent donc des réalités complexes, multiples et diversifiées où s’imbriquent différents facteurs tels que leur état de santé, leur âge, leurs liens sociaux et leur situation économique, qui créent pour chacune d’elles un environnement unique, conditionné par leur histoire de vie, leurs ressources et leur capacité à faire beaucoup avec parfois très peu[2].

Témoignages

J’aime ça faire mes affaires quand je veux, comme je veux, à l’heure que je veux. Si je n’ai pas envie de dîner, je ne dînerai pas, puis il n’y a personne qui va me chicaner, ça fait que…

—Lucette

J’ai étudié pendant un an. J’ai repris toute la vie que je n’ai pas pu dans ma vie, je l’ai toute vécue. Je la vis en ce moment. C’est pour ça que la vie pour moi, c’est 18 ans dans ma tête, mais pas mon corps. (rires).

— Odette

J’accroche mon chapeau, puis c’est là qu’il faut que je reste. That’s it. Fait que, tu es heureuse dans ce temps-là… Ça ne me pèse pas. J’ai toujours de quoi à m’occuper. À part de ça, que ça te pèse, que ça ne te pèse pas, moi je dis « C’est comme ça, c’est comme ça ».

– Georgette

 

 

[1] M., CHARPENTIER, M., SOULIÈRES, M. et L., KIROUAC, Vieillir et vivre seul.e. Comprendre la diversité des expériences pour mieux intervenir, Rapport de recherche soumis au Ministère de la famille et des Aînés, 2019, 109 p.

[2] Karine PRUD’HOMME, Seules ensemble : exploration des liens sociaux de femmes du grand âge habitant seules, Mémoire de maîtrise, UQAM, 2018, 164 p.

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