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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Karine-Myrgianie Jean-François,
directrice des opérations et des projets chez Réseau d’action des femmes handicapées du Canada/DisAbled Women’s Network of Canada (DAWN)
Propos recueillis par Catherine Descoteaux,
coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
La notion de handicap est souvent associée dans l’imaginaire collectif à un aspect physique comme la mobilité réduite ou une différence de vision ou d’audition. Il s’évalue pourtant comme un vaste spectre partant de la différence physique visible, par exemple le déplacement en fauteuil roulant, au trouble invisible comme l’autisme, la santé mentale, les douleurs chroniques et les sensibilités environnementales.
Dans le champ d’études sur le handicap, deux angles d’approche pour définir le handicap dominent : l’angle social et l’angle médical. Pour DAWN, le handicap doit être approché selon le premier angle : il ne correspond pas en soi à une caractéristique inhérente à la personne qui le possède, mais plutôt à la façon dont la société handicape cette personne en ne lui permettant pas d’y participer de manière pleine et entière. Cette approche implique de valoriser l’autodiagnostic, afin de reconnaitre que l’obtention d’un diagnostic médical peut être longue ou plus ardue pour certains groupes sociaux que d’autres. Par exemple, une femme pourrait être diagnostiquée comme ayant un trouble de personnalité limite, alors qu’un homme présentant les mêmes symptômes se ferait diagnostiquer comme étant sur le spectre
de l’autisme. L’obtention d’un diagnostic médical ouvrant la porte aux programmes de soutien, le fait que certains groupes sociaux aient de la difficulté à obtenir un diagnostic s’ajoute à la montagne d’embûches auxquelles font face les personnes en situation de handicap.
Le capacitisme : un système d’oppression qui ne vient généralement pas seul
Se trouver en situation de handicap, c’est se heurter à des murs pour faire valoir ses droits. Outre le capacitisme, qui correspond à la discrimination systémique ou personnelle basée sur le handicap, les personnes en situation de handicap font souvent face à d’autres systèmes d’oppression comme le racisme, le colonialisme, l’homophobie, le classisme, le sexisme ou la transphobie.
On ne peut pas parler de capacitisme sans parler de l’importance qu’y jouent les classes sociales. Effectivement, les personnes en situation de handicap se retrouvent souvent en précarité financière. Par exemple, la plupart des femmes en situation d’itinérance dans la région de Toronto présentent un handicap, souvent un traumatisme crânien lié à la violence conjugale ou à d’autres violences familiales. Or, ces mêmes femmes sont souvent expulsées des maisons d’hébergement en raison de leur difficulté à s’adapter aux règles du milieu de vie, alors qu’elles ont simplement une difficulté à manoeuvrer avec ce traumatisme.
Les femmes, et en particulier les jeunes filles, sont particulièrement visées par le capacitisme. Le handicap est lié à un isolement, peu importe l’âge de la personne. Cet isolement est cependant encore plus marqué lorsque la personne est mineure, car elle est alors plus dépendante de ses parents. Ces derniers, généralement bien intentionnés, exercent un important contrôle sur sa vie. Ainsi, les jeunes filles sont particulièrement à risque de subir de la discrimination liée à leur handicap.
Les jeunes filles en situation de handicap et le consentement aux soins
Le contrôle parental s’exprime de diverses manières, mais particulièrement en ce qui a trait au consentement aux soins. Alors que le droit permet aux personnes mineures de plus de 14 ans de refuser des soins non requis par leur état de santé, le système médical assume de manière générale que les parents savent ce qui est le mieux pour leur enfant. Cela se traduit par exemple par l’altération du développement physique de l’enfant avec des bloqueurs d’hormones pour s’assurer qu’une fois devenue adulte, elle demeure facile à manoeuvrer. Les jeunes filles subissent également des interventions de stérilisation forcée de manière plus fréquente que les jeunes garçons. À la demande des parents, elles sont souvent obligées de porter des timbres contraceptifs qui peuvent entrainer une infertilité permanente, et ce, malgré qu’elles n’en connaissent pas elles-mêmes les conséquences.
Les personnes en situation de handicap peuvent être des personnes non verbales, ce qui fait en sorte que leurs opinions ne sont généralement pas prises en compte lorsque vient le temps de prendre une décision médicale à leur sujet. Pourtant, elles demeurent tout de même capables de communiquer leurs besoins lorsqu’on leur fournit des outils appropriés. Ces jeunes filles gagneraient à ce que le système médical reconnaisse davantage leur capacité à agir en leur propre nom.
Les femmes en situation de handicap et l’agentivité sexuelle
Dans les dernières années, plusieurs études ont démontré que les jeunes filles nées avec un handicap sont aussi plus à risque d’avoir subi des violences sexuelles de la part de proches parents que celles sans handicap. Au sein de ce groupe, les femmes vivant avec une déficience intellectuelle sont elles-mêmes beaucoup plus à risque d’en avoir vécu que les autres femmes en situation de handicap, car elles sont considérées comme des proies faciles.
Leur prise de parole est souvent remise en question sous prétexte qu’elles ne seraient pas en mesure de comprendre ce qu’est une agression sexuelle. Pourtant, la Cour suprême a déterminé qu’elles sont bel et bien capables de nommer les violences sexuelles qu’elles vivent : il n’y a pas lieu de se questionner sur leur compréhension de l’événement tant qu’elles sont capables de le relater de manière crédible.
De plus, les cours d’éducation sexuelle offerts partout au Québec ne sont souvent pas offerts aux jeunes personnes en situation de handicap parce que leurs écoles considèrent qu’il n’est pas important de leur fournir cette éducation. On se retrouve donc dans une situation où le désir sexuel des jeunes filles en situation de handicap est minimisé, voire complètement écarté.
En conclusion
Le capacitisme, ça isole. Il est difficile pour les personnes en situation de handicap de réaliser que ce qu’elles vivent n’arrive pas seulement qu’à elles. Cet isolement rend la mobilisation et la diffusion de la lutte beaucoup plus difficile. Des organismes comme DAWN aident à mettre en lumière ces réalités et ces violences.