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Droits et libertés, printemps / été 2024
L’enfermement en centre jeunesse
Ursy Ledrich, membre du Collectif Ex-Placé DPJ
Lorsqu’un jeune est placé pour sa protection dans une famille d’accueil ou en foyer de groupe et qu’il se met à déconner, très vite, il peut être amené en centre jeunesse. Ces lieux d’enfermement sont vécus comme des prisons pour nous puisque la manière de fonctionner de ces endroits ressemble beaucoup aux prisons pour adultes, par son architecture et ses pratiques. Pour nous, le fait d’enfermer quelqu’un, de l’isoler et de réduire sa capacité de bouger, c’est comme se faire amputer d’un pied ou d’une main. Nous disons cela parce que d’après nous, être enfermé, ça fait mal, ça laisse des traces et des conséquences. Il est clair aussi pour nous que la prison n’est pas une solution, surtout pour de jeunes mineurs.
Dans son livre sur les traumas complexes, la docteure Delphine Collin-Vézina affirme que les traumas complexes surviennent lorsqu’un enfant subit, à des périodes vulnérables de son développement, des expériences interpersonnelles qui impliquent souvent la trahison ainsi qu’un tort direct au moyen de différentes formes d’abus, de négligence ou d’abandon et qui se répètent dans le temps. Cela engendre de la méfiance envers les individus qui sont censés assurer sécurité et protection. Par exemple, une institution, telle que le centre jeunesse, peut être la cause d’un trauma complexe. Lorsqu’un jeune subit de l’enfermement de la part de l’institution qui est censée le protéger, il ressent un sentiment d’injustice et de trahison, favorable au traumatisme institutionnel et au développement du sentiment d’impuissance ou de résignation acquise.
Le fait de vivre dans un corps nécessite d’apprendre son fonctionnement et ses limites. Vous n’êtes pas sans savoir qu’être enfermé entrave et perturbe le développement et le fonctionnement dit normal. C’est comme si un écart s’installe entre l’esprit, le corps, et l’âme qui sont affectés par ces expériences carcérales.
« Je crois que lorsqu’on enferme un jeune pour avoir pris une mauvaise décision, on le prive de vivre ses émotions pleinement. On choisit d’enfermer les enfants avec leurs émotions, au lieu de chercher à comprendre pourquoi le jeune vit ces émotions. »
Témoignage de Yami
Nous sommes conscients que la recon- naissance du vécu passe par la prise de parole et l’expression libre des person- nes concernées. Voilà pourquoi nous partageons le témoignage de Yami, cofondateur et membre du Collectif.
« J’ai connu la prison et l’enfermement dans différents contextes et milieux. Ma première expérience d’enfermement a débuté avec la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) à l’âge de 12-13 ans quand j’ai été placé dans les centres jeunesse.
« Chaque fois que tu te fais mettre en chambre d’isolement ou en prison, tu restes avec des séquelles de ce passage en isolement ou en prison. Tu peux aussi à la longue développer des symptômes de claustrophobie, surtout si tu passes plusieurs jours enfermés.
« Selon moi, la prison pour les jeunes ou les adultes, c’est pratiquement similaire. Je suis passé par les deux et d’après mon expérience, il n’y a pas vraiment de différence entre les deux. »
Témoignage d’Esteban
« Je me souviens lorsque j’étais placé au centre jeunesse, on m’avait mis dans une cellule d’isolement parce que j’avais mangé un biscuit au mauvais moment. Je crois que lorsqu’on enferme un jeune pour avoir pris une mauvaise décision, on le prive de vivre ses émotions pleinement. On choisit d’enfermer les enfants avec leurs émotions, au lieu de chercher à comprendre pourquoi le jeune vit ces émotions. Ça manque de chaleur !
« L’enfermement force mentalement à ne plus faire confiance aux gens qui t’entourent, encore moins au système mis en place pour te protéger. D’ailleurs, te protéger contre quoi ?
« Lorsque l’on sort des centres jeunesse, nous sommes traumatisés et nous vivons constamment dans la peur et la méfiance. Est-ce qu’on cherche à nous protéger du manque d’amour que nos géniteurs n’ont pas su donner correctement ? Ou c’est simplement parce que nous n’avons pas eu de parents ?
« Que signifie l’intérêt supérieur d’un enfant lorsqu’on l’oblige à vivre en centre jeunesse afin de le protéger de ses parents, mais qu’on lui fait vivre des violences institutionnelles ?
« On enferme des enfants dans des conditions de vie qu’on peut qualifier de négligences institutionnelles et d’abus de pouvoir. Entre nous les jeunes, on appelait cela la prison pour enfant. À la moindre occasion, nous étions menacés qu’un agent de sécurité soit appelé pour nous amener dans la cellule d’isolement. Entre nous les jeunes, on appelait ça le trou. À de nombreuses reprises, j’ai été envoyé au trou.
« J’ai déjà vu des jeunes ensanglantés là-bas, malmenés par les agents de sécurité. Nos plaintes n’aboutissent jamais puisque c’est la protection de la jeunesse qui enquête sur la protection de la jeunesse. C’est comme lorsque la police enquête sur la police. Tout ce que nous faisions là-bas, c’était de perdre notre temps et notre énergie à nous battre contre les murs. J’ai souvent frappé ces murs de béton, jusqu’à m’en écorcher les jointures.
« Je me sentais comme un animal dans une cage, à faire et refaire des réflexions jusqu’à ce que les intervenants soient satisfaits de mes réponses. Cela pouvait durer jusqu’à une semaine. Une semaine de torture mentale à essayer de flatter l’intervenant dans le sens du poil afin de pouvoir rejoindre mon unité pour vivre un semblant de socialisation, tout en étant surveillé en permanence.
« J’en fais encore des cauchemars aujourd’hui à cause du froid et du vide que je ressentais à chaque fois que je rentrais dans une salle d’isolement. J’en pleurais de tout mon corps chaque fois que j’y étais envoyé. »
Pour en savoir davantage
Consulter l’article de Nicolas Sallée, Discipline et droits dans les unités d’enfermement pour jeunes contrevenants publié dans Droits et libertés, 2021.