Nos luttes garantissent nos droits

Au fil du temps, ce sont les mobilisations des mouvements sociaux qui ont permis des avancées pour les droits humains. Pour faire valoir le droit à l’égalité, l’ajout de motifs contre la discrimination dans la Charte des droits et libertés de la personne est un bon exemple de luttes victorieuses.

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Droits et libertés, printemps / été 2025

Nos luttes garantissent nos droits

Diane Lamoureux, professeure émérite, Université Laval, membre du comité de rédaction et membre du CA de la Ligue des droits et libertés

À la Ligue des droits et libertés (LDL), nous le répétons depuis des années, les droits humains ne sont pas que des éléments codifiés dans des chartes, mais plutôt la sédimentation des luttes sociales du passé et des ancrages pour les luttes à venir afin de généraliser la liberté, l’égalité et la solidarité dans des sociétés, y compris celles qui se qualifient de démocratiques. Car celles-ci tentent soient de les mettre au rancart, soit de privilégier l’un ou l’autre de ces principes au détriment des autres. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui traite des discriminations.

Dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH)[1], adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948, l’article 2 énonçait que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Au sortir d’un génocide, la Shoah, et dans un contexte de mouvements de décolonisation en Afrique et en Asie, un tel énoncé recelait une puissance symbolique importante.

On en retrouve des traces dans la version originelle de la Charte québécoise. Celle-ci énonçait que : « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale »[2] et elle précisait que : « Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit ».

[L’Association des droits des gai(e)s du Québec] allait mobiliser les communautés homosexuelles et entreprendre une action de pression auprès des pouvoirs publics pour inclure l’orientation sexuelle dans la Charte.

Cet énoncé ne faisait pas que s’inspirer de la DUDH, mais faisait suite à des luttes menées précédemment par des militantes et des militants des droits humains actifs depuis l’entre-deux-guerres contre le racisme et l’antisémitisme, en faveur des droits des femmes, contre la censure, etc.

Cet article a, depuis, été enrichi explicitement d’autres motifs sur la base desquels il est interdit de discriminer : l’orientation sexuelle, le handicap, la grossesse, l’âge et l’identité ou l’expression de genre. Ces ajouts ne relèvent pas de l’évolution naturelle de notre société, mais plutôt des mobilisations qu’ont menées les organisations LGTBQ+, les mouvements de personnes vivant avec un handicap ou les syndicats ou les groupes féministes.

La première modification, pour ajouter l’orientation sexuelle à la liste des motifs illicites de discrimination, résulte des luttes menées par les organisations homosexuelles contre les descentes policières dans les bars gais, mais aussi d’une volonté politique du parti nouvellement arrivé au pouvoir, le Parti québécois. En effet, dans les débats entourant l’adoption de la Charte en 1975, ce parti avait présenté un amendement (battu) pour inclure l’orientation sexuelle et l’avait inscrit à son programme pour les élections de 1976.

Même si le Code criminel avait été modifié en 1969 pour décriminaliser les actes homosexuels en privé et entre adultes consentants, les lieux de rassemblement publics des personnes homosexuelles comme les bars et les saunas continuaient à faire l’objet de descentes policières sous prétexte d’être des maisons de débauche. Ces descentes policières se sont accentuées à l’approche des Jeux olympiques de Montréal en 1976 donnant lieu à la formation du Comité homosexuel anti-répression puis sa transformation en Association des droits des gai(e)s du Québec. Cette dernière association allait mobiliser les communautés homosexuelles et entreprendre une action de pression auprès des pouvoirs publics pour inclure l’orientation sexuelle dans la Charte. Une descente policière particulièrement musclée au bar Le Truxx en octobre 1977 lui permet de mobiliser dans la communauté en plus de recueillir des appuis au sein de la Commission des droits de la personne, du Conseil du statut de la femme, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), de la LDL et du Barreau du Québec.

En 2016, pour tenir compte de la situation des personnes trans et non-binaires, l’article 10 de la Charte a été à nouveau modifié pour inclure l’identité ou l’expression de genre. Cela faisait suite à des mobilisations antérieures concernant le mariage et l’homoparentalité.

C’est un travail de mobilisation et de pression similaire qui allait permettre d’inclure le handicap et les moyens pour y pallier l’année suivante. Alors que les personnes vivant avec un handicap ont longtemps été perçues comme des personnes à protéger, elles commencent à s’organiser, entre autres dans le Comité de liaison des handicapés physiques (CLHP) fédérant plus de 100 organismes. Elles insistent sur le fait qu’au lieu de s’orienter vers une législation spécifique il faut plutôt viser l’intégration sociale des personnes vivant avec un handicap.

Pour ce faire, elles revendiquent que le handicap soit inscrit à la Charte comme motif illicite de discrimination. Soulignons que cela fait suite à un long processus d’auto-organisation de personnes vivant avec un handicap et à une réflexion importante sur le fait que le handicap ne doit ni définir entièrement une personne, ni lui interdire de vivre dans la dignité. C’est ce qui a permis ensuite de développer toute une série de politiques (encore insuffisantes) pour permettre l’accessibilité et l’adaptation en emploi, dans le logement, dans le transport ou dans les lieux publics.

Quant à la grossesse, mentionnée explicitement dans la Charte à partir de 1982, elle constituait souvent un motif de congédiement pour les femmes. Ce sont essentiellement les groupes de femmes et les comités de condition des femmes dans les syndicats qui ont conduit les mobilisations pour que cesse cette forme de discrimination à l’encontre des femmes.

À l’heure où non seulement nous célébrons les 50 ans de la Charte québécoise mais que nous cherchons également à la bonifier, ces exemples de mobilisations montrent bien que celle-ci peut servir d’ancrage pour des mobilisations futures. Car, si les droits ne s’appliquent pas à toutes et tous, ce ne sont plus des droits, mais des privilèges, pour paraphraser Condorcet. L’égale dignité des personnes exige que nous soyons à même d’identifier les discriminations qui perdurent et d’y pallier dans la Charte, mais aussi dans nos lois, règlements et politiques publiques.


[1] En ligne : https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/

[2] Charte des droits et libertés de la personne (LQ 1975, c. 6).