Montréal, le 23 septembre 2025
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23 février 2024
8 décembre 2023
Le très honorable Mark Carney, C.P., député
Premier Ministre du Canada
Cabinet du premier ministre
80, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A2
mark.carney@parl.gc.ca
L’honorable Anita Anand, C.P., députée
Ministre des Affaires étrangères
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
anita.anand@parl.gc.ca
OBJET : Reconnaissance de l’État de Palestine – Complicité du Canada dans le génocide à Gaza et droit à l’autodétermination du peuple palestinien
Monsieur le Premier ministre,
Madame la ministre des Affaires étrangères,
La Ligue des droits et libertés vous transmet cette correspondance à la suite de la Déclaration du premier ministre sur la reconnaissance de l’État de Palestine par le Canada, publiée le 21 septembre 2025, et de la Conférence internationale sur la question de Palestine qui a eu lieu le 22 septembre lors de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Le Canada s’est joint, enfin, aux 148 États qui reconnaissaient déjà formellement l’État de Palestine. Toutefois, contrairement à ce que prétend la déclaration du premier ministre du 21 septembre, la reconnaissance canadienne, assujettie à de multiples conditions, ne respecte pas les principes du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, en plus d’être tardive. Et tout autant consternant, la reconnaissance canadienne n’est assortie d’aucune action concrète pour mettre fin à la complicité du Canada dans le génocide en cours à Gaza et les crimes commis par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, inscrit dans la Charte des Nations Unies, constitue un droit en vertu duquel les peuples déterminent leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Le droit à l’autodétermination est une condition essentielle au respect de tous les droits humains du peuple palestinien. Sa pleine réalisation est niée et entravée activement par Israël ainsi que par bon nombre d’États, dont le Canada.
Il n’appartient pas au Canada, ni à quelque autre État, de dicter au peuple palestinien le choix de leurs représentants politiques légitimes. Cela appartient strictement aux Palestinien-ne-s, en tant que peuple, sans ingérence étrangère. Il n’appartient pas non plus au Canada de désigner comme organisation « terroriste » l’un ou l’autre des groupes de la résistance palestinienne, en l’occurrence le Hamas. Comme vous le savez, il n’existe pas en droit international de définition du terme « terrorisme ». La Ligue des droits et libertés, et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, ont dénoncé à maintes reprises le fait que la liste des entités terroristes du Canada soit un outil politique arbitraire, constitué dans le cadre d’un processus secret, et souvent utilisé de manière discrétionnaire pour servir les intérêts géopolitiques du Canada et de ses alliés, et non pour assurer le respect du droit à la sécurité des populations et les droits humains.
Monsieur le premier ministre, Madame la ministre des Affaires étrangères, la Ligue des droits et libertés dénonce la complicité active du Canada dans la commission du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre dans la bande de Gaza ainsi que dans les crimes perpétrés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est contre le peuple palestinien.
La Ligue des droits et libertés réitère que le Canada a des obligations juridiques en tant qu’État partie à divers instruments internationaux, dont la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En vertu de l’article 1 de la Convention, le Canada doit adopter toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser et punir les actes génocidaires perpétrés par Israël à l’encontre du peuple palestinien.
Ignorant ses obligations, le Canada continue d’acheminer de l’aide militaire à Israël, de façon directe, tel que l’a démontré la campagne Embargo sur les armes maintenant, en passant par les États-Unis ou en fournissant à des entreprises étatsuniennes des pièces détachées pour des avions ou autres engins militaires qui participent directement à l’offensive militaire israélienne à Gaza. Le Canada doit cesser immédiatement tout achat ainsi que toute vente de matériel et technologie militaires à destination d’Israël en instaurant un embargo tel que le prescrit le droit canadien et le droit international.
Pour mettre fin au génocide en cours à Gaza et à l’ensemble des violations des droits humains perpétrées à l’encontre du peuple palestinien, le Canada doit également rompre ses liens politiques, diplomatiques, économiques et commerciaux avec Israël, notamment en suspendant le traité de libre-échange Canada-Israël. Ce traité est d’autant plus problématique qu’il n’établit pas la distinction entre ce qui est produit en Israël et ce qui est produit dans les territoires palestiniens illégalement occupés par Israël. Or, la Cour internationale de justice, dans son avis consultatif du 19 juillet 2024, a enjoint tous les États à faire cette distinction.
Dans cet avis, la Cour internationale de justice a déclaré que l’occupation et la colonisation israéliennes du Territoire palestinien occupé sont illégales et doivent cesser « dans les plus brefs délais ». En 2024, l’Assemblée générale des Nations Unies avait fixé ce délai au 17 septembre 2025. Or, depuis Israël a plutôt accéléré la colonisation et le Canada n’a adopté à ce jour aucune action concrète pour s’y opposer.
Le Canada doit aussi adopter des sanctions économiques fermes contre Israël, incluant à l’endroit d’Israélien-nes directement impliqué-es dans le génocide en cours à Gaza. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, le gouvernement canadien a mis en œuvre des sanctions contre des responsables politiques et des oligarques russes. Les mêmes mesures, et à la même échelle, s’imposent contre les responsables politiques, militaires et économiques impliqués dans le génocide et les opérations militaires à Gaza ainsi que l’accélération de la colonisation en Cisjordanie.
La Ligue des droits et libertés intime le gouvernement du Canada à se conformer à ses obligations en vertu du droit international des droits humains et du droit international humanitaire, en cessant toute complicité avec les crimes commis par Israël envers le peuple palestinien et en soutenant véritablement la réalisation du droit à l’autodétermination de ce dernier.
Veuillez agir en conséquence,
Alexandre Petitclerc
Président
Laurence Guénette
Coordonnatrice
C.C.
Don Davies, chef par interim du Nouveau Parti démocratique
Heather MacPherson, porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière d’affaires étrangères
M. Yves-François Blanchet, chef du Bloc Québécois
Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole du Bloc québécois en matière d’affaires étrangères et de droits de la personne
Andrew Sheer, chef par interim du Parti Conservateur du Canada
Michael D. Chong, porte-parole du Parti Conservateur du Canada en matière d’affaires étrangères
Mme Salma Zahid, présidente du Groupe d’amitié parlementaire Canada-Palestine et députée de Scarborough-Centre, Ontario
Son Excellence António Guterres, secrétaire général des Nations Unies
Mme Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967