Consultations sur le projet de loi C-12, Loi visant à renforcer le système d’immigration et la frontière du Canada
Mémoire présenté par la
Ligue des droits et libertés
MÉMOIRE – PDF
Au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM)
Chambre des communes
10 novembre 2025
Les parties 5 à 8 du projet de loi C-12, Loi visant à renforcer le système d’immigration et la frontière du Canada, proposent des modifications importantes au système canadien d’immigration. Bien que toutes les dispositions du projet soulèvent des préoccupations majeures, la LDL se concentre sur les parties 6 et 8, qui restreindraient drastiquement le droit d’asile et les droits procéduraux.
Avec ces mesures, le Canada ne respectera ni ses obligations découlant de la Convention relative au statut des réfugiés, dont le principe de non-refoulement, ni les obligations imposées par la Charte canadienne des droits et libertés, notamment aux articles 7 et 15.
En ce qui concerne la partie 6, les dispositions auraient pour effet d’amoindrir les garanties juridiques associées à la procédure de détermination du statut de réfugié devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). La partie 6, entre autres dispositions, créerait un examen complémentaire effectué par la ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté après l’examen de la recevabilité de la demande (art. 43-45). Elle confèrerait des pouvoirs importants à la ministre, notamment ceux de se prononcer à nouveau sur la recevabilité, de rassembler des documents et renseignements relatifs à la demande, de la déférer pour désistement et de prononcer son retrait à la suite de la réception d’un avis écrit.
Le projet de loi demeure silencieux sur les documents et renseignements que pourrait obtenir la ministre, en plus de ceux déjà exigés par la CISR, et ne prévoit pas qu’ils soient précisés par règlement. Ceci est susceptible de découler en exigences impossibles à remplir dans les délais impartis, d’autant plus que les problèmes de communication entre le gouvernement et les demandeurs d’asile sont récurrents. Qui plus est, les services juridiques de qualité sont aujourd’hui difficiles d’accès[1], ce qui entraîne davantage de désistements et multiplie les atteintes aux droits humains. D’un côté, le désistement fait en sorte que les personnes se voient retirer la possibilité que leur demande soit examinée sur le fond (à moins d’une demande de réouverture approuvée). De l’autre, il entraîne des dénis de droits économiques et sociaux, en privant les personnes d’accès aux soins de santé et du droit de travailler[2].
En ce qui concerne le pouvoir octroyé à la ministre de prononcer le retrait, la LDL s’inquiète du fait que les personnes demandant l’asile puissent être contraintes par des fonctionnaires de signer un tel avis, comme l’ont rapporté des organismes de soutien aux personnes immigrantes à plusieurs reprises, ou alors qu’elles ne comprennent pas les conséquences de la signature du document, notamment si elles ne sont pas représentées. De plus, puisque le délai pour compléter l’examen sera seulement prévu par règlement, il est également possible que, devant les exigences de cette procédure, les personnes optent pour le retrait. Ces cas de figure représentent autant d’obstacles au droit d’asile contraires aux garanties d’équité procédurale.
La partie 8 constitue une attaque frontale contre le droit d’asile et le principe de non-refoulement. Elle instaurerait deux nouveaux motifs d’irrecevabilité (art. 78) qui laisseront de nombreuses personnes sans accès à la protection internationale.
Le premier motif vise à restreindre la possibilité de demander l’asile des personnes pour qui plus d’une année s’est écoulée depuis leur première entrée au Canada. De nombreuses situations peuvent pourtant expliquer que des personnes attendent plus d’un an pour déposer leur demande. Il peut s’agir de changements dans les conditions du pays d’origine ou alors de menaces faites par une organisation criminelle contre la famille d’une personne. Ce motif risque également d’exclure des populations qui se retrouvent à la croisée de plusieurs oppressions, comme les femmes victimes de violence conjugale ou les personnes LGBTQ+, qui font face à des obstacles particuliers dans le processus d’asile.
Le deuxième motif empêchera les personnes qui traversent la frontière canado-étasunienne de façon irrégulière d’avoir accès à la CISR. Actuellement, les personnes qui arrivent des États-Unis peuvent demander l’asile jusqu’à 14 jours après leur entrée. Elles ne le pourront plus et n’auront accès qu’à l’Examen des risques avant renvoi (ERAR).
L’ERAR est loin de constituer une procédure équivalente à la détermination du statut de réfugié devant la Section de la protection des réfugiés (SPR). Les différences sont majeures : absence d’indépendance et expertise moindre des décisionnaires; procédure sur dossier seulement (c’est-à-dire sans audience), sauf exception; aucun recours d’appel prévu (hormis le contrôle judiciaire); taux d’approbation famélique. Les conséquences seront encore plus dévastatrices pour les femmes et les personnes LGBTQ+. Enfin, le caractère rétroactif de ces dispositions constitue une injustice flagrante et injustifiable.
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Les parties 6 et 8 semblent vouloir limiter le nombre de demandes déférées à la CISR. Elles auraient néanmoins pour effet de complexifier les dossiers traités par la fonction publique et d’augmenter leur nombre. De plus, la multiplication des décisions prises sans possibilité d’appel risque d’alourdir la tâche de la Cour fédérale. Il semble peu probable que le fait de remplacer l’étude des demandes d’asile par la CISR par des procédures appliquées par des fonctionnaires ou des procédures devant les tribunaux constitue un gage d’une plus grande efficacité.
Le Canada jouit encore de la réputation d’être une terre d’asile pour les personnes qui fuient les persécutions. Le projet de loi C-12 risque de la réduire à néant, d’autant plus qu’il sacrifie les droits des personnes les plus vulnérables. Pour toutes ces raisons, la LDL – appuyée par une résolution adoptée lors du dernier congrès de la Fédération internationale pour les droits humains en Colombie – le retrait du projet de loi C-12.
[1] Blain, Marie-Jeanne et al, 2025, Expériences d’accès aux services et à l’accompagnement juridiques de personnes migrantes à statut précaire et sans statut au Québec. Clinique juridique Solutions Justes de la Mission communautaire de Montréal.
[2] À la suite d’un désistement, la mesure de renvoi devient exécutoire (LIPR, art. 49(2)(d)), entraînant alors l’annulation du permis de travail (RIPR, art. 243.2).
