Le racisme au Québec : au-delà de l’anecdote, un problème systémique

Pour le président de la Ligue, le racisme représente un outil de domination des majorités sur les minorités. Il est en ce sens le reliquat le plus évident et le moins bien compris du colonialisme. Il est aussi le partenaire parfait des inégalités sociales, qu’il renforce en leur offrant la haine, le mépris et la discorde qui leur sont nécessaires pour assurer aux élites le monopole de leur pouvoir.

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Christian Nadeau, président
Ligue des droits et libertés

Pas une semaine ne se passe au Québec sans qu’il ne soit question du racisme. À la limite, l’approche préconisée pour en rendre compte relève presque du feuilleton télévisé. Un propos scandaleux charrie avec lui son flot de réactions indignées et génère en contrepartie une flopée de nouveaux commentaires plus délirants les uns que les autres. Dans ces conditions, il devient difficile pour l’ensemble de la population de prendre en considération l’ampleur du défi social auquel nous devons faire face si nous voulons éviter une situation qui s’envenimera avec le temps. Les médias sociaux ne favorisent pas, loin s’en faut, une discussion publique rigoureuse. Ils offrent plutôt une caisse de résonnance aux propos les plus abjects et nourrissent une colère sourde qui un jour ou l’autre pourrait se transformer en actes de violence. À travers ce vacarme, des groupes de personnes racisées, que certains voudraient croire éteints, s’organisent pour faire respecter leurs droits.

Le racisme, un problème systémique au Québec? Il serait temps de l’admettre. Dire une telle chose ne rend en rien notre situation comparable à celle de certains pays d’Europe, où le racisme se manifeste sans fard, comme sur ces affiches en Suisse où des moutons blancs expulsent un mouton noir. Nous n’avons pour le moment aucun parti politique semblable aux xénophobes du Jobbik ou aux milices paramilitaires d’extrême-droite, en Hongrie. Notre climat social n’a rien à voir avec celui de la Pologne, où circulent ouvertement les quolibets sur les Juifs, les Roms, les membres de la communauté LGBT ou encore les personnes réfugiées, et où la diffamation, l’incitation à la violence et les appels à la haine font partie du lot quotidien des minorités. En Grèce, mais cela vaut pour l’ensemble de l’Europe, la débâcle du capitalisme sauvage des dernières années a réveillé les vieux démons de la xénophobie, lesquels ne dormaient que d’un seul œil. Nous n’en sommes pas là au Québec. En revanche, il y devient de plus en plus difficile de nommer les choses par leur nom : dénoncer le racisme d’un animateur de radio et on vous accusera immédiatement de vouloir limiter la liberté d’expression. Dénoncez le profilage racial, et on vous répondra qu’il faut bien faire régner l’ordre. Dénoncez le racisme à l’égard des peuples autochtones, et on vous dira qu’il s’agit de simples lubies. Les cas sont si nombreux d’un racisme systémique qu’il devient difficile d’en tenir le compte. Les personnes qui en sont l’objet, elles, ne perdent cependant le compte ni des cas, ni des années d’inaction collective de la majorité.

Le racisme se manifeste dans la brutalité médiatique. Il a beaucoup été question des chroniqueurs des radio-poubelles. Il s’agit pourtant là de la pointe de l’iceberg. Si odieux que soient les André Arthur de ce monde, ils permettent surtout aux élites médiatiques de détourner le regard et ainsi d’ignorer les pratiques courantes de marginalisation. Brutalité médiatique donc, lorsque les journalistes s’intéressent aux minorités racisées si et seulement si cela conforte l’image d’un univers où règne le crime organisé. Brutalité médiatique lorsque ces mêmes minorités se voient condamnées à des positions subalternes et où toute mise en valeur de leur rôle est taxée à l’avance de rectitude politique.

Le racisme se manifeste dans la discrimination systémique au travail. À compétence égale au Québec, les personnes racisées ou issues de l’immigration se trouvent sans cesse défavorisées au profit de la majorité blanche. Le taux de chômage y est beaucoup plus important, et ce, même lorsque ces personnes sont parfaitement francophones. À quand une étude sérieuse suivie d’une politique publique efficace pour éradiquer la discrimination raciale à l’emploi au Québec?

Le racisme se manifeste dans les conditions de vie imposées aux peuples autochtones. Qui connaît vraiment la Loi sur les Indiens? Certes, les jeunes du primaire et du secondaire reçoivent une formation minimale sur l’histoire et les traditions des peuples autochtones. Mais que connaissent ces mêmes jeunes des exactions commises contre ces peuples, du génocide qualifié à tort de simplement « culturel » et de ses outils, comme ces pensionnats où on enfermait leurs enfants pour les « civiliser », du déni de leurs droits fondamentaux et du colonialisme qui se perpétue encore aujourd’hui sous différentes formes?

Le racisme se manifeste dans la brutalité policière. Pour le moment, il n’y a pas eu d’épisodes de révolte semblables à ceux qu’ont connus des villes comme Baltimore. Il y a pourtant des quartiers à Montréal où la tension se fait sentir de plus en plus, notamment en raison du recours systématique au profilage racial par les policiers. Mais l’opinion publique au Québec y voit encore des bavures inévitables dans des endroits où l’ordre public serait difficile à maintenir. Est-ce bien le cas? Est-ce vraiment un dérapage dans la lutte contre la criminalité, ou ne serait-ce pas plutôt le fruit d’un racisme systémique où l’incarcération arbitraire et la judiciarisation font partie au jour le jour de la vie des minorités racisées?

Le racisme se manifeste dans l’islamophobie. Devenu l’ennemi public numéro un depuis au moins les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, l’islam est associé à l’islamisme et au terrorisme, au point où la question religieuse se trouve entièrement confinée à sa dimension politique. Il faudrait aussi s’interroger sérieusement sur le racisme sous-jacent à bon nombre de nos politiques publiques en matière de « sécurité », sans parler des relations internationales.

Le racisme représente au final un outil de domination des majorités sur les minorités. Il est en ce sens le reliquat le plus évident et le moins bien compris du colonialisme. Il est aussi le partenaire parfait des inégalités sociales, qu’il renforce en leur offrant la haine, le mépris et la discorde qui leur sont nécessaires pour assurer aux élites le monopole de leur pouvoir.

Que faire? Si vraiment le racisme est un problème structurel, alors il nous faut des réponses du même ordre. Il faut connaître et réfléchir à ses causes profondes et instituer des mécanismes qui seront là pour durer. Sinon, nous continuerons à confiner le problème du racisme aux fausses polémiques qui font le bonheur des médias de masse. Et si nous continuons à penser le racisme au Québec comme une simple accumulation d’événements isolés, alors nous ne pourrons jamais le combattre, nous ne pourrons jamais y faire face et peu à peu il s’installera dans le discours public, il ne choquera plus personne sinon ses victimes et servira de tremplin aux politiques démagogues et de défouloir pour les médias populistes.

 

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