Espace public : où sont les locataires?

L’espace public est accaparé par les promoteurs et les spéculateurs immobiliers, au détriment des ménages locataires montréalais dont le droit au logement est bafoué.

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Martin Blanchard, responsable des dossiers politiques
Comité logement de la Petite Patrie

À l’inverse de la quasi-totalité des villes d’Amérique du Nord, les locataires sont majoritaires à Montréal, formant au-delà de 70 % des ménages dans les quartiers centraux. On pourrait croire que cette force du nombre pèse de tout son poids en matière de politiques publiques et d’occupation de l’espace public. Or, il n’en est rien : à Montréal comme ailleurs, les politiques d’accès à la propriété sont complices d’un embourgeoisement qui repousse les locataires moins nantis en périphérie.

La faute en incombe à l’idéologie néolibérale qui exacerbe la marchandisation du logement. Nous voilà face à la financiarisation du logement, qui doit rapporter gros et à court terme. C’est ainsi que les flips[1] immobiliers ont retiré des dizaines de milliers de logements aux locataires montréalais et ont fait grimper les loyers à un niveau hors de portée des revenus modestes.

Les ménages locataires montréalais à faible revenu sont les plus mal pris au Canada.

Ils sont plus nombreux que les autres ménages canadiens des grandes villes à consacrer plus de 30 % de leur revenu pour se loger[2]. D’autre part, seulement 8,2 % des ménages locataires montréalais profitent d’un logement subventionné, la plus faible proportion des grandes villes canadiennes[3]. Il est parfois dit que les logements sont abordables à Montréal, mais ce n’est pas vrai pour au moins 197 760 ménages montréalais à faible revenu qui consacrent plus de 30 % de leur revenu au logement[4].

La financiarisation du logement est un grave problème qu’il faut prendre de front.

Le premier front, le plus important mais le plus difficile, consiste à protéger les locataires dans leur logement. Il s’agit de dresser un barrage contre les flips immobiliers, de rappeler la Régie du logement à sa mission de protection des droits des locataires et d’exiger la mise aux normes des logements qui mettent des vies en danger. C’est un front difficile, car bien des propriétaires se conçoivent comme porteur d’un feu sacré qu’il ne faut pas toucher. Mais quand on constate autant d’incendies, il faut appeler les pompiers.

L’autre front qui appelle nos élu-e-s est celui du développement de logements sociaux. Montréal accuse un retard historique en cette matière. Le sous-financement chronique des programmes de logements sociaux perdure depuis des dizaines d’années, le nombre de mises en chantier diminue et les listes d’attente s’allongent tragiquement[5].

Dans cet espace déséquilibré, les voix qui se font entendre sont celles des promotrices et promoteurs et des spéculatrices et spéculateurs.

C’est tout de même étrange : alors que rien n’est plus urgent que de loger convenablement des dizaines de milliers de ménages qui vivent dans des conditions odieuses, la sirène la plus stridente commande de ne rien faire. En témoignent les récentes consultations sur le Règlement pour une métropole mixte de Montréal qui, exigeant une timide contribution pour des logements sociaux de la part des promotrices et promoteurs, firent bondir ceux-ci ; même les médias en déchirèrent leur chemise. Pas étonnant que les voix de la raison peinent à se faire entendre dans ce concert d’orfraies.

Mais ce contexte ne doit pas décourager. Il faut en prendre acte : quand il est question de logement, l’espace public est aujourd’hui dominé par un antagonisme de classes sociales. Rien n’est toutefois éternel. L’État a des outils pour intervenir et mettre en place les conditions d’un espace public réellement inclusif. S’il peut le faire, alors il doit le faire : à nous de le lui rappeler.

 

[1] NDLR : Un flip immobilier consiste à acheter une propriété à bas prix, à la rénover minimalement et à la revendre rapidement avec un important profit.

[2] Communauté métropolitaine de Montréal, Pénurie de logements locatifs et ralentissement de la construction de logements sociaux et abordables, Perspective Grand Montréal, no. 39, juin 2019, p. 9.

[3] Ibid, p. 7.

[4] Ibid, p. 7.

[5] Les listes d’attente ont explosé ces dernières années: plus de 22 000 ménages montréalais sont en attente d’un HLM et plusieurs dizaines de milliers de ménages patientent longuement sur les autres listes (Coop et OBNL d’habitation, comités logement et groupes de ressources techniques). Au rythme actuel des mises en chantier, il faudra plusieurs dizaines d’années avant de loger ces personnes, sans parler de celles qui se rajouteront sur ces listes.

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