Retour à la table des matières
Idil Atak, professeure agrégée
Département de criminologie, Université Ryerson, Toronto
Les migrant-e-s sans statut sont des personnes qui vivent sans statut légal d’immigration, c’est-à-dire sans détenir la citoyenneté, sans résidence permanente, sans permis de travail ou d’étude, sans visa de tourisme. Il y aurait entre 200 000 et 500 000 migrant-e-s sans statut au Canada. La majorité de cette population résiderait et travaillerait dans les grandes villes, notamment à Toronto, Vancouver et à Montréal, où il y aurait environ 50 000 personnes sans statut.
Elles et ils se heurtent à des obstacles importants pour accéder aux droits fondamentaux, comme un logement décent, des soins de santé et l’accès à l’éducation pour leurs enfants.
Bien qu’elles et ils contribuent à la vie économique et sociale au Canada, les migrant-e-s sans statut se trouvent exclus de l’espace public. Souvent confinés à des emplois durs et dangereux, tels que la construction, le travail agricole ou domestique, ces personnes sont vulnérables aux abus et à l’exploitation. Au Québec, même les enfants canadiens nés de parents sans statut se voient refuser des soins de santé. Jusqu’à récemment, certains enfants sans statut ne pouvaient pas bénéficier du droit à l’enseignement primaire et secondaire public au Québec. D’autres devaient payer des frais de scolarité bien au-delà des moyens de leur famille. Souvent, les victimes ou les témoins d’actes criminels ne veulent pas contacter la police, de peur d’être repérés et déportés à l’extérieur du Canada.
Une grande vulnérabilité
Cette peur est exploitée par des propriétaires, employeurs ou fournisseurs de services abusifs qui menacent de les signaler à la police si les personnes sans statut déposent une plainte auprès des autorités. Par conséquent, certains migrant-e-s sans statut n’ont d’autre choix que de continuer à subir, par exemple, des situations de violence domestique ou d’exploitation au travail, ce qui contribue à la détérioration de leur santé physique et mentale et conduit à l’exclusion sociale. Le déni des services sociaux minimaux est contre-productif, puisqu’il renforce la stigmatisation des migrant-e-s sans statut aux yeux de la population. De plus, les crimes subis par ces personnes ou dont elles sont témoins demeurent largement impunis, ce qui augmente l’insécurité publique.
Que font les municipalités?
Les gouvernements municipaux ont reconnu la gravité des injustices subies par les migrant-e-s sans statut. En 2013, Toronto est devenue la première ville sanctuaire au Canada, leur donnant accès aux services municipaux sans crainte d’être arrêtés ou renvoyés du pays. Depuis, six autres villes ont suivi l’exemple de Toronto. Elles se sont engagées à donner accès à leurs services sans exiger de preuve du statut d’immigration et à ne pas communiquer de données à caractère privé aux agences de contrôle de l’immigration.
Les efforts de la Ville de Montréal
En février 2017, le conseil municipal de Montréal a adopté, à l’unanimité, une motion déclarant Montréal « ville sanctuaire ». La motion, qui découlait d’une initiative de l’ancien maire Denis Coderre, était justifiée par des considérations morales, la volonté de rendre la ville plus inclusive et la nécessité de protéger les migrant-e-s sans statut contre les abus, les injustices et les actes criminels.
Sous la direction de la mairesse Valérie Plante, la Ville a adopté le plan d’action Montréal inclusive 2018-2021 en décembre 2018. Cette feuille de route inclut un chapitre Ville responsable et engagée qui détaille les mesures visant à promouvoir la protection des migrant-e-s sans statut à Montréal. Les initiatives prises jusqu’à présent comprennent :
- Un soutien financier aux organisations montréalaises offrant des services aux
migrant-e-s sans statut. La Ville a notamment subventionné la clinique juridique Solutions Justes de Mission communautaire de Montréal et une clinique médicale gérée par Médecins du Monde pour renforcer leur capacité à fournir des services essentiels à cette population.
- Une Politique d’accès aux services municipaux sans peur annoncée le 9 juin 2019. La Ville s’est engagée à ce que ses unités administratives modifient les exigences d’identification requises pour permettre aux migrant-e-s sans statut d’accéder à leurs programmes et services. Comme mesure transitoire, la Ville est en discussion avec quatre organisations de la société civile pour mettre en place un système de certification de l’identité et de références directes. Cela permettrait qu’aucune preuve d’identité ou de résidence ne soit requise d’une personne voulant accéder à certains services municipaux, si cette personne est référée par l’une de ces organisations. À terme, la Ville planifie d’émettre une carte d’identité municipale, disponible à toute personne résidente de Montréal, à l’instar de celles en vigueur dans plusieurs villes aux États-Unis.
- Une cellule d’intervention et de protection, également annoncée le 9 juin, visant à soutenir et accompagner les migrant-e-s sans statut qui ont été victimes d’abus ou d’actes criminels liés, entre autres, à l’emploi ou au logement. Cette cellule pourrait référer les victimes aux services spécialisés pour recevoir de l’aide et explorer la possibilité d’une plainte auprès des autorités.
Le Bureau d’Intégration de Nouveaux Arrivants à Montréal (BINAM), qui opère au sein du Service de la diversité et de l’inclusion sociale de la Ville, a joué un rôle majeur dans la mise en œuvre et la coordination de ces initiatives. Le BINAM bénéficie de l’appui de la Ville de Montréal, un soutien qui se concrétise par l’allocation des ressources logistiques et financières nécessaires.
Beaucoup reste à faire
Les efforts de la Ville de Montréal pour promouvoir la protection des migrant-e-s sans statut et leur inclusion dans l’espace public sont louables. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour traduire les objectifs en résultats concrets.
Le contexte constitutionnel canadien limite considérablement la juridiction municipale et donc, la capacité de la Ville à atteindre les objectifs déclarés.
Les bibliothèques et les services municipaux accessibles, tels que les parcs et loisirs, ouvrent l’espace public aux migrant-e-s sans statut et renforcent leur sentiment d’appartenance à la communauté. Cependant, de nombreux services essentiels tels que les soins de santé, l’éducation et le logement restent en dehors du pouvoir réglementaire de Montréal et ne sont donc pas disponibles aux migrant-e-s sans statut. Ces services relèvent de la compétence du gouvernement du Québec qui ne semble pas intéressé à engager un dialogue avec la Ville dans ce dossier.
Par ailleurs, la police municipale refuse d’appliquer la Politique d’accès aux services municipaux sans peur.
La Ville a d’ailleurs décidé d’abandonner le terme « ville sanctuaire » au profit de « ville responsable et engagée » pour ne pas créer un faux sentiment de sécurité parmi les migrant-e-s sans statut. En effet, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est réputé vérifier le statut d’immigration lors d’interpellations aléatoires et arbitraires ainsi que signaler les migrant-e-s sans statut à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), plus que tout autre service de police municipal au Canada. Ce triste record indique que la police considère les personnes sans statut à travers le prisme de la sécurité et de la criminalité, une vision qui contraste avec celle de la Ville et qui n’est basée sur aucune statistique ou donnée probante.
Des actions, maintenant
Dans ce contexte, la formation des agent-e-s de police doit être une priorité. De même, les employé-e-s municipaux et les mandataires de services, surtout les professionnel-le-s de première ligne, devraient avoir des formations régulières sur les divers statuts d’immigration précaires et sur les besoins spécifiques des migrant-e-s sans statut. Des campagnes publiques de sensibilisation contribueraient à dénoncer les idées reçues à l’égard de cette population tout en assurant une meilleure compréhension des initiatives municipales. Le gouvernement du Québec devrait contribuer aux efforts de la Ville pour étendre la portée des services accessibles.
La solution-clé est entre les mains du gouvernement fédéral, qui devrait envisager un programme de régularisation des migrant-e-s sans statut, car l’inclusion sociale de ces migrant-e-s passe par la protection effective de leurs droits fondamentaux.