À Québec, une modification réglementaire inquiétante pour le droit de manifester

Effectuée en février 2022, une modification inquiétante d’un règlement de la Ville de Québec illustre les trop nombreuses entraves au droit de manifester : le directeur de police du SPVQ a désormais le pouvoir d’établir ou de modifier les règles d’occupation du domaine public avant ou durant les manifestations.

Un carnet rédigé par
Jacinthe Poisson, juriste et coordonnatrice du projet Droit de manifester : les règlements municipaux sous la loupe de la Ligue des droits et libertés

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


Déjà trop de règlements municipaux à travers le Québec restreignent le droit de manifester comme l’a documenté la Ligue des droits et libertés dans un important rapport en 2019. Effectuée en février 2022, une modification inquiétante d’un règlement de la Ville de Québec l’illustre de nouveau  : le directeur de police du SPVQ a désormais le pouvoir d’établir ou de modifier les règles d’occupation du domaine public avant ou durant les manifestations.

Les règlements municipaux limitent déjà abusivement le droit de manifester au Québec

Dans la plupart des municipalités au Québec, des règlements municipaux créent toutes sortes d’obstacles au droit de manifester, que ce soient les obligations d’obtenir un permis pour manifester ou une assurance-responsabilité allant jusqu’à 2 M$ ou encore les interdictions de faire du bruit, d’entraver la circulation piétonne ou automobile ou d’affichage politique. Ces obstacles n’ont pas lieu d’être, car ils font porter un fardeau démesuré aux personnes qui organisent ou participent à des manifestations. Pour certain-e-s, ces règlements les découragent carrément d’y prendre part.

Certaines de ces entraves réglementaires sont carrément en contradiction avec les décisions des tribunaux. Pensons notamment à l’obligation de divulguer un itinéraire de manifestation ou d’obtenir un permis auprès du service de police ou du conseil de ville pour organiser une manifestation, qui sont encore aujourd’hui inscrites dans trop de règlements municipaux au Québec. La Cour d’appel a pourtant clairement établi en 2019 dans la décision Bérubé que l’obligation de divulguer l’itinéraire est une atteinte injustifiée aux libertés d’expression et de réunion pacifique. La Cour a même déclaré ceci :

« [Il] y a dans cette suggestion d’intégrer les services policiers à la préparation d’une manifestation quelque chose d’antinomique à la liberté d’expression ou de réunion pacifique, qui s’apparente à une forme de surveillance étatique » (para 73).

Les nouveaux pouvoirs du chef du SPVQ

Cette inquiétude formulée par la Cour d’appel trouve particulièrement écho à Québec aujourd’hui, où une récente modification réglementaire a octroyé un pouvoir supplémentaire au chef du service de police. Car au-delà de l’existence même de ces règlements municipaux, c’est souvent l’application discrétionnaire de ces règlements par les services policiers qui inquiète.

Le 16 février 2022, le comité exécutif de la Ville de Québec modifiait son Règlement intérieur portant sur la circulation, le stationnement et l’occupation du domaine public pour donner au directeur du service de police les pouvoirs d’établir ou de modifier des règles relatives à la circulation et au stationnement sur les rues ainsi qu’à l’occupation du domaine public à l’occasion de manifestations (art. 24.3). Auparavant, ces pouvoirs revenaient aux directeurs du Bureau des grands évènements et de la Division du plein air et de l’animation urbaine. C’était seulement en leur absence que ce pouvoir pouvait être délégué au directeur du service de police.

Bien que ces nouveaux pouvoirs aient été octroyés dans le contexte spécifique des convois de camionneurs en lien avec les mesures sanitaires, ils sont permanents et pourront être éventuellement utilisés lors de toute manifestation.

Loin de nous rassurer, le maire déclarait lors d’une conférence de presse le 16 février que cette modification permettrait de prendre des décisions non seulement « dans le feu de l’action » mais aussi de façon préventive. Puis, en séance du comité plénier le 2 mars, le directeur du SPVQ n’a pas répondu à la question d’une conseillère qui demandait dans quelles circonstances et de quelle façon seraient exercés ces nouveaux pouvoirs donnés au service de police. Le directeur Denis Turcotte a simplement indiqué qu’il s’agissait d’un outil de plus dans le coffre à outils du service de police, qui lui donne plus de latitude d’intervention. Puis, il a ajouté que les nouveaux pouvoirs seraient utilisés « dans des cas très particuliers et très ciblés », ce qui n’a rien de rassurant quant à la protection de l’exercice du droit de manifester à Québec.

Nous n’avons donc aucune idée de la façon dont le directeur du SPVQ exercera ce nouveau pouvoir d’établir ou de modifier des règles relatives à l’utilisation de l’espace public par les manifestant-e-s. Est-ce que certaines manifestations seront restreintes à des zones désignées dans l’espace public, comme ça a été le cas des free speech zones lors de sommets internationaux? Est-ce que certaines manifestations seront carrément interdites de façon préventive? Est-ce que certaines causes politiques défendues dans les manifestations risquent d’être plus visées que d’autres par ces limites? Nous avons plus de questions que de réponses pour l’instant. Les citoyen-ne-s et les organisations se devront d’être vigilant-e-s, car ce nouveau pouvoir semble justement ouvrir la voie à une forme de surveillance étatique dénoncée par la Cour d’appel.