L’affaire Bissonnette : un débat sur les peines cruelles et la dignité humaine

Il est essentiel que la Cour suprême se prononce sur la légalité de l’article 745.51 du Code criminel.
Un carnet rédigé par Catherine Bernard, étudiante, École du Barreau, auteure du mémoire de maîtrise « Peine perpétuelle ou deuxième peine de mort : Vers une reconnaissance juridique du droit à l’espoir en droit français et canadien ? » et Lucie Lemonde, professeure en sciences juridiques, UQÀM, militante de la Ligue des droits et libertés

La peine de mort a été abolie au Canada en 1976. Elle a été remplacée par l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, pour les meurtres au premier degré. En 2011, le gouvernement Harper a modifié le Code criminel pour y ajouter l’article 745.51, qui accorde au juge la discrétion d’imposer, en cas de meurtres multiples, des périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.

Ainsi, depuis 2011, l’imposition de peines d’emprisonne-ment surréalistes s’étendant sur plusieurs décennies n’est plus l’exclusivité des États-Unis.

En effet, depuis cette modification au Code criminel, des personnes ont été condamnées à l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 75 ans, comme ce fût le cas de John Paul Ostamas, au Manitoba, de Basil Borutski, en Ontario, ou encore de Justin Bourque pour les meurtres de trois agents de la GRC au Nouveau-Brunswick.

Au Québec, Alexandre Bissonnette, l’auteur de la tuerie de la grande mosquée de Québec, survenue le 29 janvier 2017, a fait six morts et de nombreux blessés. Il était donc passible de 150 ans de prison ferme, soit 25 ans d’inadmissibilité pour chaque meurtre.

En février 2019, le juge François Huot, de la Cour supérieure, a condamné Bissonnette à l’emprisonnement à perpétuité et a imposé à ce dernier une période minimale de 40 ans de détention avant qu’il ne puisse demander une libération conditionnelle. Selon le juge, l’imposition d’une période d’inadmissibilité de 25 ans serait trop clémente, alors que des périodes de 50, 75, 100 ou 150 ans constitueraient une peine cruelle et inusitée et risqueraient de compromettre la crédibilité du système judiciaire. Pour le juge, toute personne a le droit d’être traitée avec dignité et respect, et ce, même si elle a commis le crime ultime d’enlever la vie à deux ou plusieurs de ses semblables. Il écrit que le Canada « n’est pas une terre où l’on enferme, dans un cachot, les éléments les plus indésirables de la collectivité pour en oublier ensuite jusqu’à leur existence même, après avoir jeté les clés de leur liberté dans le fleuve d’une vaste indifférence collective »[1].

Ce jugement a insatisfait autant la défense que la poursuite qui l’ont porté en appel, la défense parce qu’elle considérait la peine trop sévère, et la Couronne, parce qu’elle la jugeait trop clémente.

Le 26 novembre 2020, la Cour d’appel a cassé la décision du juge Huot et a réduit à 25 ans la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle imposée à Bissonnette. En effet, la Cour a déclaré que l’article 745.51 du Code criminel était inconstitutionnel au motif qu’il violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit à tout individu le droit à la vie, à la sécurité et à la liberté, ainsi que l’article 12, qui protège les citoyen-ne-s contre les peines cruelles et inusitées. Pour la Cour d’appel, « au Canada, même le pire des criminels ayant commis les pires des crimes a droit en tout temps aux garanties fournies par la Charte »[2].

Selon la Cour, des peines d’emprisonnement à perpétuité qui n’offrent aucun espoir ni possibilité de libération avant 50, 75 ou 100 ans, équivalent en pratique à une peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, peine qui n’existe pas au Canada. Ces peines ne laissent aucune place à la réhabilitation, alors qu’il s’agit d’une valeur fondamentale de notre système pénal.

La Cour explique que, même si après 25 ans de prison, le délinquant, comme Bissonnette, est admissible à une libération conditionnelle, cela ne signifie pas qu’il pourra en effet l’obtenir.

Il demeure condamné à perpétuité et restera sous le contrôle de l’État jusqu’à la fin de ses jours. De plus, il portera sa vie durant les stigmates des gestes qu’il a posés et des vies qu’il a enlevées.

Pour la Cour d’appel, l’article 745.51 du Code criminel donne lieu à des peines exagérées et disproportionnées, entre autres « dans tous les cas où il est possible d’imposer une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dépassant largement l’espérance de vie de toute personne humaine »[3]. Malgré l’horreur des crimes commis par un délinquant et l’immense douleur qu’il a causée aux proches des victimes, il semble tout à fait absurde de lui dire qu’il pourra bénéficier d’une libération conditionnelle à l’âge de 120 ou 170 ans.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a demandé à la Cour suprême la permission d’appeler de cette décision. Il est essentiel que la Cour suprême se prononce sur la légalité de l’article 745.51 du Code criminel qui, à nos yeux, permet l’imposition de peines cruelles et contraires à la dignité humaine. Une peine qui exclut tout espoir d’être libéré avant sa mort constitue une peine de mort par incarcération.

 

[1] R. c. Bissonnette, 2019 QCCS 354, par. 838.

[2] Bissonnette c. R., 2020 QCCA 1585, par. 72.

[3] Id., par. 92.


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militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.