Comment le couvre-feu met la vie de milliers de personnes en danger

Pour les personnes qui consomment des drogues, le couvre-feu met leur santé et/ou leur vie en danger puisque les recommandations de prévention comme celle de fréquenter un site de consommation supervisé sont quasi impossibles à appliquer.
Un carnet rédigé par Émilie Roberge, chargée de concertation communautaire sur les surdoses pour la Table des organismes communautaires montréalais de lutte contre le sida (TOMS)

Le couvre-feu, en place depuis le 10 janvier 2021, entraîne des conséquences dans la vie de plusieurs. Pour certains, c’est leur vie qui est mise en danger. C’est le cas des personnes qui consomment des drogues. Tous les messages de réduction des méfaits que les organismes s’efforcent de répéter depuis des décennies sont de plus en plus difficilement applicables. Pour protéger la santé de ces personnes, on dit qu’il est important de ne pas consommer seul-e d’éviter de changer de « dealer » si possible, de fréquenter les sites de consommation supervisée si on consomme par injection… Or, le couvre-feu vient tout compliquer.

Encore plus de risques

Alors que tout le monde doit être chez soi avant le couvre-feu, et que les rassemblements sont interdits, les gens se retrouvent à consommer seuls plus souvent qu’à l’habitude. En cas de surdose ou de malaise, il n’y aura personne pour administrer de la naloxone (antidote aux surdoses d’opioïdes), faire des manœuvres de réanimation ou appeler les secours. Il n’y aura personne pour intervenir et possiblement leur sauver la vie. Ça modifie aussi les dynamiques de la vie de tous les jours. Certaines personnes préfèrent consommer chez des ami-e-s, pour éviter de le faire dans la maison familiale ou lorsque les enfants sont présents, par exemple. Encore une fois, ça devient compliqué et entraîne des conséquences pour toute la famille.

Manque d’information

L’horaire de consommation peut aussi être chamboulé. Plusieurs « dealers » arrêtent d’offrir leurs services plus tôt, ce qui pousse les gens à devoir organiser leur consommation autour de ces nouveaux horaires. D’autres vont trouver un nouveau vendeur, qui ne cesse pas ses activités plus tôt, mais qu’elles ne connaissent pas nécessairement. Consommer plus tôt, acheter en plus grande quantité en prévision de la soirée, quitter le travail plus tôt ou courir en terminant sa journée et changer de source d’approvisionnement sont des changements qui peuvent sembler anodins, mais changer des habitudes de consommation signifie aussi une augmentation du risque de surdose, en plus des conséquences que ça peut avoir sur la vie professionnelle ou personnelle. On sait que même si on connaît bien la personne qui vend, même si on lui fait confiance, on ne peut pas garantir que la substance achetée est toujours de la même nature, toujours de la même qualité ou toujours de la même force. Par contre, le lien de confiance peut aider : plusieurs vendeurs de drogues sont au courant lorsqu’il y a des changements au niveau des substances vendues et vont en discuter avec leurs client-e-. Faire affaire avec quelqu’un de nouveau, c’est aussi risquer de ne pas recevoir cette information.

Hausse de surdoses

Depuis le début de la pandémie, la qualité de l’approvisionnement a été affectée. Plusieurs personnes ont changé de type de consommation car leur substance de choix n’est plus disponible aussi facilement. Le fentanyl (opioïde très puissant) est plus présent que jamais au Québec, mais c’est aussi le cas d’autres substances pour lesquelles la naloxone ne fait pas effet, comme des benzodiazépines. Dans la dernière année, on a constaté une hausse des surdoses de 30%. On recommande donc aux personnes qui consomment de se rendre dans un site de consommation supervisée ou un centre de prévention des surdoses. Or, le couvre-feu est un obstacle à l’utilisation de ces services.

Surjudiciarisation

La judiciarisation des personnes qui consomment fait en sorte que celles-ci peuvent avoir un mandat d’arrestation à leur nom. Sortir après le couvre-feu les met alors à risque de se faire contrôler et de devoir s’identifier, permettant ainsi aux autorités de voir s’il y a un mandat actif et donc… de les judiciariser, encore. Une interpellation par les corps de police implique aussi de devoir dévoiler qu’elles font usage de substances, ce qui sous-entend qu’elles ont sûrement des substances prohibées en leur possession. Tout ceci peut ouvrir la porte à des abus et à plus de judiciarisation, et fait que plusieurs personnes préfèrent ne pas utiliser les services des sites d’injection passé 21 h 30.

Détresse psychologique

Les personnes marginalisées et/ou qui consomment font déjà face à plusieurs obstacles et défis dans la vie de tous les jours. La pandémie ne fait qu’exacerber la détresse psychologique vécue par plusieurs d’entre elles. En plus des risques de surdose et des deuils (causés par des surdoses, la COVID ou des suicides) plus nombreux auxquels sont confrontées ces personnes, les enjeux de santé mentale sont encore plus présents. Dépression, anxiété ou idées suicidaires ne font pas bon mélange avec l’isolement et une consommation possiblement risquée en raison de l’approvisionnement incertain et des risques de surdose qui en découlent.

Tout le monde est affecté par la crise sanitaire et les mesures restrictives qui nous sont imposées. Mais certains risquent beaucoup plus, comme leur vie, et il ne faut pas les oublier. Il ne faut pas les laisser tomber.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.