Communiqué de presse
Pour diffusion immédiate
Montréal, le 21 septembre 2020 – À la veille du dépôt d’un projet de loi sur le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) et l’Unité permanente anticorruption (UPAC) annoncé par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, la Ligue des droits et libertés (LDL) et la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) rendent public un bilan alternatif et critique des trois premières années d’activité du BEI, fruit d’un travail de recherche et d’analyse amorcé en 2019. Il s’agit de la première fois au Québec où un bilan critique complet du BEI est réalisé par des organisations de la société civile.
« Le BEI n’est ni véritablement indépendant du milieu policier, ni transparent, ni impartial. C’est la conclusion à laquelle nous arrivons dans le bilan que nous présentons aujourd’hui : Regards critiques sur les trois premières années d’activité du Bureau des enquêtes indépendantes. Pour corriger le tir, nous formulons 46 recommandations afin de réformer en profondeur le BEI. Mme Guilbault doit impérativement en tenir compte dans son projet de loi », déclare Eve-Marie Lacasse, porte-parole de la LDL.
Une indépendance compromise
Le bilan démontre que l’indépendance du BEI est compromise pour 6 raisons : 1) le BEI dépend du corps de police impliqué pour le déclenchement d’une enquête indépendante; 2) les enquêteurs du BEI sont en majorité issus du milieu policier; 3) le BEI dépend des services de soutien de la SQ, du SPVM et du SPVQ dans presque toutes ses enquêtes indépendantes; 4) des représentants du milieu policier sont impliqués dans le processus de nomination de la direction du BEI; 5) la SQ est impliquée dans le processus de nomination des enquêteurs du BEI; et 6) la seule source d’information des communiqués qui annoncent le déclenchement d’une enquête indépendante provient du corps de police impliqué dans la blessure ou la mort d’une personne lors de l’intervention policière.
« En bout de ligne, c’est la police qui continue d’enquêter sur la police! Le projet de loi de la ministre Guilbault doit mettre fin à cet apparent conflit d’intérêts, qui a le potentiel de miner grandement la confiance des citoyen-ne-s envers le BEI. De plus, parler d’enquêtes indépendantes est un leurre dans le contexte où presque 100% des services de soutien requis par le BEI sont fournis par des corps de police. La ministre Guilbault doit saisir l’occasion de donner une indépendance digne de ce nom au BEI en le dotant de ses propres ressources spécialisées », avance Mme Lacasse.
Un manque de transparence
Lynda Khelil, de la LDL, rappelle que depuis le début des activités du BEI en 2016, sa direction vante la transparence de son organisme dès qu’elle en a l’occasion. « Quand on compare le niveau d’informations que le BEI rend public et celles qu’il garde pour lui, on se rend compte rapidement que l’opacité est encore et toujours le mot d’ordre quand il est question des enquêtes sur la police. Les informations transmises au public lorsque le Directeur des poursuites criminelles et pénales décide de ne pas porter d’accusation sont fragmentaires. Elles ne permettent pas de comprendre le déroulement de l’événement ni de juger de la rigueur et de l’impartialité de l’enquête » soutient-elle.
Mme Khelil précise : « Le plus grave déficit de transparence du BEI est son refus de rendre public le contenu de ses rapports d’enquête dites indépendantes lorsqu’aucune accusation n’est portée contre le ou les policiers impliqués. Pourtant, en Ontario, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et au Manitoba, des organismes similaires au BEI rendent publics des résumés exhaustifs et anonymisés de leurs rapports d’enquête. Le Québec n’a aucune excuse pour ne pas faire la même chose! ».
L’impunité policière perdure
En novembre 2018, des lettres envoyées par la direction du BEI aux directeurs de certains corps policiers révélaient que des policiers et directeurs de corps de police ne respectaient pas les obligations que leur impose le Règlement sur le déroulement des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes. Ces obligations visent à assurer l’indépendance et la crédibilité des enquêtes du BEI.
« Toutes les violations au Règlement dévoilés sont des entraves sérieuses aux enquêtes du BEI. Et la seule chose que la directrice du BEI a fait est d’envoyer ces lettres. Pourquoi? Parce que le Règlement ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect des obligations prévues, pas plus qu’il n’accorde au BEI le pouvoir de contraindre les individus visés par ces obligations. L’absence de sanction en cas de violation du Règlement n’est rien de moins qu’une invitation à la récidive! L’impunité policière doit cesser… et pour cela, il est essentiel que la ministre Guilbault prévoit un mécanisme de sanction dans le projet de loi qu’elle s’apprête à déposer et que nous attendons avec impatience », continue Mme Khelil.
Un manque d’impartialité
Alexandre Popovic, porte-parole de la CRAP, soulève des doutes importants sur l’impartialité des enquêtes du BEI. « Le projet de loi sur le BEI devrait prévoir qu’un ex-policier ne soit jamais assigné à une enquête portant sur un événement impliquant le corps policier dont il est issu, comme l’avait d’ailleurs souhaité le ministre Stéphane Bergeron, qui est à l’origine de la création du BEI. Si la Loi sur la police prévoit qu’un enquêteur du Commissaire à la déontologie policière ne peut être assigné à un dossier impliquant le corps policier auquel il a déjà appartenu, pourquoi cette même logique ne serait-elle pas également valable pour les enquêteurs du BEI ? Le projet de loi doit aussi prévoir un délai pour qu’un jour le BEI ne compte plus que des civils n’ayant aucun passé dans la police, à l’instar de la législation de la Colombie-Britannique. Il n’y a pas de meilleure façon d’assurer l’impartialité du BEI », croit M. Popovic.
En conclusion, ce bilan mène les deux organisations à affirmer incontestablement qu’une réforme en profondeur du BEI est essentielle.
« Des problèmes, il y en a. Le prochain projet de loi tombe à point puisque c’est urgent de réformer le BEI. Alors que le rôle et les actions de la police sont scrutés à la loupe et que la culture policière est fortement critiquée, la nécessité d’un Bureau d’enquête complètement indépendant, impartial et transparent est primordiale », termine Mme Lacasse.
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Pour informations et entrevues :
Elisabeth Dupuis, Responsable des communications de la Ligue des droits et libertés
C : 514-715-7727
Pour consultation : https://liguedesdroits.ca/regards-critiques-trois-premieres-annees-bei/