Montréal, le 29 septembre 2014
Monsieur Denis Harrisson
Vice-recteur à l’enseignement et à la recherche
Université du Québec en Outaouais
283, boulevard Alexandre-Taché
C.P. 1250, succursale Hull
Gatineau (Québec) J8X 3X7
Par courriel : [email protected]
Monsieur,
La Ligue des droits et libertés a été informée du refus par la Direction des communications et du recrutement (DCR), refus que vous avez par la suite entériné, de faire paraître sur la page web de l’UQO l’annonce du lancement de l’ouvrage collectif Tisser le fil rouge. Nous avons également été informés du retrait, de la page Facebook de la bibliothèque de l’UQO, de l’annonce de la publication du livre.
Le Ligue des droits et libertés évalue que ces décisions portent atteinte à la liberté d’expression ainsi qu’aux libertés académiques reconnues comme étant une condition d’exercice du droit à l’éducation.
Selon les informations transmises par voie de communiqué par le SPUQO, les motifs au soutien de ce refus de publication sur la page web de l’UQO seraient d’une part, que l’annonce du lancement ne «cadr[ait] pas avec l’utilisation générale du site de l’UQO », et d’autre part, que le refus était nécessaire « par obligation de réserve institutionnelle de déférence envers les tribunaux [et par choix de] ne pas émettre d’informations partisanes et militantes sur le conflit étudiant de 2012 ».
Le premier motif invoqué est pour le moins étonnant. En effet, l’ouvrage dont il est question a notamment été réalisé sous la coordination de professeur-e-s de l’UQO, soit, les professeures Francine Sinclair, Stéphanie Demers et le professeur Guy Bellemare. De plus, l’annonce s’adressait à la communauté universitaire et l’invitait à venir découvrir les quarante-deux contributions proposées par des étudiant-e-s, des professeur-e-s, de l’UQO et du CEGEP de l’Outaouais, ainsi que par des militant-e-s.
Par ailleurs, en ce qui concerne le devoir de réserve institutionnel que vous avez invoqué, il nous apparaît contraire au droit à l’éducation qui comprend implicitement l’exercice des libertés académiques, tel que reconnu à l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels auquel le Québec adhère.
À cet effet, il est utile ici de rappeler que le Comité de l’ONU chargé de l’application de ce Pacte a énoncé dans l’une de ses observations que :
«… le droit à l’éducation ne peut être exercé que s’il s’accompagne des libertés académiques tant pour le personnel enseignant que pour les étudiants. (…). Les membres de la communauté universitaire sont libres, individuellement ou collectivement, d’acquérir, développer et transmettre savoir et idées à travers la recherche, l’enseignement, l’étude, les discussions, la documentation, la production, la création ou les publications. Les libertés académiques englobent la liberté pour l’individu d’exprimer librement ses opinions sur l’institution ou le système dans lequel il travaille, d’exercer ses fonctions sans être soumis à des mesures discriminatoires et sans crainte de répression de la part de l’État ou de tout autre acteur, de participer aux travaux d’organismes universitaires professionnels ou représentatifs et de jouir de tous les droits de l’homme reconnus sur le plan international applicables aux autres individus relevant de la même juridiction. La jouissance des libertés académiques a pour contrepartie des obligations, par exemple celles de respecter les libertés académiques d’autrui, de garantir un débat contradictoire équitable et de réserver le même traitement à tous sans discrimination fondée sur l’un ou l’autre des motifs prescrits. »[1]
Par ailleurs, en ce qui concerne la liberté d’expression, la Cour suprême s’est maintes fois exprimée sur cette question et il nous apparaît important de rappeler quelques-uns des principes qu’elle a énoncés à ce propos, notamment dans les arrêts phares SDGMR c. Dolphin Delivery [1986] 2 R.C.S. 573 (para. 12) et T.U.A.C., section locale 1518, c. K Mart Canada Ltd., [1999] 2 RCS 1083 (para 23) :
(par. 23) [La liberté d’expression]… constitue l’un des concepts fondamentaux sur lesquels repose le développement historique des institutions politiques, sociales et éducatives de la société occidentale. La démocratie représentative dans la forme actuelle, qui est en grande partie le fruit de la liberté d’exprimer des idées divergentes et d’en discuter, dépend pour son existence de la préservation et de la protection de cette liberté.
Finalement, nous nous permettons de souligner que le plein exercice, par les étudiants et étudiantes de votre établissement, de la liberté d’expression, incluant les débats critiques et vigoureux, fait partie intégrante de la formation à la démocratie participative. Il s’agit d’une voie privilégiée menant à la formation de futurs citoyens et citoyennes engagé-e-s et responsables.
Espérant que ces éléments seront pris en considération afin de favoriser l’exercice de la liberté d’expression et des libertés académiques nécessaires à la pleine réalisation du droit à l’éducation au sein de votre institution, veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.
Nicole Filion
Coordonnatrice
c.c. Monsieur Jean Vaillancourt, recteur, [email protected],
Madame Lyse Ricard, présidente du conseil d’administration a/s André J. Roy, secrétaire général, [email protected],
Madame Louise Briand, présidente, SPUQO, [email protected]
[1] Observation générale 13, Droit à l’éducation, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/1999/10, page 10 et 11.