Deux siècles d’exclusion des Chinois: La lutte contre la sinophobie continue

De 1885 à 1947, les Chinois étaient des non-citoyens, soumis à des restrictions migratoires basées uniquement sur leur race ; une politique unique au Canada. Si le 29 mai 2023 marquait la reconnaissance de la Loi d’exclusion des Chinois en tant qu’événement historique national, la communauté sino-canadienne porte toujours des cicatrices profondes et la lutte contre la sinophobie continue.

Deux siècles d’exclusion des Chinois: La lutte contre la sinophobie continue

Un carnet rédigé par

May Chiu, membre des Chinois progressistes du Québec

Estelle Mi, assistante de recherche à l’Université de McGill et représentante du Comité Jeunesse de la Table Ronde du Quartier chinois.

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


Malgré la récente reconnaissance de la loi d’exclusion des Chinois, le 29 mai 2023, en tant qu’événement historique national, la communauté sino-canadienne porte toujours les cicatrices profondes laissées par ces politiques gouvernementales d’immigration qui les ont aliénées. L’histoire de citoyenneté des Sino-Canadiens commence par l’exclusion même de leur citoyenneté. Commémorer notre exclusion politique au Canada engendré par la sinophobie s’inscrit dans les mêmes luttes contre le racisme anti-asiatiques auxquelles nous sommes encore confrontés aujourd’hui.

Une sinophobie historiquement ancrée dans les législations colonisatrices du Canada

La présence d’une oppression systémique envers les Chinois au Canada est profondément enracinée dans l’histoire du pays. De 1885 à 1947, les Chinois étaient des non-citoyens, soumis à des restrictions migratoires basées uniquement sur leur race ; une politique unique au Canada. Cette réglementation, connue sous le nom de Loi sur l’immigration chinoise, a été élaborée par les autorités coloniales britanniques dans le but de maintenir la suprématie blanche.

L’idéologie coloniale formait un paradoxe autour du statut des Chinois au sein de la nation ; ils étaient inclus sur le plan économique pour être exploités, mais exclus socialement et politiquement de l’Etat-nation. En 1885, par l’Electoral Franchise Act, l’ancien premier ministre du Canada John A. Macdonald a privé les hommes chinois du droit de vote uniquement sur la base de leur différence « biologique ».

Après avoir dépouillé les Chinois de leur légitimité politique en supprimant leurs droits de citoyenneté, il était nécessaire de les exclure socialement en les empêchant de s’installer physiquement dans la société afin d’éviter que leurs familles ne se réunissent et perpétuent la « race mongolienne ». C’est ainsi qu’en 1885, une taxe d’entrée a été mise en place pour ériger des barrières institutionnelles à l’arrivée des Chinois sur le sol canadien. Initialement, une taxe de 50 dollars imposée en 1900, qui a ensuite été augmentée à 100 dollars en 1903 (équivalant à deux ans de salaire pour un travailleur de l’époque), la loi de l’immigration chinoise s’est concrétisée avec une exclusion officielle de tous les nouveaux arrivants chinois au Canada de 1923 à 1947.

Ces politiques ont eu pour conséquence la séparation des familles sino-canadiennes, laissant un héritage de traumatisme générationnel au sein de la communauté.

La construction de ces politiques d’immigration a été façonnée par la ségrégation sociale et les violences discriminatoires perpétrées par la population blanche. L’ouest du Canada a été le théâtre de nombreuses manifestations racistes dirigées contre les travailleurs chinois depuis le début des années 1880. Ces travailleurs, principalement recrutés pour construire le chemin de fer transpacifique à moindre coût, ont été perçus comme une menace en raison de leur nombre important au sein de la société. Ce sentiment anti-chinois a été idéologiquement construit par les médias et le gouvernement sous le terme de « péril jaune ». Cette attitude anti-chinoise s’est propagée dans tout le pays, engendrant un sentiment anti-asiatique généralisé. Lors des manifestations anti-chinoises de 1907 à Vancouver, la communauté japonaise a également été prise pour cible par les manifestants.

La sinophobie contemporaine au Canada

Après l’abolition de la taxe d’entrée et de l’Acte de l’exclusion des Chinois en 1947, de nombreuses lois provinciales et municipales ont continué à cibler les Chinois au Canada, créant ainsi un environnement anti-chinois persistant. Ces politiques discriminatoires comprenaient des mesures économiques telles que l’interdiction d’employer des femmes blanches dans les établissements chinois, l’imposition de taxes plus élevées sur les buanderies chinoises et l’existence de barrières significatives à l’emploi.

À l’époque contemporaine, de nombreux événements contribuent à exacerber la marginalisation des communautés chinoises. Par exemple, au Québec, le parti politique Québec Solidaire, a propagé en 2019 une rhétorique sinophobe en diffusant de fausses informations sur des prédateurs chinois qui prétendaient accaparer les terrains agricoles de la province. De plus, l’influence de la sinophobie américaine sur l’État canadien était évidente lors de l’arrestation de Meng Wangzhou à la demande des États-Unis. Cette même influence américaine s’est illustrée pendant la pandémie de COVID-19, lorsque l’ancien président Trump a visé la Chine en tant que responsable de la pandémie. Une vague de haine anti-asiatique a émergé à travers le monde, jetant ainsi les bases de ce que bon nombre de personnes perçoivent comme la diabolisation contemporaine de la République populaire de Chine et renforçant l’affirmation de la supériorité des États-Unis dans un monde unipolaire.

Au Canada, la stigmatisation des élus canadiens et québécois d’origine chinoise se poursuit, rappelant les chasses aux sorcières chinoises et communistes de l’époque McCarthy aux États-Unis. Tout comme les Canadiens d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, il est présumé que les élus d’origine chinoise devraient automatiquement être en conflit de loyauté entre la Chine et le Canada. Par exemple, en mai 2023, bien que les conclusions du rapport Johnston n’aient pas trouvé de preuves suffisantes d’ingérence lors des élections fédérales canadiennes, les partis politiques ont persisté à demander une enquête sur l’influence étrangère. Cette vague de sinophobie a entraîné des appels à la démission visant des personnalités publiques municipales, notamment la seule conseillère d’opposition de Brossard.

Les oubliés : l’exclusion des Sino-Québécois dans leur intégration sociale

Dans le paysage québécois, les Chinois ont dû subir une énième fois les conséquences de l’idéologie sinophobique, accusant et condamnant la communauté sino-québécoise. Au matin du 9 mars 2023, la communauté a été prise au dépourvu par l’avalanche de titres qui ont émergé dans le paysage médiatique québécois, accusant les deux seuls centres communautaires chinois au Québec d’être en réalité des postes de police de la République Populaire de Chine. Ces allégations étaient basées sur un rapport d’une ONG espagnole, les Safeguard Defenders, subventionnée par la National Endowment for Democracy américaine, affirmant l’existence de 100 postes de police chinois à travers le monde, y compris au Canada.

Ces accusations ont déclenché une condamnation internationale de l’exclusion des Chinois, touchant directement les individus au sein de la communauté québécoise. Malgré le caractère national de l’enquête menée par la GRC sur les présumés postes de police chinois, les seuls centres communautaires chinois nommés par la GRC étaient au Québec : le Centre Sino-Québec et le Service à la famille chinoise de Grand Montréal. En réponse, le gouvernement québécois a coupé les vivres à ces organismes, mettant fin aux cours de français et aux services de formation à l’emploi destinés aux nombreux immigrants chinois qui bénéficiaient de ces organismes. De plus, de nombreux intervenants sociaux, en particulier des femmes racisées, ont perdu leur emploi, tandis que les subventions du gouvernement fédéral destinées à fournir des emplois d’été et à former les jeunes et les étudiants leur ont été refusées.

Cette situation a entraîné une grave violation de la présomption d’innocence, ainsi qu’une atteinte manifeste à la liberté d’association, d’opinion et d’expression pour la communauté chinoise et ses institutions.

Malgré une enquête de quatre mois, ces organismes communautaires restent dans l’ignorance totale des accusations précises et des preuves qui seraient à leur encontre. Pendant ce temps, la menace de fermeture de ces deux centres communautaires, qui fournissent une gamme de services essentiels à la communauté chinoise, persiste de manière préoccupante.

La communauté chinoise cherche à faire valoir ses droits en s’opposant à un projet de loi sur le Registre des agents d’influence étrangers. Cette loi propose la création d’un registre de toute personne susceptible de travailler en faveur d’un gouvernement étranger malveillant par rapport aux intérêts du Canada. En tant que premiers immigrants à avoir fait face à l’exclusion et à la surveillance de masse, notre communauté a lancé une pétition dénonçant ce registre qui, selon le sénateur Yuen Pau Woo, qualifie de processus alimentant les formes contemporaines d’exclusion de la communauté. En effet, nous nous attendons à être les premières cibles dans ce registre, alors que le pays ayant le plus grand nombre d’agents interférant dans d’autres nations est les États-Unis.

Revendiquer notre humanité dans la citoyenneté

En affirmant notre identité chinoise, nous revendiquons les droits humains qui nous ont été historiquement refusés en raison de cette même identité. La convergence de la sinophobie et du racisme anti-chinois définit notre lutte visant à mettre fin à notre exclusion de la société. La communauté chinoise se bat pour la reconnaissance de sa citoyenneté en tant que l’une des principales stratégies pour garantir le respect de l’ensemble de ses droits fondamentaux. Cependant, cette lutte soulève des questions profondes concernant le concept d’appartenance nationale : quelle est la véritable signification d’être canadien lorsque nous habitons un territoire où les droits humains ont été violés par la colonisation ? Comment pouvons-nous affirmer notre humanité sur une terre où ces mêmes droits ont été injustement retirés aux peuples autochtones ? Comment pouvons-nous lutter contre le racisme institutionnalisé perpétré par l’État canadien dans un pays façonné par le colonialisme et l’impérialisme ?