Lettre ouverte : D’importantes questions pour votre gouvernement

Les contradictions qui s’accumulent dans les décisions de votre gouvernement font mal aux droits humains et, par le fait même, à la démocratie.

LETTRE OUVERTE

Lettre publiée dans La Presse

Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés
Catherine Descoteaux, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés

Le 20 octobre 2021

Monsieur le Premier ministre François Legault,

Le 23 octobre prochain, cela fera 30 jours que la Loi établissant un périmètre aux abords de certains lieux afin d’encadrer les manifestations en lien avec la pandémie de la COVID-19, sera en vigueur. Cette loi a été adoptée en une seule journée de débats par l’Assemblée nationale alors qu’elle limite de manière injustifiée le droit de manifester autour des centres de soins et des établissements d’éducation, en ciblant particulièrement certains discours qui « dérangent » selon la ministre de la sécurité publique Mme Guilbault.

Votre gouvernement pourrait choisir de cesser ou de prolonger son application pour 30 autres jours, ou encore, souhaitons-le, de mettre carrément fin à l’état d’urgence sanitaire qui annulerait cette loi ainsi que tous les décrets et (arrêtés ministériels) émis depuis 19 mois.

Depuis le 13 mars 2020, la Ligue des droits et libertés questionne les nombreuses décisions prises par votre gouvernement en ayant toujours en tête cette question : quels seront leurs impacts sur les droits humains ?

Les contradictions qui s’accumulent dans les décisions de votre gouvernement font mal aux droits humains et, par le fait même, à la démocratie. Pourquoi permettre encore aux conseils municipaux de siéger à huis clos alors que le Centre Bell peut accueillir plus de 20 000 personnes?

Pourquoi imposer une vaccination obligatoire à l’ensemble du personnel de soins de santé au détriment à leur droit au travail, alors que des alternatives existent (fournir la preuve d’un test négatif ou attestant du rétablissement de la COVID-19), alors qu’il est épuisé par les multiples heures supplémentaires travaillées depuis le début de la pandémie et que le système de santé fait face à une pénurie de main d’œuvre depuis des années ?

Pourquoi continuer de réprimer la population qui questionne les décisions concernant la gestion de la pandémie plutôt que d’établir avec elle un dialogue démocratique sain à travers les processus de consultations publiques ? Pourquoi mettre en place des mesures coercitives et tenir un discours paternaliste qui contribuent à polariser et diviser la population québécoise?

Pourquoi lier encore la levée de l’état d’urgence sanitaire avec le niveau de vaccination? Il y a quelques mois, vous l’aviez déjà fait en laissant miroiter qu’il faudrait un taux de 75% de la population pour mettre fin à l’état d’urgence sanitaire.

Et pour ajouter l’insulte à l’injure, pourquoi aller jusqu’à adopter une loi limitant le droit de manifester et la liberté d’expression de groupes qui vous critiquent, alors que des lois existantes prévoient déjà des dispositifs pour éviter des incidents potentiels?

C’est en temps de crise qu’on voit si les gouvernements accordent de l’importance aux droits humains, puisqu’ils sont si faciles à mettre de côté. Ne pas tenir compte d’eux dans la gestion de la pandémie de COVID-19 nous amènerait droit dans un mur en tant que société. Il est grand temps de reconnaître que la participation citoyenne est un élément à valoriser et à mettre en œuvre. Il faut ramener les droits humains et les droits démocratiques au cœur des discussions concernant la gestion de la pandémie. Il faut permettre aux voix dissidentes de se faire entendre.

La gestion de la pandémie dans le respect des droits humains exige le renforcement des mécanismes délibératifs de l’Assemblée nationale tout autant que la multiplication des lieux de délibération citoyenne. Il est donc impératif de lever dès maintenant l’état d’urgence sanitaire, chose que la LDL et une centaine de groupes de la société civile vous demandent depuis ce printemps. Cela permettra de ne pas renouveler la Loi établissant un périmètre aux abords de certains lieux afin d’encadrer les manifestations en lien avec la pandémie de la COVID-19 et de mettre fin à une gouvernance par décrets. Pour redonner, enfin, la place qu’ils méritent à nos principes démocratiques.