Femmes, violences et droits humains – Lutte acharnée pour l’égalité

Les violences envers les femmes relèvent d’un continuum basé sur les rapports de pouvoir inégalitaires soutenus par des structures oppressives, tant dans la sphère publique que privée. Les militantes de la FMHF invitent à réfléchir à cet enjeu en adoptant la perspective de l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits.

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Manon Monastesse, directrice générale
Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF)
Marie-Hélène Senay, coordonnatrice communication et analyse
Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF)

 

N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.

Simone de Beauvoir
Le deuxième sexe, 1949

Les droits humains constituent certainement la construction sociale la plus prometteuse visant à assurer à toutes et tous un vivre ensemble enfin égalitaire. Ambitieux et à portée universelle, osons-nous espérer, ce projet commun assoie le développement de nos sociétés, principalement patriarcales[1], sur un socle qui promet à toutes et tous l’égalité et la justice. Bien que toujours inachevé, c’est néanmoins l’instrument le plus concret permettant de faire reconnaître les droits des plus vulnérables et marginalisé-e-s de nos concitoyen-ne-s. Toutefois, entre les textes et les réalités, entre l’égalité de droit et l’égalité de fait : la marche reste longue.

Ainsi, cet idéal ne s’est pas construit sans heurts. Bien que les questions dites « femmes » soient à l’ordre du jour depuis 1947[2], la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), bien qu’avec un grand H, remisait la moitié de l’humanité au placard en évacuant de son intitulé le « deuxième sexe ». Qui plus est, ce combat occupe toujours les féministes d’ici et d’ailleurs qui exigent qu’elle soit renommée la déclaration universelle des droits de la personne. Si les mots fondent la pensée, il est plus que temps que les textes incarnent réellement la volonté d’éradiquer les rapports de pouvoir.

Il en a fallu du temps et des batailles pour que les femmes soient reconnues comme des citoyennes à part entière. Dès 1951, étaient discutées les questions d’équité salariale[3]. En 1957, on adoptait la Convention sur la nationalité de la femme mariée. La Convention pour l’élimination de toutes formes de discriminations envers les femmes, distinguant leurs réalités et oppressions particulières, date de 1979. Il a été nécessaire d’attendre la Conférence de Nairobi en 1985 pour que les questions femmes soient considérées comme transversales et 1993 pour que l’on traite directement des multiples formes de violences envers les femmes (Déclaration pour l’élimination des violences envers les femmes).

Pourtant, cette pandémie affecte encore (!) une femme sur trois au Canada[4]. Environ 12 femmes par année[5] meurent tuées par leur partenaire intime au Québec et 70 % des assassinats de femmes le sont par leur plus proche compagnon[6].

Pourquoi est-il si difficile pour nos sociétés, dites progressistes, et disposant des outils que sont les droits humains, de reconnaitre et de changer les comportements en matière de violences envers les femmes? Certainement parce qu’elles restent fondamentalement des sociétés patriarcales où les hommes refusent de reconnaitre et de renoncer à leurs privilèges, ce qui permettrait l’émancipation effective des femmes et des filles.

Les violences envers les femmes relèvent d’un continuum basé sur les rapports de pouvoir inégalitaires soutenus par des structures oppressives, tant dans la sphère publique que privée. Les institutions religieuses, le manque d’accessibilité et les délais du système judiciaire, les pratiques policières, le sexisme ordinaire, la culture du viol, le contrôle du corps des femmes à travers l’accès à la contraception ou l’avortement, l’embryonnaire conciliation études-travail-famille, l’équité salariale toujours en cours de réalisation, la faible représentation des femmes dans les lieux de pouvoir (politique, juridique, affaires), etc. Tous ces faits sont des exemples flagrants de la domination des hommes sur les femmes dans l’espace public.

Dans la sphère privée, il faut comprendre les violences envers les femmes tant comme la preuve des inégalités encore à l’œuvre dans nos sociétés que comme un levier de maintien important de ces inégalités. De la violence conjugale et familiale aux violences basées sur l’honneur, de la traite à l’exploitation sexuelle : toutes ces violations de droits fondamentaux sont perpétrées surtout par les hommes sur les femmes parce qu’elles sont des femmes, et ce, afin de les maintenir dans des rapports de subordination.

On constate aisément que les droits des femmes sont souvent les premiers remis en question. Harper a déstructuré le mouvement féministe au Canada. Trump n’a pas attendu longtemps avant de résilier les mesures mises de l’avant pour lutter contre les violences envers les femmes aux États-Unis. Poutine a réduit la législation contre la violence conjugale en Russie. Et plus près de nous, le gouvernement du Québec, bien qu’il se soit doté d’un plan d’action dans ce domaine, se questionne encore sur la faisabilité de l’application de l’analyse différenciée selon les sexes dans l’élaboration des politiques publiques, ce qui permettrait de répondre aux réalités particulières et besoins spécifiques de la moitié de la société.

Pourtant, le Québec est un chef de file de l’élaboration de politiques et de plans d’action : égalité, itinérance, violence conjugale, agression et exploitation sexuelle, santé et bien-être des femmes, maltraitance des ainé-e-s, protection de la jeunesse, analyse différenciée selon les sexes (ADS), etc.; et ce, sans vision globale ni principes directeurs cohérents. Cette multiplication des démarches témoigne de l’incapacité de développer une lecture transversale lorsque sont évoqués les droits des femmes.

Sortir des silos (violences, agression, traite, violence basée sur l’honneur, égalité, analyse différentiée selon le sexe, santé des femmes), et réfléchir en adoptant la perspective de l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits, très bien articulée dans la Déclaration de Vienne (1993), favoriseraient certainement l’émergence d’une société plus juste et plus égalitaire, permettant à toutes les femmes de vivre une vie exempte de violence et réellement libre.

Longue vie aux droits humains, accessibles aux deux moitiés de l’humanité!

 

[1] Comprendre par là « fondées sur la domination du masculin sur le féminin ».

[2] Commission de la condition de la femme, 15 représentants d’autant de pays

[3] Convention concernant l’égalité de la rémunération entre la main-d’œuvre masculine et la main d’œuvre féminine pour un travail de valeur égale.

[4] OMS, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs239/fr/

[5] Institut national de santé publique du Québec, trousse média sur la violence conjugale/homicide-conjugal

[6] Disponible ici : http://www.endvawnow.org/fr/articles/299-faits-en-un-coup-doeil-statistiques-sur-la-violence-a-legard-des-femmes.html

 

 

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