Lettre ouverte publiée dans Le Soleil, le 2 octobre 2023
Laurence Guénette, coordonnatrice et porte-parole de la Ligue des droits et libertés
Chantal Ide, membre du Comité Droits des peuples autochtones de la Ligue des droits et libertés
Nelly Marcoux, membre du Comité Droits des peuples autochtones de la Ligue des droits et libertés
François Saillant, membre du Comité Droits des peuples autochtones de la Ligue des droits et libertés
Ce 1er octobre marque le 5e anniversaire de l’élection de la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2018, alors que ces derniers jours marquaient également la Journée nationale de la Vérité et de la Réconciliation, l’anniversaire du dépôt du rapport de la Commission Viens en 2019 et celui du décès de Joyce Echaquan en 2020. Si, de façon globale, le Québec a énormément de travail à faire pour aborder les fondements coloniaux de ses relations avec les peuples autochtones et les impacts de siècles de dépossession, de racisme et de politiques paternalistes, l’approche et les positions du gouvernement Legault durant ces cinq dernières années se caractérisent par un recul dans ce processus déjà chargé et complexe.
Les exemples ne manquent malheureusement pas pour illustrer ce recul. On peut citer l’inaction du gouvernement en ce qui a trait à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et ce, malgré deux motions adoptées à l’unanimité par l’Assemblée nationale appuyant la mise en œuvre de celle-ci. On peut penser également au fait que le gouvernement québécois conteste présentement en Cour suprême une loi fédérale visant à mettre en œuvre l’autodétermination des peuples autochtones en matière de protection de la jeunesse et de services à la famille. On peut évoquer l’élaboration et l’adoption – lire l’imposition – de lois et cadres réglementaires affectant profondément les peuples autochtones sans se donner la peine de refléter leurs réalités, leurs perspectives et leurs recommandations (par exemple, la réforme de la Charte de la langue française en 2022 ou, plus récemment, le projet de loi 32 non désiré sur la sécurisation culturelle).
Manque d’écoute
Ces exemples dénotent une approche caractérisée par un profond manque d’écoute et de respect pour les droits, les préoccupations et les aspirations des peuples autochtones.
Deux principaux fils conducteurs sous-tendent cette approche, tous deux fréquemment dénoncés par des leaders et communautés autochtones.
D’une part, l’aveuglement volontaire du gouvernement en ce qui a trait à l’existence et aux impacts du racisme systémique prétend justifier son manque de considération pour les demandes et stratégies des communautés, leaders et experts autochtones pour assurer l’avenir et l’épanouissement de leurs membres, familles, communautés et nations.
D’autre part, le refus d’exercer un leadership fort pour assurer le respect et la pleine mise en œuvre de l’autodétermination des peuples autochtones au Québec (qui, dans certains cas, va jusqu’à l’obstruction) continue à faire obstacle à la pleine réalisation de ce droit collectif fondamental.
Vision mal définie
Ce déni et cette inertie, lourds de conséquences, n’ont pas été inventés par la CAQ et ne sont pas son fait exclusif. Au fil des ans, entre obstruction, négligence et solidarité défaillante, l’Assemblée nationale n’a pas su définir, en collaboration avec les peuples autochtones, une vision au sein de laquelle l’autodétermination et l’épanouissement des sociétés autochtones et allochtones sont considérés sur un pied d’égalité et ne sont pas mis en opposition. Une vision qui permettrait de respecter et d’honorer nos aspirations et nos besoins, tant communs que distincts, dans le contexte de relations de nation à nation.
Nous disposons de plusieurs ressources pour guider une telle démarche, à commencer par tout le savoir des communautés et nations des peuples autochtones de ce territoire.
Nous disposons également de nombreux rapports de diverses commissions et organisations autochtones et allochtones qui analysent et expliquent clairement les enjeux politiques, sociaux, culturels, économiques et environnementaux qui font obstacle à l’exercice des droits des peuples autochtones et identifient des actions, pratiques et pistes de solution pour les aborder à tous les niveaux.
Face à l’absence de volonté politique et de leadership moral fort de la part du gouvernement et des élu-e-s, il revient à la collectivité de remettre, encore et encore, la lutte contre le racisme systémique et la question de l’autodétermination des peuples autochtones sur la table, d’amplifier et de relayer les demandes des communautés et nations autochtones de manière à en faire des enjeux incontournables et de refuser toute vision de notre avenir collectif incompatible avec un profond respect des droits et de l’autodétermination des peuples autochtones.