La Convention relative aux droits des personnes handicapées : des efforts du Canada depuis près de 20 ans

Compte tenu de l’implication du Canada dans le développement de la Convention, est-ce que le pays a maintenu son leadership depuis son entrée en vigueur en 2008?

Retour à la table des matières
Revue Droits & Libertés, print. / été 2021

Mona Paré,
Professeure, Université d’Ottawa, Section de droit civil

En décembre 2006, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) fut adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, après tout juste quatre ans de négociations. Elle est également entrée en vigueur rapidement, en 2008. Le Canada, qui avait activement pris part aux négociations, a affirmé son engagement à mettre en œuvre la Convention en la ratifiant en 2010. La CDPH fait partie des neuf traités internationaux qui forment le socle du système de protection des droits de la personne aux Nations Unies.

Depuis l’entrée en vigueur de la Convention au Canada, le pays a également ratifié le Protocole facultatif à la CDPH qui met en place un système de plaintes et le Québec s’est déclaré lié par ce protocole. Ainsi, depuis 2018, le Comité des personnes handicapées, qui est l’organe de suivi de la mise en œuvre de la CDPH, peut se prononcer sur des allégations de violation de la Convention par le Canada. Les communications peuvent être portées à l’attention du Comité par des individus ou des groupes qui prétendent être victimes d’une violation par le Canada des dispositions de la Convention. De plus, le Protocole facultatif permet au Comité de mener des enquêtes en cas d’allégations de violations graves ou systématiques des droits garantis par la Convention.

Aucune plainte n’a encore été formulée contre le Canada, mais la mise en œuvre de la Convention a été examinée par le Comité des droits des personnes handicapées en 2017.

Un instrument de non-discrimination atypique

Alors que le caractère holistique ou hybride de la Convention a été discuté à maintes reprises[1], le Canada a dès le départ fait valoir que la CDPH était un traité de non-discrimination. Selon le Canada, la Convention ne crée pas de nouveaux droits, mais est un instrument de prévention de la discrimination permettant une meilleure application des droits universels de la personne aux personnes handicapées[2].

On pourrait faire valoir que la Convention est plus large qu’un simple instrument de non-discrimination[3]. Elle inclut des dispositions très différentes de celles que l’on retrouve dans les autres conventions des droits de la personne de l’ONU et particulièrement dans les traités de non-discrimination comme les conventions sur l’élimination de la discrimination raciale et de la discrimination à l’égard des femmes. En effet, non seulement la CDPH inclut des droits appartenant à toutes les catégories : économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, mais elle inclut aussi des dispositions pratiques, inédites en droit international des droits de la personne. Ainsi, on y retrouve l’article 9 sur l’accessibilité, avec une liste de mesures pour éliminer les obstacles à l’accessibilité aux bâtiments, transports, communications, services, etc. L’article 20 sur la mobilité personnelle demande aux États de faciliter l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité. Certaines dispositions sont développées de telle manière qu’elles divergent des droits universels sur lesquels elles se basent. Par exemple, l’article 29 sur la participation à la vie politique demande aux États de veiller à ce que les procédures, équipements et matériels électoraux soient appropriés, accessibles et faciles à comprendre et à utiliser. L’article 25 sur le droit à la santé identifie particulièrement la fourniture de services de santé sexuelle et génésique, ainsi que des services de dépistage et d’intervention précoces[4].

De nouveaux droits de la personne

De plus, la CDPH inclut des droits qui ne font pas partie des droits fondamentaux garantis par les instruments universels de protection des droits humains sur lesquels le principe de non-discrimination devrait se fonder, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme ou les pactes internationaux sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels. Par exemple, on y retrouve le droit des personnes handicapées de vivre dans la société (article 19). Il n’existe pas de tel article dans les autres conventions internationales. La CDPH garantit également le droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance (article 16). Dans les traités internationaux, ce droit n’est explicitement reconnu qu’aux enfants dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Finalement, la CDPH inclut des articles sur la mise en œuvre de la Convention qui sont nouveaux en droit international des droits de la personne : l’article 31 sur la collecte de statistiques et de données, l’article 32 sur la coopération internationale et l’article 33 sur le rôle des institutions indépendantes et de la société civile dans l’application et le suivi de la Convention.

Des droits pour permettre l’égalité avec les autres

Toutefois, on peut soutenir que toutes ces dispositions atypiques sont tout simplement nécessaires afin d’assurer le respect des droits humains aux personnes handicapées dans des conditions d’égalité avec les autres. Ainsi, sans mesures pour assurer l’accessibilité de l’environnement physique et des communications, les personnes handicapées ne pourraient pas exercer leurs droits, qu’il s’agisse de la santé ou de la participation politique. Le droit au travail demeurerait théorique, si on ne prenait pas des mesures pour « promouvoir les possibilités d’emploi et d’avancement des personnes handicapées sur le marché du travail, ainsi que l’aide à la recherche et à l’obtention d’un emploi, au maintien dans l’emploi et au retour à l’emploi » (article 27.1 e). Quant au droit à la liberté de circulation (article 18), pour qu’il ait une véritable signification pour les personnes handicapées, il doit être associé au droit à la nationalité[5], ainsi qu’au droit à l’inclusion dans la société (article 19) et à la mobilité (article 20).

Le rôle du Canada

Le Canada a joué un rôle important dans le développement sur la non-discrimination et l’égalité dans la CDPH. En effet, ces notions sont les piliers de la Convention. Les principes généraux de la Convention incluent la non-discrimination et l’égalité, ainsi que des notions connexes comme la dignité, le respect de la différence, l’accessibilité et l’inclusion (article 3). L’article 5 garantit les différentes facettes du droit à l’égalité et à la non-discrimination, incluant l’obligation pour les États d’apporter des aménagements raisonnables, qui correspondent au concept d’accommodement raisonnable en droit canadien. En plus des articles portant sur la non-discrimination et l’égalité, le Canada avait accordé une attention particulière au développement des dispositions sur les femmes handicapées, ainsi que la reconnaissance de la personnalité juridique des personnes handicapées[6].

Efforts et défis de mise en œuvre de la CDPH

Le Canada a présenté son rapport initial sur la mise en œuvre de la CDPH au Comité des droits des personnes handicapées en 2017. Sur la base de ce rapport faisant état de l’application de la CDPH au niveau fédéral, provincial et territorial, le Comité a adopté des Observations finales dans lesquelles il note les aspects positifs des efforts effectués au Canada, ses principaux sujets de préoccupation et ses recommandations.

Vu l’implication du Canada dans le développement de la CDPH et son apport à la rédaction d’articles particuliers dans la Convention, on peut se demander si le pays a maintenu son leadership depuis l’entrée en vigueur de la Convention. 

Un premier constat permet d’en douter. Le Comité note que les dispositions de la CDPH n’ont pas été incorporées dans la législation et les politiques et ne sont pas reflétées de manière uniforme dans la jurisprudence[7]. En témoigne par exemple l’adoption de lois sur l’accessibilité qui est inégale à travers le pays. Le Québec notamment ne s’est pas doté de ce type de loi pour lever les obstacles de manière globale. Le Comité recommande ainsi une approche pancanadienne de l’application de la Convention et une meilleure coordination entre les différents niveaux de l’État. Au sujet de la non-discrimination, le Comité note « les inégalités qui persistent dans l’exercice et la jouissance par les personnes handicapées de leurs droits, notamment les droits à l’éducation, au travail et à l’emploi et à un niveau de vie suffisant » (article 5)[8]. On mentionne également les femmes handicapées, qui « sont victimes de discriminations croisées, notamment dans l’accès à la justice » (article 6)[9]. Le Comité est particulièrement préoccupé au sujet de l’application de l’article 12 sur la personnalité juridique, qui traite de l’exercice de la capacité juridique par les personnes handicapées et adopte le modèle d’accompagnement plutôt que celui de représentation. Alors que le Canada avait joué un rôle de premier plan dans la rédaction de cet article, il avait fait une réserve se permettant de continuer les mesures de représentation pour les personnes jugées incapables de prendre des décisions pour elles-mêmes. Le Comité réprimande le Canada pour le maintien cette réserve et le fait que la pratique de la prise de décisions substitutive perdure dans plusieurs provinces, dont le Québec[10]. Selon le Comité, la réserve est contraire à l’objet et au but de la Convention et n’est donc pas légitime en droit international. Il est clair que la CDPH est un instrument complexe qui demande des efforts considérables des États pour sa mise en œuvre. Pour maintenir son engagement envers les droits des personnes handicapées, le Canada ne doit pas se reposer sur ses lauriers. Autant le gouvernement fédéral que les provinces doivent collaborer avec les personnes handicapées et leurs organisations pour adopter des stratégies de lutte contre le capacitisme et lever les obstacles à l’exercice des droits de la personne dans des conditions d’égalité.


[1] L’intention initiale était d’élaborer « une convention internationale globale et intégrée pour la promotion et la protection des droits et de la dignité des handicapés en tenant compte de l’approche intégrée qui sous-tend le travail effectué dans les domaines du développement social, des droits de l’homme et de la non-discrimination », Résolution 56/168 de l’Assemblée générale des Nations Unies.

[2] Déclaration par l’Ambassadeur du Canada aux Nations unies lors de l‘adoption de la CDPH, le 13 décembre 2006, en ligne : https://www.un.org/esa/socdev/enable/convstatementgov.htm#ca

[3] Voir par exemple Rosemary Kayess et Phillip French, “Out of Darkness into Light? Introducing the Convention on the Rights of Persons with Disabilities”, Human Rights Law Review, 2008 (8), 1-34; Frédéric Mégret, “The Disabilities Convention: Towards a Holistic Concept of Rights”, The International Journal of Human Rights, 2008 (12), 261-278; Mona Paré, « La Convention relative aux droits des personnes handicapées : quel impact sur le droit international? », Revue générale de droit international public, 2009 (3), 497-522.

[4] Comparer avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

[5] C’est un droit qui ne concerne que les enfants dans les autres traités principaux des droits de la personne.

[6] La compilation des travaux préparatoires de la CDPH se trouve sur ce site : https://www.un.org/esa/socdev/enable/rights/adhoccom.htm

[7] Comité des droits des personnes handicapées, Observations finales concernant le rapport initial du Canada, Doc. N.U. CRPD/C/CAN/CO/1, 2017, para. 9-10.

[8] Ibid, au para. 13.

[9] Ibid, au para.15.

[10] Ibid, aux para. 7, 27.

Retour à la table des matières