Premier d’une série de trois textes rédigés par le comité Droit à la santé de la Ligue des droits et libertés. Aujourd’hui, l’érosion des pratiques démocratiques dans notre système de santé et de services sociaux représente un recul du droit à la santé.

Lucie Lamarche, au nom du comité Droit à la santé de la Ligue des droits et libertés (LDL), membre de la LDL

Nicole Filion, au nom du comité Droit à la santé de la Ligue des droits et libertés (LDL), membre de la LDL

 

Le projet de loi 15 n’offre aucun remède sérieux à la quasi-disparition du pouvoir citoyen au sein de notre réseau des services de santé et de services sociaux (RSSSS). Rappelons que cette quasi-disparition n’est pas arrivée de manière inopinée. Nous sommes ainsi passés d’une gestion publique des services de première ligne par les Centres locaux de services communautaires (CLSC) à une gestion privée aux mains des médecins de Groupes de médecine familiale (GMF), sur laquelle la population n’a aucune prise. Sans compter la disparition presque complète de l’exercice d’une « certaine forme » de démocratie au sein des établissements du RSSSS.

À la différence des GMF axés essentiellement sur le curatif, les CLSC, au moment de leur création, s’étaient vu confier un mandat d’intervention communautaire afin d’assurer le volet prévention et promotion de la santé. La population était impliquée dans l’identification des différentes causes sociales, économiques ou autres ayant une incidence sur la santé et était soutenue dans ses démarches pour contrer ces obstacles. Les membres des conseils d’administration (C.A.) des CLSC étaient élus par les employés et la population du territoire desservi. La prise en charge collective de la santé était ainsi favorisée et la communauté avait une voix pour intervenir dans l’organisation des services.

On connaît la suite : remise en question peu de temps après leur création, tant par le gouvernement que par les structures de représentation des médecins, la mission des CLSC s’est considérablement érodée de sorte que l’intervention communautaire ne fait plus partie à proprement parler de la mission des CLSC.

Par ailleurs, les réformes qu’a connues le RSSSS ont mené à l’exclusion de la population des structures de gouvernance du fait de l’abolition des C.A. de différents établissements tels que les CHSLD, les centres de réadaptation, les centres hospitaliers, les centres jeunesse.

Quant aux C.A. des CISSS et CIUSSS, sur la vingtaine de membres nommés par le ministre de la Santé et des Services sociaux, un seul est actuellement désigné par et parmi les membres du comité des usagers. On est bien loin ici d’un mandat de représentation confié par la population à des membres de C.A. d’établissements.

On pourrait à première vue évaluer que le PL 15 accorde plus de place aux usagers en ce qui concerne les C.A. des futurs établissements territoriaux (les CISSS et CIUSSS actuels), puisqu’ils seront au nombre de 5 sur 11 membres. Toutefois, il faut noter que le rôle de ces C.A. sera limité à conseiller le PDG de l’établissement alors qu’actuellement, les C.A. ont les pleins pouvoirs d’administration et les PDG exécutent leurs décisions.

Mais il n’y a pas que l’absence de participation de la population aux instances qui pose un problème du point de vue du droit à la santé.

De manière générale, la population ne dispose pas d’une reconnaissance explicite de sa capacité à identifier différentes problématiques ayant une incidence sur la santé ; pas plus d’ailleurs en ce qui concerne l’élaboration de politiques, de programmes ou de plans d’action de nature à y remédier.

Or, pour le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, la participation de la population à la prise de toutes les décisions en matière de santé est l’un des aspects essentiels du droit à la santé. Cela implique l’association effective de la collectivité à la définition des priorités, à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation périodique et transparente de toute stratégie visant à améliorer la situation en matière de santé, ce qui nous mène bien au-delà du seul volet curatif.

Le Comité rappelle aussi que la participation de la population concernant la mise en place des services et installations permet de tenir compte des enjeux de discrimination et de parer à toute forme de discrimination systémique.

Comme pour tous les droits de la personne, le droit à la santé impose trois catégories d’obligations aux États : respecter, protéger et mettre en œuvre. En conséquence, l’État doit mettre en place les mesures pour favoriser la participation de la population aux prises de décision. Parmi ces mesures, il doit assurer l’accès à toutes les informations qui sont cruciales pour protéger la santé. La population doit aussi avoir son mot à dire sur les différentes formes que devra prendre cette participation et l’État doit lui fournir les outils nécessaires à cette participation.

À l’évidence, notre système de santé ne respecte pas ces conditions et le PL 15 essentiellement orienté sur la performance du réseau ne permettra pas à la population d’être partie prenante du vaste chantier actuellement mis en œuvre par le gouvernement. Ce n’est pas anodin que 55 organisations aient dénoncé le 23 mai dernier le déficit démocratique et le manque de consultations entourant le PL15 et le plan santé. Cela ne sera pas sans impact sur la capacité de s’assurer que les politiques, programmes et plans d’action tiennent compte des enjeux auxquels sont confrontées la population et différentes communautés de notre société, enjeux liés aux divers déterminants sociaux de la santé.