La santé publique mondiale repensée avec la révision du règlement sanitaire international de l’OMS
Un carnet rédigé par Gabriel Blouin Genest, Ph.D., professeur agrégé, École de politique appliquée, Université de Sherbrooke, directeur scientifique, CIDIS – Centre interdisciplinaire de développement international en santé, membre du comité scientifique et cofondateur, Revue Le Climatoscope
Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.
Le règlement sanitaire international (RSI) est un outil de droit international de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui a pour objectif de « prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux »[1]. Le RSI s’inscrit dans la responsabilité historique de l’OMS, conférée par sa constitution, « d’administrer le régime mondial de lutte contre la propagation internationale des maladies »[2] et représente un des outils de santé mondiale les plus élaborés, bien que relativement peu connu, du moins jusqu’à ce qu’il apparaisse dans l’actualité lors de la pandémie de COVID-19.
Cet instrument juridiquement contraignant pour ses 196 signataires, incluant l’OMS, a notamment été mobilisé lors de cette pandémie afin de déclencher ce que cet instrument juridique qualifie d’ « urgence de santé publique de portée internationale », concept central de la gouvernance mondiale de la santé par cette organisation internationale. Ce concept permet l’arrimage avec les plans d’urgence nationaux des différentes pays membres de l’OMS, le déclenchement de contrats de produits pharmaceutiques prénégociés ou l’utilisation de ressources ou fonds d’urgence pour faire face aux risques sanitaires.
La version actuelle du RSI date de 2005, elle-même étant venue remplacer une précédente version datant de 1969 et qui avait largement démontrée son incapacité à répondre aux nouveaux risques sanitaires globaux, notamment ceux posés par l’interconnexion et les échanges croissants liés à la mondialisation. Dans sa forme actuelle, et malgré son intérêt et sa flexibilité pour répondre aux menaces telle que celles présentées par les pandémies, le RSI a en même temps rapidement montré ses limites, notamment les inégales capacités de réponse des pays ou l’iniquité d’accès aux vaccins et matériel médical lors d’urgences sanitaires.
Il a aussi fait l’objet de nombreuses critiques, par exemple, que cet instrument se concentre sur les priorités de santé et intérêts des pays les plus riches, ou renforce une approche sécuritaire et de court terme de la santé, à l’opposé d’une approche ayant pour objectif les droits humains et la justice.
Des lacunes à corriger
Ces problèmes et critiques ont amené l’OMS, à la demande des États membres, à mettre en place un groupe de travail devant aboutir à la proposition d’amendements qui, sans changer fondamentalement le RSI en lui-même, viendraient répondre à plusieurs des lacunes observées lors de la pandémie de COVID-19, mais aussi précédemment lors des épisodes de H1N1, Ébola ou Zika. Plus de 300 amendements[3] ont, jusqu’à maintenant, été proposés et sont présentement à l’étude par le groupe de travail de l’OMS, qui devra déposer ses recommandations finales d’amendements du RSI pour la 70e Assemblée mondiale de la Santé à la fin mai 2024.
Des amendements pour plus de droit, d’équité et de justice en santé mondiale
Plusieurs de ces propositions d’amendement ont, selon nous, un fort potentiel de réorientation de la santé mondiale vers une approche de droits humains, d’équité et de justice.
Des propositions ont par exemple été faites pour renforcer les objectifs d’application du RSI qui doivent se faire, dans l’état actuel des choses, en limitant les entraves « au trafic et commerce internationaux »[4]. Cela signifie que les mesures sanitaires, lorsque déployées en contexte d’urgence, doivent éviter d’affecter le commerce, soulignant ainsi ici la dominante commerciale, et non de santé humaine, d’équité ou de justice, des objectifs initiaux du RSI. Pour pallier cette anomalie il est proposé d’amender cet élément en y ajoutant que les mesures sanitaires mises en place doivent également éviter de créer des entraves « aux moyens de subsistance, aux droits humains, à l’accès équitable aux produits de santé et aux technologies et savoir-faire sanitaires » (article 2). L’ajout d’une dimension de droits humains, d’équité et de justice au RSI représenterait une véritable révolution dans le domaine des instruments juridiques de la santé mondiale.
Une seconde proposition d’amendement, très significative dans sa portée d’évolution de la santé mondiale vers une approche de droits, d’équité et de justice consiste en l’introduction de la notion de « responsabilités communes, mais différenciées et [de] capacités respectives » (article 3) des États concernant la mise en œuvre du RSI.
S’inspirant de ce qui se fait dans le domaine du droit international de l’environnement, cette proposition d’amendement permet de souligner la responsabilité partagée de toutes les parties en ce qui concerne la santé mondiale, entendue donc comme bien commun, tout en rappelant les capacités actuelles différentes des parties.
Cette conception convient de la nécessaire mise en place d’outils permettant de répondre à ces inégalités, notamment par un appui technique de la part de l’OMS et des autres pays membres (articles 4, 5).
Cela pourrait prendre la forme, comme le suggèrent par exemple les propositions d’amendement, d’une aide financière ou d’une assistance aux pays les plus pauvres lors des urgences de santé publique de portée internationale (article 44, annexe 1), d’un accès plus équitable aux « contre-mesures médicales » comme les vaccins ou traitements (article 17), d’une meilleure équité dans la distribution et l’utilisation des « produits de santé » (article 13a, 44), ainsi que d’une nouvelle définition de ce que constituent justement ces produits (article 1), en y incluant spécifiquement les vaccins, équipements de protection individuelle, outils de diagnostics, aide technique, etc.
Ces propositions d’amendement viennent ainsi rappeler les inégales capacités de réponse des pays face aux urgences sanitaires et les responsabilités des pays en ayant de plus développées ; le tout pouvant réorienter la santé mondiale vers des objectifs d’équité et de justice.
Plus novateur, mais en même temps plus sujet aux susceptibilités et intérêts de certains pays, il a aussi été proposé de mettre en place un mécanisme de dérogation au droit de propriété intellectuelle (article 13a) concernant le développement de médicaments, traitements ou vaccins lors des urgences sanitaires, ou d’une base de données en accès libre contenant les « informations détaillées sur les ingrédients, les composantes, la conception, le savoir-faire, le processus de fabrication ou toute autre information requise pour faciliter la fabrication des produits de santé nécessaires pour réagir face aux potentielles urgences de santé publique de portée internationale » (article 13a paragraphe 6). Ces éléments sont à la base de la proposition de l’identification d’une « liste de produits de santé nécessaires », sorte de copie de la liste – ô combien conflictuelle – des médicaments essentiels, mais applicables ici dans les contextes d’urgence.
Redéfinir les critères et les risques
Enfin, la définition même de ce qui constitue une urgence de santé publique de portée internationale fait l’objet de propositions d’amendements, en incluant par exemple une mise à jour des critères d’évaluation du risque (article 5), une échelle de niveaux de risque (annexe 2) ainsi que l’établissement de critères d’alerte précoce, menant au déclenchement non seulement d’urgences dites « internationales » (comme la COVID-19), mais aussi d’urgences de santé de « portée régionale » ou « intermédiaires » (articles 11, 12) répondant ainsi aux préoccupations des pays « du Sud » qui soulignent que les urgences « internationales » représentent souvent des urgences selon la perspective des pays riches.
Cela nécessiterait également la révision des critères, sous la forme de questions, permettant l’établissement des urgences de santé publique en y ajoutant (annexe 2) des catégories de critères propres, par exemple, aux impacts sur la prestation de soins de santé (c.-à-d. nuisance ou interférence dans la prestation de soins) ou à la « pertinence sociale et économique », incluant des impacts indus sur les populations vulnérables, la stigmatisation, la peur, les interactions sociales, etc.
L’objectif est ici de mettre en place un cadre de sélection des urgences sanitaires plus approprié au contexte multidimensionnel des urgences de santé en plus d’améliorer la communication de l’OMS, sa transparence ainsi que son interopérabilité avec les autres outils de communication et gestion de risques sanitaires (article 11). À cela s’ajoutent des objectifs de limitation des conflits d’intérêts au sein de l’OMS et une meilleure représentation des pays et catégories populationnelles (articles 48, 49) dans le comité d’urgence devant statuer sur le déclenchement, ou non, de ces urgences.
Reste maintenant à savoir si ces suggestions d’amendements résisteront aux négociations entre les pays membres, et surtout, à leurs intérêts et priorités, d’ici au mois de mai prochain lorsqu’elles devront être officiellement proposées pour approbation par les membres de l’OMS.
Retour en juin 2024 pour suivre l’évolution de cette opportunité unique dans l’histoire du droit international et des organisations le constituant de mettre en place une approche par le bas, centrée sur les besoins et aspirations des populations, aux premiers chefs les droits humains, l’équité et la justice.
[1] Organisation mondiale de la Santé, (2005), Règlement sanitaire international (2005), p.vii.
[2] Organisation mondiale de la Santé, (2005), Règlement sanitaire international (2005), p.vii.
[3] L’ensemble des propositions d’amendement proviennent du document de l’OMS listant ces propositions et accessible ici https://apps.who.int/gb/wgihr/pdf_files/wgihr1/WGIHR_Submissions-fr.pdf
[4] Organisation mondiale de la Santé, (2005), Règlement sanitaire international (2005), p.vii.