Le capitalisme de surveillance : menaces à la démocratie et aux droits!

Ce dossier aborde les angles morts et les menaces du capitalisme de surveillance pour la démocratie et les droits humains dans le but de susciter des débats publics dans la population sur ces enjeux qui nous concernent toutes et tous.

Présentation

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Revue Droits et libertés, printemps / été 2022

Elisabeth Dupuis, responsable des communications, Ligue des droits et libertés

À divers moments de son histoire, la Ligue des droits et libertés (LDL) s’est intéressée aux enjeux de protection de la vie privée, notamment avec sa campagne Gérard et Georgette, citoyens chés en 1986, puis aussi à la surveillance des populations au nom de la guerre au terrorisme à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Dans un contexte où le développement technologique facilitait énormément la circulation de données personnelles, la préoccupation principale était de renforcer le régime de protection de ces données, tel que conçu à la fin du XXe siècle. Avec le développement des entreprises numériques au cours des 20 dernières années, les enjeux ne sont plus du tout les mêmes.

En l’absence d’un cadre juridique contraignant et dans le flou des obligations des entreprises opérant dans le domaine numérique, une nouvelle forme de capitalisme s’est développée au cours des 20 dernières années. Les données comportementales de l’être humain deviennent alors le nouveau pétrole1. La matière première n’est pas celle extraite de la terre, des champs ou des forêts; elle est générée au quotidien par les traces numériques que nous laissons dans toutes nos activités au travail, à la maison et pendant nos déplacements.

Le comportement de chaque être humain devient source de profits sans qu’il sache comment, pourquoi, quand et qui se sert de ces données massives générées par l’utilisation d’applications numériques gratuites et de multiples objets connectés et géolocalisés. Les enjeux sont multiples et sans précédent. En 2018, dans un rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, on souligne que les technologies numériques, mises au point principalement par le secteur privé, en exploitant en permanence les données personnelles, « pénètrent progressivement dans le tissu social, culturel, économique et politique des sociétés modernes2 ».

Au-delà de la vie privée

En effet, on s’aperçoit que les enjeux dépassent largement la seule question de la protection de la vie privée puisque d’autres droits humains sont aussi affectés. «L’intelligence artificielle rend possible une surveillance extrême des individus (tant par des entreprises privées que par l’État) susceptible d’affecter la liberté d’expression, la liberté d’association et la démocratie. La reconnaissance faciale met en péril le droit à l’anonymat et éventuellement le droit à l’égalité3.» En contrôlant la circulation de l’information, les réseaux sociaux peuvent avoir une influence sur les opinions et les comportements des personnes, exerçant ainsi un certain contrôle social. En outre, des algorithmes peuvent entretenir, voire aggraver, des pratiques discriminatoires.

Entre les mains des forces policières

D’autre part, les données accumulées par les entreprises privées sur l’ensemble de la population, alors que la capacité réelle de chaque individu de consentir à l’utilisation et au partage de ses données de façon libre et éclairée est difficile, voire impossible, deviennent de plus en plus accessibles aux forces policières par des mécanismes variés comme le système Ring d’Amazon. Ces forces policières se dotent de centres d’opération numérique et utilisent des systèmes de décisions automatisées alimentés avec des données renforçant un biais répressif envers certaines populations, ce qui entraîne plus de profilage et menace ultimement la présomption d’innocence.

L’approche de l’interdépendance des droits

Appréhender tous ces enjeux avec l’approche de l’interdépendance des droits, qui reconnait que la réalisation d’un droit est intimement liée à celle des autres droits, ne peut que déclencher la sonnette d’alarme chez les militant-e-s pour la défense des droits humains. En consacrant un dossier sur le capitalisme de surveillance, le comité éditorial de la revue souhaite dévoiler les angles morts du capitalisme de surveillance, sensibiliser aux rapides et profondes transformations sociales et politiques qui s’opèrent ainsi qu’aux menaces que cela représente tant pour la démocratie que pour les droits humains. Finalement, ce dossier vise à susciter des débats publics dans la population, loin des chambres d’écho, sur ces enjeux qui nous concernent toutes et tous.

Bonne lecture!


  1. En ligne : https://www.economist.com/leaders/2017/05/06/the-worlds-most-valuable-resource-is-no-longer-oil-but-data
  2. En ligne : https://www.ohchr.org/fr/calls-for-input/reports/2018/report-right-privacy-digital-age
  3. En ligne : https://liguedesdroits.ca/chronique-surveillance-ia/