Le droit à la santé au Canada et au Québec

Le droit à la santé n’existe pas au Canada, que ce soit dans les lois fédérales ou provinciales, du moins littéralement. En effet, on ne le retrouve inscrit nulle part, ni dans la Charte canadienne des droits et libertés, ni dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, ni dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ni dans les autres lois provinciales vouées à la protection des droits et libertés de la personne.
rapporteur

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Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021

Me Marie Carpentier,
conseillère juridique à la recherche, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et doctorante en droit, UQÀM

Le droit à la santé n’existe pas au Canada, que ce soit dans les lois fédérales ou provinciales, du moins littéralement. En effet, on ne le retrouve inscrit nulle part, ni dans la Charte canadienne des droits et libertés, ni dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, ni dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ni dans les autres lois provinciales vouées à la protection des droits et libertés de la personne.

Les traités internationaux

Cependant, le Canada  a  adhéré  à  un  nombre  important  de traités internationaux garantissant le droit à la santé. On pense au premier chef au Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels[1] (PIDESC) mais aussi aux nombreux traités thématiques qui le promeuvent également[2].

Le droit à la santé apparaît aussi dans la Déclaration universelle des droits de l’homme[3], une résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies envers laquelle le Canada a affirmé son engagement, et à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé qui énonce ce droit en ces termes : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale »[4].

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, chargé d’interpréter les dispositions du PIDESC, a consacré, en 2000, une Observation générale au droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint. On y apprend notamment que le droit à la santé n’est pas le droit d’être en bonne santé mais plutôt « le droit de jouir d’une diversité d’installations, de biens, de services et de conditions nécessaires à la réalisation du droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint » et ce, en fonction des ressources dont disposent les États[5]. L’article 2 du PIDESC impose en effet aux États parties d’agir en vue d’assurer le respect des droits prévus dans le Pacte au maximum de leurs ressources disponibles.

Ces États ont l’obligation de protéger, de respecter et de mettre en œuvre le droit à la santé. Ils doivent donc s’abstenir d’entraver l’exercice du droit, empêcher les tiers d’y faire obstacle et adopter des mesures pour en assurer la pleine réalisation[6].

Les installations de même que les biens et les services de santé devraient être disponibles, accessibles sans discrimination, abordables, acceptables et de qualité[7]. Notons néanmoins qu’il n’y a pas d’obligation internationale pour les États de fournir des services de santé gratuitement.

Le Comité nous indique également que « le droit à la santé englobe une grande diversité de facteurs socioéconomiques de nature à promouvoir des conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine, et s’étend aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’alimentation et la nutrition, le logement, l’accès à l’eau salubre et potable et à un système adéquat d’assainissement, des conditions de travail sûres et hygiéniques et un environnement sain[8] ». Les États doivent notamment s’assurer que le droit peut s’exercer sans discrimination aucune. Le Comité reconnaît par ailleurs l’importance de la participation de la population dans la prise de toutes les décisions en matière de santé.

Cette insistance sur les facteurs socioéconomiques rejoint la préoccupation de l’Organisation mondiale de la santé pour les déterminants sociaux de la santé qui « comprennent un large éventail de facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent la santé d’une population[9] ».

En 2011, par la Déclaration de Rio, le Canada s’est engagé avec d’autres États à réduire les inégalités en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé[10]. Suivant cette déclaration, « les inégalités en matière de santé sont le fruit des déterminants sociaux de la santé, c’est-à-dire des conditions sociétales dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent[11] ».

Par ailleurs, en tant que partie au PIDESC, le Canada doit faire rapport de sa mise en œuvre des droits qui y sont énoncés. Ces rapports sont examinés par le même Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Chacune des remarques finales en réaction aux rapports de mise en œuvre déposés par le Canada depuis son adhésion au PIDESC a fait état de la nécessité d’améliorer la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels dans le système juridique canadien.

En 2018, à la suite de son examen périodique universel, qui consiste à passer en revue l’ensemble des réalisations d’un État en matière de droit de la personne, le Canada a accepté[12] la recommandation de garantir la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels[13].

De même, le Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, à la suite de sa visite au Canada en 2018, a recommandé au Canada d’adopter une approche de la santé fondée sur les droits de la personne en vue de permettre, notamment, sa justiciabilité[14].

Pour mémoire, la Cour suprême du Canada résume ainsi le concept de justiciabilité : « [e]st-on en présence d’une question qu’il convient de faire trancher par un tribunal[15] »? Cette notion implique entre autres un accès à la justice et à des remèdes effectifs.

Pourquoi ces recommandations?

Les organes internationaux reconnaissent que le Canada met en œuvre le droit à la santé. On retrouve en effet ses éléments constitutifs dispersés, en droit fédéral, notamment dans la Loi canadienne sur la santé[16]. On le distingue également dans les lois provinciales. Au Québec, le droit à la santé est visible dans la Loi sur l’assurance maladie[17], la Loi sur l’assurance  médicaments[18], la Loi sur l’assurance hospitalisation[19], la Loi sur les services de santé et les services sociaux[20] et la Loi sur la santé publique[21], entre autres. Mais il n’est jamais explicitement nommé.

De plus, bien qu’il ne soit pas garanti par les Chartes, le droit à la santé fait cependant l’objet d’une justiciabilité oblique, soit une justiciabilité indirecte, fondée sur d’autres droits garantis.

On pense notamment au droit à l’égalité, qui permet de contester une mise en œuvre discriminatoire du droit à la santé. On songe encore au droit à la vie, à la sécurité et à la liberté de sa personne (le droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne, en vertu de la Charte québécoise).

Cette justiciabilité oblique se cantonne cependant à ne reconnaître que l’aspect dit négatif du droit à la santé. Cet aspect protégerait de l’interférence du gouvernement avec les droits des citoyen-ne-s alors que l’aspect positif requerrait de l’État qu’il agisse en vue de leur satisfaction. Ainsi, les tribunaux interviennent quand ils estiment que l’État compromet la santé par ses actions, aux fins de l’empêcher d’agir, mais pas quand il s’agit d’obliger l’État à agir. Suivant ce raisonnement, l’action étatique serait sujette à un examen de constitutionnalité quand elle compromet un droit, mais son inaction n’y serait pas soumise.

Par exemple, dans l’affaire Toussaint, la Cour fédérale d’appel décide que le fait de ne pas accorder de soins de santé à une personne en situation d’immigration irrégulière porte atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à la liberté de sa personne[22]. Cependant, cette violation serait conforme aux principes de justice fondamentale et serait donc autorisée par l’article 7[23]. Pour les juges, le fait de donner accès à des soins de santé à quiconque se trouve sur le territoire canadien ne constitue pas un principe de justice fondamentale[24] et aucun autre de ces principes n’a été violé[25]. La Cour en profite pour rappeler que la Charte ne confère aucun droit constitutionnel distinct à des soins de santé[26]. Le Canada s’est fait reprocher cette décision sur la scène internationale, notamment pour ne pas avoir reconnu les aspects dits positifs du droit à la vie[27].

Dans une autre affaire, la Cour fédérale a préféré recourir au droit à la protection contre les traitements et peines cruels et inusités et au droit à l’égalité, plutôt qu’au droit à la vie et à la sécurité, pour invalider certaines dispositions d’un programme de soins de santé destiné aux personnes qui demandent un statut de réfugiés[28]. Cette décision n’a cependant pas eu d’effet puisque le régime contesté avait déjà été modifié pour élargir la couverture destinée à certains demandeurs et demandeuses de statut de réfugié et autres personnes protégées qui en avaient été exclues.

La résistance des tribunaux à garantir la mise en œuvre des droits positifs repose entre autres sur des considérations institutionnelles, soit l’exigence démocratique de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Ainsi, la justiciabilité d’une question dépendrait de sa nature. Une question sera justiciable uniquement si elle n’est pas considérée comme politique. La Cour suprême, par exemple, refuse, en principe, de traiter des questions d’affectation des ressources[29]. S’ils tentaient de trancher ces questions, les tribunaux risqueraient d’empiéter sur les pouvoirs législatif et exécutif, remettant ainsi en cause la légitimité démocratique de leur action. La réticence des tribunaux à se prononcer sur le droit à la santé relèverait donc, du moins en partie, de leur interprétation des limites de leur propre pouvoir.

La compétence institutionnelle des tribunaux peut également être en cause. Le mode contradictoire qui y prévaut ne serait pas le meilleur moyen d’obtenir des informations permettant de prendre des décisions qui affectent les populations à grande échelle. En effet, en raison de la façon dont se déroule un procès, le juge ne dispose que des preuves que lui présentent les parties pour prendre sa décision. Il n’a pas la faculté de récolter plus d’informations en vue de mieux fonder sa décision, contrairement aux pouvoirs législatif et exécutif, qui peuvent mener des recherches et convoquer des consultations publiques, par exemple.

Vers une justiciabilité du droit à la santé

Pour rappeler au Canada la nature et la portée de ses obligations internationales à l’égard de sa population, les tribunaux doivent dépasser la conception étroite qu’ils se font de leur propre pouvoir. Et il existe des solutions.

D’une part, il leur est permis de s’inspirer du droit international pour interpréter les lois internes. En effet, « les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat »[30].

Les tribunaux sont donc invités à interpréter le droit interne qui traite de santé à la lumière des dispositions des traités internationaux auxquels le Canada a adhéré pour éviter d’y contrevenir.

Par exemple, dans l’affaire Baker, la Cour suprême a eu recours au concept de l’intérêt de l’enfant, dérivé d’une convention internationale[31], pour évaluer le caractère raisonnable de l’exercice de son pouvoir par un agent d’immigration[32].

Il ne s’agirait pas de déterminer si un tel service devrait être couvert par le régime public, mais plutôt d’évaluer si, dans le processus qui a amené à prendre la décision de couvrir ou non, on a tenu compte des droits des personnes en cause, notamment de leur droit à la santé.

D’autre part, pour satisfaire aux exigences de légitimité démocratique, nous sommes d’avis que les tribunaux ne devraient pas s’attarder autant à la nature de la question qui leur est soumise, qu’à la nature de la réponse qu’ils formulent. En effet, s’il apparaît évident, au regard de la théorie de la séparation des pouvoirs, qu’il ne convient pas que les tribunaux décident de la façon dont les ressources doivent être allouées, il nous semble adéquat que les tribunaux puissent examiner si la façon dont cette allocation s’est faite respecte les droits de la personne, y compris le droit à la santé.

Par ailleurs, l’exercice judiciaire serait de beaucoup simplifié par la mise en place de l’obligation de justification en amont de l’adoption des lois et des règlements. Par exemple, au niveau fédéral, la Directive du Cabinet sur la réglementation oblige l’administration fédérale à évaluer les incidences économiques, environnementales et sociales de la réglementation[33]. La directive oblige en outre à effectuer une étude d’impact qui tient compte des obligations internationales du Canada. Au Québec, le gouvernement doit évaluer l’impact des nouveaux règlements sur les petites et les moyennes entreprises[34].

De telles obligations pourraient être imposées à tous les paliers de gouvernement, soit d’effectuer une évaluation d’impact de la régulation sur les droits de la personne, incluant le droit à la santé. Ce faisant, les tribunaux disposeraient d’outils pour évaluer le processus décisionnel.

L’intérêt de telles évaluations d’impact réside entre autres dans le fait qu’elles ne seraient pas cantonnées à la régulation portant spécifiquement sur la santé mais qu’elles s’appliqueraient à l’ensemble des mesures qui ont un effet sur les déterminants sociaux de la santé.

En somme, pour s’assurer que le Canada respecte ses engagements internationaux en matière de droit à la santé, les tribunaux devraient accepter de prendre des décisions non pas quant à l’allocation des ressources, mais sur la façon dont les décisions d’allocation des ressources sont prises par nos instances gouvernementales. La mise en place d’obligations de justification de la régulation faciliterait la tâche du pouvoir judiciaire tout en présentant l’avantage de permettre la prise en compte de l’ensemble des déterminants sociaux de la santé.

 


 

[1] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 RTNU 3 (entrée en vigueur : 3 janvier 1976, adhésion du Canada : 19 mai 1976).

[2] Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciale, 5; Convention relative aux droits de l’enfant, art. 24; Convention relative aux droits des personnes handicapées, art. 25; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, art. 25.

[3] Déclaration universelle des droits de l’homme, art.

[4] Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, 12 juillet 1946, 14 RTNU 185 (entrée en vigueur : 7 avril 1948, adhésion du Canada : 19 août 1946), « Préambule ».

[5] Observation générale n° 14 : Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels) au par. 9.

[6] Ibid, au par. 33.

[7] Ibid, au par. 12.

[8] Ibid, au par. 4.

[9] Santé Canada, « Déterminants sociaux de la santé et inégalités en santé », https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/sante-population/est-determine-sante.html

[10] Organisation mondiale de la santé, Déclaration politique de Rio sur les déterminants sociaux de la santé, 21 octobre 2011.

[11] Ibid, au par. 6.

[12] Rapport du groupe de travail sur l’Examen périodique universel – Canada Additif : Observations sur les conclusions et/ou recommandations, engagements et réponse de l’État examiné.

[13] Rapport du groupe de travail sur l’Examen périodique universel – Canada au par. 142.149.

[14] Visite au Canada : Rapport du Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible au par. 103(a).

[15] Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c Wall, 2018 CSC 26 au par. 32.

[16] LRC 1985, ch C‑6.

[17] RLRQ c. A-29.

[18] RLRQ, c. A-29.01.

[19] RLRQ c. A-28.

[20] RLRQ, c. S-42.

[21] RLRQ c. S-22.

[22] Toussaint c Canada (PG), [2011] CAF 213 au par. 61 [Toussaint].

[23] Ibid, au par. 88

[24] Ibid, au par. 80.

[25] Ibid, au par. 88.

[26] Ibid, au par. 77.

[27] Comité des droits de l’homme, Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif concernant la communication n° 2348/2014, Doc off NU CCPR/C/123/D/2348/2014 (2018).

[28] Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada, 2014 CF 651.

[29] Trial Lawyers Association of British Columbia c Colombie-Britannique (PG), 2014 CSC 59 au par. 87.

[30] R c Hape, 2007 CSC 26 au par. 53.

[31] Convention relative aux droits de l’enfant, supra note 2.

[32] Baker c Canada, [1999] 2 RCS 817 au par. 69-71.

[33] Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, « Directive du Cabinet sur la réglementation », 2018 https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/gestion-reglementation-federale/lignes-directrices-outils/directive-cabinet-reglementation.html

[34] Assemblée nationale du Québec, « Encyclopédie du parlementarisme québécois : Règlement » http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/lexique/html

 

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