Revue Droits et libertés, Vol. 33, numéro 1, printemps 2014
Vincent Greason, vice-président
Ligue des droits et libertés
Dans un court article publié au lendemain de la victoire électorale du parti Libéral, Bruno Massé observe :
« Durant les élections provinciales, le sujet de l’environnement a été volontairement écarté du débat […] Lors de sa campagne électorale, le nouveau premier ministre Philippe Couillard annonçait que l’environnement n’est pas une priorité pour lui. Ce qui est important, c’est les emplois, par exemple ceux que pourrait créer le Plan Nord (+)[1]. »
Philippe Couillard veut reprendre le pari économique nordique de son prédécesseur afin de dégager des centaines de millions de dollars de fonds publics pour promouvoir le développement industriel du Nord québécois. Ainsi, le nouveau gouvernement québécois est sur le point de reproduire un exemple flagrant de la tendance de « tout à la croissance » dénoncée par la LDL dans son récent rapport sur l’état des droits humains au Québec[2]. À moins d’un revirement inattendu, le Plan Nord ne s’annonce pas comme un (+) ni pour les peuples autochtones, ni pour les Québécois-e-s, ni pour l’environnement, ni pour les droits humains au Québec.
Le Plan Nord : une atteinte aux des droits de la personne
De la manière qu’il a été lancé, le Plan Nord (+) accentue la rupture du lien de confiance entre le peuple et le gouvernement en matière d’exploitation des ressources, de projets de développement et de protection de l’environnement. Il porte atteinte aux droits à l’autodétermination, à l’accès à l’information et à la participation. Par ailleurs, les activités extractives promues par le Plan entraîneront inévitablement des atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels de communautés autochtones et québécoises.
Les atteintes au droit à l’autodétermination du peuple québécois
L’article premier des deux principaux instruments internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Québec s’est déclaré lié en 1976 statue que les peuples « ont le droit de disposer d’eux-mêmes » et de « disposer librement de leurs richesses et ressources ». Ainsi, les choix de modes de développement d’un pays doivent être faits par les peuples ou avec leur consentement. Les gouvernements ne peuvent pas leur imposer des formes de développement allant à l’encontre de leur volonté. Or, dans le cas du Plan Nord (+), aucune tentative sérieuse n’a été entreprise jusqu’à ce jour pour connaitre la volonté des peuples concernés face à ce « chantier d’une génération ».
Que ce soit dans sa version libérale ou péquiste, l’objectif du Plan Nord est de « développer » le vaste territoire du Grand Nord afin de permettre aux entreprises privées, souvent étrangères, d’accéder aux ressources naturelles du peuple québécois et des Premières Nations et d’en tirer profit. Pour faciliter ceci, on propose de nationaliser des investissements en énergie et en infrastructure, un cas classique de collectiviser les risques pour privatiser les profits. De nombreux citoyens, de tous les milieux, s’y opposent. C’est la mobilisation de plus de 250 000 citoyen-ne-s dans les rues de Montréal, le 22 avril 2012, qui a transformé une grève étudiante en un vaste mouvement social qui a fini par faire tomber le gouvernement Charest. Une demande au cœur de cette mobilisation demeure actuelle : « Que le gouvernement du Québec se dote d’une véritable stratégie, pour le Nord et l’ensemble du territoire où le développement de nos ressources naturelles et énergétiques répond à nos exigences les plus hautes en matière de partage de la richesse, de respect de l’environnement et des populations, maintenant et pour les générations à venir[3]. »
Le gouvernement Couillard doit prendre acte de cette opposition et mettre en place des mécanismes qui permettront à l’ensemble de la population de se prononcer sur un projet de développement aussi majeur que celui du Plan Nord (+). L’engouement du milieu des affaires ne permet pas au gouvernement du Québec de faire fi d’un débat éclairé, qui respecte le droit à l’information et qui permet aux peuples du Québec de choisir leurs modes de développement et de disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Et ce, avant que le Projet aille plus loin.
Les atteintes au droit à l’autodétermination des peuples autochtones
Le droit de disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturelles s’applique tout autant aux peuples autochtones qu’au peuple québécois. Alors qu’il est vrai que le gouvernement Charest a obtenu l’accord de principe de la part des nations inuite, naskapie et crie en échange de promesses d’investissements dans les domaines sociaux, l’ancien gouvernement a faussement laissé entendre que son Plan Nord procédait avec l’aval des Premières Nations du Québec.
Dans les faits, l’aval était au mieux partiel. Les communautés innues de Pessamit, de Maliotenam, de La Romaine, de Natashquan et du Labrador ont carrément rejeté le projet de développement qui se déroulera sur des terres dont les titres autochtones n’ont jamais été cédés. Deux autres nations autochtones, les Algonquins et les Attikameks qui vivent au sud du 49e parallèle, mais qui revendiquent des terres au nord de cette ligne, n’ont jamais eu leur mot à dire sur le Plan Nord puisqu’elles n’ont même pas été consultées.
Le droit à l’autodétermination des peuples autochtones est d’ailleurs réaffirmé et spécifiquement protégé par la Déclaration sur les droits des peuples autochtones que le Canada a endossée. Le gouvernement du Québec a donc l’obligation de respecter le droit à l’autodétermination de tous les peuples autochtones, y compris de ceux qui s’opposent à ce « projet d’une génération ». L’accord de certains peuples autochtones ne lui permet pas d’ignorer la volonté d’autres peuples, dont celle de la majorité du peuple innu.
De plus, selon la Déclaration, le Québec a l’obligation non seulement de consulter, mais aussi d’obtenir le consentement de l’ensemble des peuples autochtones concernés avant d’approuver quelconque projet de développement. L’obligation d’obtenir un consentement entraîne la possibilité pour les peuples concernés de refuser l’utilisation ou l’exploitation de leurs ressources.
Le droit d’accès à l’information
Afin de pouvoir disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, tous les peuples concernés –autochtones et québécois- doivent pouvoir accéder à l’ensemble de l’information relative au Plan Nord (+). Ceci comprend tous les projets s’effectuant sur le territoire du Québec ainsi que sur les territoires ancestraux des peuples autochtones. Le gouvernement et les différents acteurs impliqués doivent faire preuve d’une totale transparence et veiller à l’accessibilité de l’information.
Or, l’opacité avec laquelle s’est effectuée la signature des ententes existantes entre le gouvernement et les entreprises minières est extrêmement préoccupante. Qu’il s’agisse des termes des contrats signés avec les compagnies extractives, des quantités de minerai extraites par celles-ci, des redevances encaissées par l’État en fonction de chaque projet minier ou des obligations de restauration, le gouvernement a jusqu’à maintenant refusé de fournir l’information aux citoyens québécois et aux autochtones, alors que les ressources exploitées leur appartiennent.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise pourtant clairement que le droit à la liberté d’expression « comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce ».
L’argument consistant à dire que des informations concernant l’exploitation des ressources naturelles du peuple québécois sont confidentielles en vertu du droit minier ou du droit de la concurrence n’est tout simplement pas recevable dans une société démocratique où les droits humains des citoyens doivent primer sur les intérêts économiques des entreprises privées.
Par ailleurs, très peu d’information existe sur les impacts environnementaux qu’aura le Plan Nord sur ce vaste territoire qui héberge les derniers écosystèmes intacts en territoire forestier. À cet égard, de nombreux groupes écologiques demandent au gouvernement de procéder non seulement à des études d’impact environnemental pour chacun des projets proposés, mais aussi à une évaluation environnementale stratégique plus globale permettant d’étudier l’impact des contaminants générés par l’ensemble des activités extractives, des modes de transport et des projets énergétiques sur les cours d’eau, la santé publique, les changements climatiques, etc.
Le droit à la participation
Le public québécois doit être impliqué dans le processus de prise de décisions relatif au Plan Nord (+). Le droit à la participation est protégé par certains instruments internationaux, en particulier par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit à tout citoyen le droit « de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ». Par ailleurs, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes protège le droit des femmes de « participer pleinement à l’élaboration et à l’exécution des plans de développement à tous les échelons ». Aussi, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule que « Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits ». La participation du public est également reconnue comme une condition essentielle non seulement à la protection de l’environnement, mais aussi à la protection du droit à la santé.
Les atteintes potentielles aux droits économiques, sociaux et culturels
Au vu des informations scientifiques sur la question,l’exploitation et l’éventuelle transformation des minerais exploités dans le cadre du Plan Nord (+) comportent des risques réels pour l’environnement et, par conséquent, sur le droit à la santé et à l’eau.
Le droit à l’eau et le droit à la santé mis à risque
De nombreuses études démontrent que des risques existent pour la santé de la population dans l’exploitation de certains métaux comme l’or ou l’uranium. L’exploitation de l’uranium génère d’immenses quantités de résidus miniers radioactifs qui doivent être entreposés sur le territoire, et pour lesquels les risques de contamination demeurent présents à perpétuité. Un des résidus de l’uranium, le gaz radon, est d’ailleurs la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac au Canada, étant responsable de plus 2000 décès par année au pays. Les travailleurs de mines d’uranium sont particulièrement à risque du cancer du poumon. Une concentration accrue de cette poussière radioactive dans l’atmosphère en cas d’accident ou de dégradation des mesures d’entreposage pourrait avoir un impact réel sur la santé humaine.
C’est également à travers les risques de contamination des cours d’eau que des violations au droit à la santé et au droit à l’eau risquent de survenir. Les méthodes utilisées pour confiner les résidus miniers uranifères, soit l’entreposage dans des fosses à ciel ouvert ou l’entreposage dans des bassins construits à cet effet à l’aide de digues de rétention, présentent des défis techniques importants sur le long terme et ne sont pas à l’abri de fuites qui pourraient atteindre les cours d’eau.
Quant à l’exploitation d’autres métaux, il est connu que l’extraction et la transformation de ceux-ci nécessitent des quantités importantes d’énergie, d’eau et de produits chimiques de toutes sortes (dont le cyanure dans le cas de l’extraction aurifère). Même le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec reconnait que les cours d’eau dans les régions minières, dont celles touchées par le Plan Nord (+) présentent des concentrations de métaux préoccupantes en raison de l’activité extractive. Par conséquent, il est essentiel que chacun des projets miniers fasse l’objet d’une étude d’impact environnementale.
Le fait que le territoire du Grand Nord se situe dans une région peu peuplée, loin des grands centres urbains, ne justifie pas de prendre à la légère les obligations inscrites dans les instruments internationaux de protection des droits humains. Non seulement une contamination des cours d’eau risque-t-elle de violer les droits à la santé et à l’eau des populations du Grand Nord, mais elle pourrait également atteindre les nappes phréatiques et par là, le reste de la population québécoise.
Les droits sociaux (logement, alimentation)
Une recherche récente, menée par l’Institut de recherches et d’informations socio-économiques (IRIS), a pris en cas d’espèce la ville albertaine de Fort McMurray pour étudier les bouleversements sociaux qui peuvent accompagner un « boom économique » associé au développement rapide des industries extractives. L’IRIS suggère d’examiner le Plan Nord à la lumière du cas de cette ville nordique de l’Alberta. Les villes québécoises de Baie-Comeau, Sept-Iles et Port-Cartier, points de service au développement nordique, rapportent déjà les faits troublants prévus par l’IRIS : explosion des prix, pénurie de logements, phénomène nouveau d’itinérance, prix alimentaires inabordables… Un tel dérapage affecte surtout la population d’origine, et plus particulièrement les personnes vulnérables : personnes âgées, monoparentales, prestataires d’aide sociale dont les droits économiques et sociaux sont particulièrement fragilisés.
Le droit des générations futures
Malgré le fait qu’il n’existe pas à ce jour un traité de protection des droits humains qui consacre spécifiquement le droit des générations futures, rappelons que tous les droits humains sont interreliés, interdépendants et universels, comme l’a rappelé avec force la Conférence de Vienne de 1993[4]. Ceci signifie qu’ils s’appliquent à tous les êtres humains et s’appliqueront dans l’avenir à tous les êtres humains qui naîtront. Or, avec le Plan Nord (+), l’enjeu essentiel est celui du legs nordique que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants. À maints égards, la manière dont le Québec choisira de « développer » le Grand Nord québécois en dira long sur les valeurs que porte notre peuple. Aura-t-on le courage de rompre avec la tendance de « tout à la croissance »?
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[1]. Massé Bruno, « L’effondrement de la civilisation et les «vraies affaires», Huffington Press, 24/04/2014.
[2]. Ligue des droits et libertés, Rapport sur l’état des droits humains au Québec et au Canada, 2013, disponible à www.liguedesdroits.ca
[3]. Déclaration de 22avril.org, signée par 58,947 personnes au 30 mai 2012, http://22avril.org/declaration/
[4] Conférence mondiale sur les droits de l’homme, article 5, Vienne, 14 au 25 juin 1993 : « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. (…) »