L’éducation au coeur des possibilités

L’éducation, lorsqu’elle est abordée comme un droit émancipateur, dépasse les seules questions d’instruction, de qualification et de socialisation. Elle représente un levier extraordinaire pour combattre la pauvreté et pour participer pleinement à la société.

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Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024

Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés

Prenons un instant pour réfléchir à ce qu’est l’éducation, non pas au sens technique et disciplinaire, mais au sens sociétal, philosophique et en tant que droit humain. L’éducation est une condition essentielle à la participation de la population à la vie collective et politique. À notre époque particulièrement trouble, elle constitue une clé de voûte pour combattre le marasme et l’apathie qui menacent de freiner les luttes sociales. Elle nourrit à la fois l’épanouissement personnel et l’émancipation collective, elle alimente les débats et les mobilisations que nous n’avons pas le luxe de délaisser. L’éducation, au sens large où l’entendait Paulo Freire, pédagogue brésilien, est un moyen subversif de transformer le monde dans lequel on vit. L’éducation se trouve au coeur de la possibilité que nous avons de résoudre les crises actuelles dans une perspective de justice sociale.

Comme l’énonce l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’éducation se doit d’être « l’un des outils les plus puissants pour permettre aux enfants et aux adultes marginalisés sur le plan économique et social de s’extraire de la pauvreté et de participer pleinement à la société1 ».

La Ligue des droits et libertés s’est penchée à quelques reprises sur le droit à l’éducation, mettant en relief les obligations des États pour en assurer le respect. L’exercice de ce droit est intimement lié à l’exercice d’autres droits, un caractère d’interdépendance qu’il est essentiel de reconnaitre. En guise d’exemple, une personne ne jouissant pas d’une éducation accessible et adaptée aux besoins de sa communauté sera moins à même d’accéder à la justice si ses droits sont bafoués par son employeur ou son locateur ; de bien comprendre la posologie d’un médicament dont elle a besoin ; de sortir de la précarité et d’exercer son droit à un niveau de vie suffisant, etc.

Par ses engagements en matière de droits humains et du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le gouvernement du Québec doit respecter, protéger et mettre en oeuvre le droit à l’éducation. Comme le rappelle Christine Vézina, l’une des autrices de ce dossier, « [le gouvernement du Québec] doit donc s’abstenir d’agir de manière à porter atteinte au droit, réglementer l’action du secteur privé afin qu’il se conforme aux obligations imposées par le droit à l’éducation et enfin adopter, de manière délibérée, des lois, des politiques publiques et des programmes et les financer suffisamment, afin de donner effet audit droit ».

Les portes de l’éducation et des connaissances ne sont-elles pas grandes ouvertes depuis les années 1960, quand le Québec a fait le choix de garantir à toutes et tous l’accès à l’éducation ? Pourtant, les constats provenant notamment des mouvements sociaux sont déplorables ; des facteurs économiques, géographiques, sociaux et culturels constituent des obstacles structuraux multiples et empêchent de nombreuses personnes d’accéder pleinement à une éducation émancipatrice tout au long de la vie.

Au moment d’écrire ces lignes, les rues sont animées par la grève des enseignantes à boutte et de tout le personnel scolaire et de soutien à travers la province, qui malgré l’épuisement, sont déterminé-e-s à défendre l’école publique. Il se trouve que l’État se désengage progressivement des services publics depuis de nombreuses années, et qu’actuellement, le système scolaire public reflète fort dramatiquement les conséquences de cette tendance.

Telle qu’abordée dans cette édition de Droits et libertés, l’éducation va bien au-delà du droit à l’éducation tel que consacré par le droit international des droits humains. En plus de l’éducation formelle, elle englobe l’éducation au sens informel et non formel, populaire et citoyenne, déclinaisons essentielles de toutes ces façons par lesquelles l’être humain peut rendre son monde intelligible et y participer pleinement et en toute liberté. L’éducation formelle, celle qui se transmet via un parcours scolaire classique, est bien entendu fondamentale, mais elle ne peut se substituer aux formes plus horizontales, participatives, communautaires, voire contestataires, qui contribuent à façonner et à protéger les communautés, en créant des collectivités inclusives dotées d’un filet social réel et complet.

Avec cette édition de la revue, nous proposons de réfléchir au rôle de l’éducation, abordée dans son sens très vaste, pour donner force à la dignité de chaque personne et à l’épanouissement de chaque communauté, à la promotion des droits humains, à la lutte contre les inégalités et la pauvreté, au respect des diversités (culturelle, sociale, politique…), à la citoyenneté et à la solidarité. Les liens entre l’éducation et les droits humains sont nombreux et riches. Nous donnons voix dans ces pages à des auteurs et autrices en mesure de témoigner de diverses situations mettant en péril le droit à l’éducation, et d’initiatives déployant des formes inclusives et transformatrices d’éducation dans les communautés. Vous y lirez des chercheur-euse-s, des citoyen-ne-s impliqué-e-s dans la défense du système scolaire public et les groupes communautaires, des personnes racisées et autochtones en mouvement pour rendre visibles des enjeux qui nous concernent tous et toutes.

Un survol vous est proposé dans ce dossier, certainement pas exhaustif, de certaines dimensions de la portée de l’éducation pour la quête de justice sociale. Nous exposons des bris de scolarisation pour les élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, et les discriminations freinant l’accès des jeunes à une éducation de qualité et propice à l’épanouissement. Les fonctions socialisantes de l’école et la place accordée aux perspectives critiques sont discutées tout comme les impacts de l’école à trois vitesses sur le droit à l’égalité. Nous apprenons davantage sur les questions liées à l’éducation et à la préservation et la valorisation des langues comme l’innuaimun et l’inuktitut. Les enjeux de discrimination et la marchandisation des étudiante- s internationaux, l’importance du droit à l’éducation pour les adultes ainsi que la participation à la démocratie scolaire, favorisant l’inclusion des familles immigrantes, sont aussi abordés. En dehors de l’école, d’autres lieux clés pour l’éducation propices à favoriser le développement de l’agir citoyen sont exposés pour démontrer la force de l’éducation autre que formelle.

Nous espérons que vous ressortirez de la lecture du dossier avec une réflexion actualisée sur les liens entre éducation et droits humains.

Bonne lecture !


1. UNESCO, Ce qu’il faut savoir sur le droit à l’éducation, en ligne : https://www.unesco.org/fr/right-education/need-know