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Valérie Gilker Létourneau, co-coordonnatrice
L’R des centres de femmes du Québec
Lorsque les femmes revendiquaient « Du pain et des roses » il y 20 ans, c’était dans une perspective de lutte à la pauvreté. En situation de précarité, le pain manque dans la vie des femmes, l’amour n’abonde pas non plus, cédant souvent sa place à la violence. L’écho de cette revendication s’est amplifié depuis l’automne dernier. Il résonne plus fort aujourd’hui qu’au moment où le mouvement des femmes revendiquait « du pain et des roses! » pour la première fois. Avec indignation, les centres de femmes voient se détériorer les conditions de vie des femmes qui les composent et sonnent l’alarme : les mesures d’austérité sont des violences faites aux femmes. Elles contraignent les femmes à une position de subordination par rapport aux hommes, elles affectent négativement l’avenir des femmes et leurs conditions de vie immédiates, et ce, dans le cadre de rapports de forces historiquement inégaux entre les femmes et les hommes. L’R des centres de femmes du Québec, à la demande pressante de ses membres, étudie les conséquences concrètes des mesures d’austérité sur les femmes. L’étude n’est pas terminée, mais déjà quelques constats s’en dégagent. L’État attaque les femmes dans plusieurs domaines : économique, politique et socioculturel.
Violence faites aux femmes
Quand les centres de femmes parlent des violences faites aux femmes, ils incluent tous les actes de violence qui sont dirigés contre le sexe féminin, c’est-à-dire ceux qui causent ou qui peuvent causer aux femmes un préjudice, une souffrance physique, sexuelle ou psychologique, la contrainte et la privation arbitraire de liberté, dans la vie publique, comme dans la vie privée[1].
Moins de pain : violence économique
Les décisions gouvernementales récentes portent atteinte au droit des femmes à une alimentation suffisante. Plus précisément, les centres de femmes des régions de l’Abitibi-Témiscamingue, de la Capitale-Nationale, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, de Lanaudière, de Montréal et du Saguenay-Lac-St-Jean ont observé que la participation des femmes aux repas solidaires a doublé. Dans trois de ces régions, des organismes de soutien alimentaire ferment leurs portes ou diminuent leurs heures d’ouverture, malgré l’augmentation des besoins alimentaires. La décision gouvernementale de ne pas reconduire certaines subventions prévues dans le Plan d’action gouvernementale pour la solidarité et l’inclusion sociale semble à la source[2] de cette attaque. Moins de pain pour les femmes, et moins de soutien pour en trouver, sur ordre du gouvernement.
Moins d’emplois de qualité : violence économique
L’abolition des agences de santé et de services sociaux, des antennes régionales du Conseil du statut de la femme, des centres locaux de développement, des conférences régionales des élu-e-s, des directions générales de ministère, ainsi que la fusion des commissions scolaires affectent principalement des femmes[3]. Elles sont deux fois plus présentes que les hommes dans ces secteurs, pour des raisons de socialisation[4]. En effet, malgré une féminisation importante du marché du travail, la ségrégation professionnelle n’a diminué que de 7 points de pourcentage passant de 59.1 % à 52.2 % entre 1970 et 2001[5]. Ainsi, en décidant de couper dans les secteurs d’emploi traditionnellement féminins, l’État contraint des milliers de femmes à se retrouver sans emploi ou dans des emplois plus précaires au sein du communautaire, de l’économie sociale ou du privé. De plus, il décide de revenir sur sa décision d’offrir des services de garde éducatifs à la petite enfance à contribution réduite, alors que son ministère à la Condition féminine évaluait en 2007 cette mesure comme grande responsable de l’augmentation de l’activité des mères de 25 à 44 ans[6]! À la suite des réformes gouvernementales récentes, les femmes travailleront plus, mais gratuitement.
En effet, les besoins de la population auxquels répondaient les services abolis vont continuer d’exister même si l’État se déresponsabilise de leur satisfaction. Pour des raisons de socialisation, les femmes seront celles qui assumeront gratuitement l’offre des différents services sociaux disparus ou amputés[7] : garde des enfants, accompagnement, soutien des personnes malades, soutien scolaire aux enfants en difficulté, etc. Qu’adviendra-t-il de toutes ces femmes qui doivent déjà faire des prouesses pour jongler avec leurs responsabilités familiales et leur travail? Qu’on se le tienne pour dit, le travail invisible est un enjeu féministe d’actualité[8]. En contrepartie, les différentes mesures de relance économique mises en œuvre par l’État dans des secteurs d’emploi masculins représenteraient plus du double (7,2 G$) des investissements profitant aux femmes[9]. Moins d’emplois de qualité pour les femmes, sur ordre du gouvernement.
Antiféminisme d’État
Avec son discours et ses projets de loi antiféministes[10], Québec discrimine les femmes. En alléguant que l’égalité est atteinte, le gouvernement néglige de faire une analyse différenciée selon les sexes et légifère, par conséquent, sans considérer les effets distincts que ses lois peuvent avoir sur la réalisation de l’égalité entre les Québécoises et les Québécois. Sa négligence politique a pour conséquences de nombreux reculs pour les femmes, notamment sur les plans économique, politique et socioculturel : augmentation de la pauvreté des femmes, augmentation du chômage féminin, augmentation du travail invisible des femmes, diminution de la représentation politique des femmes, diminution de l’accès des femmes aux études supérieures, diminution de l’accès des femmes aux soins de santé. Lorsque l’égalité disparaît de l’horizon politique, ce sont les femmes qui en ressentent les coups. Moins d’égalité pour les femmes, sur ordre du gouvernement.
En conclusion, il importe de souligner que toutes ces violences sont systémiques. Les violences conjugales, politiques, économiques et socioculturelles se répondent les unes aux autres. Elles prennent racine dans le patriarcat et l’alimentent, maintenant les femmes en position de subordination. C’est dans ce contexte global de violence systémique que sont mises de l’avant les mesures d’austérité : elles aggravent une situation qui était déjà problématique, faisant reculer davantage les droits des femmes. Les centres de femmes, par leur mission globale, vivent directement l’amplification des violences faites aux femmes. Les travailleuses de centre répondent le mieux possible à la multiplication des demandes, mais sont à bout. Elles appellent la société civile à la solidarité et à l’action politique : il faut un arrêt d’agir!
Bibliographie
[1] BOURGAULT, France et Diane MATTE. Ce que nous savons de la violence envers les femmes. Comité des 12 jours, 2010, 17 pages.
[2] POMAR, Sarah. « Chaudronnée de l’Estrie : dernier repas ce dimanche », EstriePlus.com, 21 février 2015, en ligne [http://goo.gl/WdUJcY].
[3] FFQ, RTRGFQ et CIAFT. Mémoire conjoint présenté à la Commission des finances publiques dans le cadre des Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 28, 10 février 2015, 45 pages, en ligne [http://www.ffq.qc.ca/2015/02/memoire-sur-le-projet-de-loi-28/].
[4] La socialisation est un processus qui se déroule tout au long de la vie humaine. C’est par ce processus que toute personne apprend les normes sociales, les valeurs partagées par son groupe culturel. Dans une société patriarcale comme la nôtre, les filles et les garçons vivent une socialisation différente : des consignes, des contraintes, des punitions ou des encouragements les guident vers des rôles sociaux de sexe différents. D’où le rose et le bleu.
[5] QUÉBEC. D’égale à égal?, 2007, 35 pages.
[6] Id.
[7] L’R. Santé à bout de bras, femmes à bout de souffle. Funambules médias, 2010, vidéo en ligne [http://www.rcentres.qc.ca/public/sante-a-bout-de-bras-femmes-a-bout-de-souffle.html]
[8] SURPRENANT, Marie-Ève. Jeunes couples en quête d’égalité. Sisyphe, 2009, 126 pages.
[9] COUTURIER, Eve-Lyne et Simon TREMBLAY-PEPIN. Les mesures d’austérité et les femmes : analyse des documents budgétaires depuis 2008. IRIS, 2015, 55 pages.
[10] DUPUIS-DÉRY, Francis. Quand l’antiféminisme cible les féministes, 2013, p. 9.