Lettre publiée dans Le Devoir, le 6 octobre 2022
Christine Vézina, professeure de droit à l’Université Laval. Elle cosigne ce texte avec une dizaine de membres de la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES) et la Ligue des droits et libertés.*
En ces premiers jours post-élection, nous souhaitons dire à quel point il nous est apparu absurde de voir que des enjeux aussi essentiels que d’avoir un toit ou de pouvoir se faire soigner dans notre Québec contemporain être traités comme des promesses électorales.
Certains diront qu’à ce titre, les engagements partisans valent encore mieux que l’indifférence face aux effets délétères des choix politiques sur la satisfaction des besoins de base qui sont affreusement banalisés dans notre société. Certes. Ils pourront toujours servir de leviers quand ce nouveau gouvernement, fort de sa victoire, sera tenté de négliger les mesures structurantes requises pour permettre à toutes et à tous une vie digne.
Nous les jugeons tout de même problématiques ces promesses, parce que la jouissance de droits économiques et sociaux, tels les droits au logement, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant ne devrait en aucun cas être conditionnelle aux aléas des gains électoraux. Elle devrait plutôt les transcender, conformément aux engagements auxquels le Québec a souscrit en 1976 lorsqu’il a lui-même ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le « PIDESC »).
Plus encore, on pourrait croire, près de 46 ans après cette ratification, que l’obligation de réaliser progressivement les droits économiques et sociaux qui s’impose à l’État ait entraîné des avancées allant bien au-delà du niveau de base imposé par le droit international. Or, quand on pense notamment aux conditions de vie des personnes itinérantes, des prestataires de l’aide sociale, des salariés au bas de l’échelle, des migrants à statut précaire, on constate que même ce niveau minimal essentiel de réalisation des droits économiques et sociaux n’est pas encore assuré au Québec.
À une époque marquée par les problèmes d’accès à la justice, il est déplorable de voir que des personnes doivent se battre devant les tribunaux pour espérer sauver des bouts de niveau minimal essentiel de droits. La récente lutte judiciaire dans l’affaire de la résidence Mont-Carmel, portée par des aînés forcés de se défendre devant la justice pour s’opposer à une stratégie d’éviction menée sans complexe, illustre très bien l’idée que moins le gouvernement protège les droits économiques et sociaux, plus le fardeau pèse lourd sur les personnes concernées.
Pis encore, le processus d’appauvrissement en cours, soutenu par des seuils d’aide sociale et un salaire minimum qui gardent les gens dans la pauvreté, la crise du logement, alimentée par des mesures inadaptées ou par l’inaction gouvernementale, le démantèlement du système de santé témoignent d’une véritable régression dans le niveau de réalisation des droits économiques et sociaux. Pourtant, les mesures régressives sont prohibées par le PIDESC.
Les vulnérabilités inquiétantes de nos systèmes de santé et d’éducation révélées au grand jour par la pandémie de COVID-19, la détresse d’une frange grandissante de la population forcée de se tourner vers les banques alimentaires alors que les profits des grandes enseignes ne cessent de croître, le marché incontrôlé du logement, sont des questions de droits de la personne qui méritent d’être traitées comme telles par les gouvernements et les autres acteurs de la société.
En vertu du PIDESC, le Québec est tenu de documenter ces phénomènes, et sur la base des données, de développer, en s’appuyant sur la participation des personnes concernées, des lois, des politiques publiques, des budgets destinés sciemment à réaliser les droits, de manière non discriminatoire, en priorisant les besoins des personnes les plus vulnérables. Ce travail, qui doit s’ancrer dans le droit international et dans les Chartes des droits, s’impose au gouvernement sans égard aux idéologies politiques et aux intentions de vote.
En tant qu’acteurs en mesure d’influencer au premier chef la réalisation des droits économiques et sociaux, les différents partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ont le devoir de prendre de la hauteur pour se saisir sérieusement de ces droits et déployer tout leur potentiel de cohésion sociale.
Les initiatives transpartisanes mises en avant dans le passé reposaient sur l’idée que la sécurité et la dignité des personnes en situation de vulnérabilité étaient suffisamment nobles et urgentes pour dépasser les lignes de parti. Ce sont précisément ces valeurs qui structurent l’ensemble des droits économiques et sociaux et qui commandent de mobiliser les efforts politiques au service du bien commun.
*La liste complète des signataires :
Alice Belleau-Blais, étudiante au baccalauréat en droit, Université Laval
Camille Bétencourt, doctorante en droit, Université Laval
Jessica Bouchard, étudiante à la maîtrise en droit, Université Laval
Martin Gallié, professeur de droit, UQÀM
Faiza Kadri, doctorante en droit, UQÀM
Valérie Kelly, doctorante en droit, Université Laval
Annick Provencher, professeure de droit, Université de Montréal
Mirja Trilsch, professeure de droit, directrice de la Clinique internationale de défense des droits humains
Margot Young, professeure de droit, Université de Colombie-Britannique
La Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES) est un partenariat de recherche dont la mission est de développer les connaissances relatives aux droits économiques et sociaux afin de les intégrer dans les pratiques des droits de la personne au Québec et au Canada.