Rappelons-nous les stérilisations imposées aux femmes autochtones au Québec

Tant que le gouvernement refusera de nommer et de reconnaître le racisme systémique, il sera difficile de le combattre et d’effectuer les changements structurels nécessaires.

Rappelons-nous les stérilisations imposées aux femmes autochtones au Québec

Un carnet rédigé par Léa Landel, kinésithérapeute diplômée en France, étudiante au microprogramme de 2e cycle en éthique clinique, Université de Montréal

Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.


La prise de conscience publique des pratiques de stérilisations et avortements imposés au Canada a eu lieu en 2015[1], lorsque des femmes autochtones de la Saskatchewan ont pris la parole dans les médias pour dénoncer le traitement qu’elles avaient subi. En 2019, le gouvernement du Québec avait refusé de prendre part aux travaux du groupe de travail sur la compétence culturelle en santé mis sur pied par le gouvernement fédéral. La ministre de la Santé, Danielle McCann, soutenait alors qu’ils étaient déjà sensibilisés à la question et qu’aucun cas de stérilisation imposée n’avait été recensé dans la province. À la suite de cette prise de position jugée illégitime, une recherche auprès des femmes des Premières Nations et Inuit au Québec avait été lancée par les chercheuses Suzy Basile et Patricia Bouchard, intitulée : «Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec » en 2021, afin de visibiliser leurs histoires douloureuses. Le dernier cas de stérilisation imposée recensé au Québec datait alors de 2019.

Le consentement libre et éclairé, un droit bafoué pour les femmes des Premières Nations et Inuit

Cette étude met en lumière la manière dont le principe du consentement libre et éclairé a été bafoué lors des interventions gynécologiques effectuées auprès de femmes des Premières Nations et Inuit au sein d’institutions publiques.

Pourtant, le consentement est un impératif reconnu par le Code civil du Québec et le Code de déontologie des médecins. Incluant la divulgation complète des risques, des conséquences et des autres options possibles, il devrait être recueilli par tout-e soignant-e en s’assurant de la capacité des patient-e-s à recevoir l’information, à disposer du temps et d’un environnement approprié à la réflexion, et de l’absence de coercition[2]. C’est donc à la fois un principe déontologique, mais également un principe éthique dans une perspective de bienfaisance, de non-malfaisance, de justice et de protection de l’autodétermination[3] des patient-e-s.

Or, les pressions à accepter une ligature des trompes ou une hystérectomie, l’absence d’alternatives, l’absence d’informations, la barrière de la langue, et l’absence d’un formulaire de consentement font émerger des biais discriminants racistes et sexistes dans la manière dont les soignant-e-s ont recueilli, ou non, le consentement de ces patientes [1], [4].

Une manifestation du racisme systémique

Ce non-respect du consentement libre et éclairé, s’ancre non pas dans un « vide historique »[5], mais dans un continuum et un héritage d’oppressions coloniales et patriarcales, qui biaisent et parasitent l’obtention du consentement. En effet, la parole de ces femmes recueillie lors des entretiens met en lumière les discriminations qu’elles subissent, à l’intersection de plusieurs systèmes d’oppressions.

Les approches féministes intersectionnelles permettent de comprendre le chevauchement des systèmes de domination à l’œuvre dans ces stérilisations imposées. Pour Sirma Bilge et Patricia Hill Collins, l’intersectionnalité est un outil d’analyse de « la trame complexe des inégalités », à des fins de justice sociale. Elle permet de surmonter des problèmes sociaux ou de promouvoir certains statuts sociaux opprimés[6]. Ainsi des facteurs multiples vulnérabilisent les femmes autochtones en créant des contextes non sécuritaires et discriminants, qui se situent au croisement du colonialisme, du racisme, et du sexisme[7] et entravent la possibilité d’un consentement libre et éclairé. L’analyse des préjugés et stéréotypes racistes véhiculés lors de la colonisation permet de mieux comprendre les mécanismes ayant permis aux soignant-e-s de banaliser et finalement de légitimer ces pratiques au sein des structures publiques de soin au Québec.

Si les principes de justice dans l’accès au soin, de consentement libre et éclairé, d’autodétermination, sont censés être des pierres angulaires du système de soin québécois aujourd’hui, ces cas tragiques de stérilisations imposent de réfléchir à la manière dont ces femmes sont accueillies et prises en charge ainsi qu’aux changements à effectuer pour sécuriser leur accès aux soins.

Si certaines mesures ont été prises, tant sur le plan politique que juridique pour tenter de sécuriser l’accès au soin des Premières Nations et Inuit[8], la date de la dernière stérilisation connue (2019), démontre la perpétuation de ces oppressions et impose leur reconnaissance.

Reconnaître le racisme systémique avant d’aller plus loin

Les pratiques de stérilisations et d’avortements imposés qui ont eu lieu au sein de structures de santé, montrent que le racisme systémique[9] existe et persiste à des degrés divers dans la société québécoise lorsqu’elles sont analysées au prisme de l’intersectionnalité. C’est un héritage continu, une séquelle du colonialisme dont l’effet rémanent des iniquités et des injustices historiques se fait toujours sentir[10].

Tant que le gouvernement refusera de nommer et de reconnaître le racisme systémique, il sera difficile de le combattre et d’effectuer les changements structurels nécessaires.

Alors que le projet de loi no 32, Loi instaurant l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux (PL32), présenté au mois de juin dernier veut instaurer l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux, la reconnaissance du racisme systémique ainsi que celle du Principe de Joyce[11] n’a toujours pas été faite par le gouvernement du Québec. Face au refus du gouvernement de travailler au PL32 dans une relation de nation à nation, le bureau du Principe de Joyce a alors quitté les audiences de la Commission des institutions en septembre 2023.

Or, pour répondre aux enjeux éthiques du respect de l’autodétermination, de bienfaisance, de non-malfaisance et de justice pour tous et toutes des systèmes de soin[12], cette étape est essentielle pour instaurer la sécurisation culturelle[13]. Ces enjeux éthiques, fondateurs de l’éthique biomédicale, imposent en effet le respect du droit à l’autodétermination en matière de sécurisation culturelle des Premières Nations et Inuit.  Les Premières Nations et Inuit doivent être au cœur de la co-création de lieux sécurisants pour tous et toutes.


[1] Suzy Basile, P. Bouchard, Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, 2022

[2] Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, 2021.

[3] TL Beauchamp, JF Childress. Principles of Biomedical Ethics, 2008.

[4] S. Shaheen-Hussain, A. Lombard, S. Basile, Confronting medical colonialism and obstetric violence in Canada,The Lancet, 2023, 401.

[5] P. Breault, J. Nault, Réflexions sur les soins de santé aux patients autochtones.

[6] P. Hill, S. Bilge,  Intersectionnalité: une introduction. 2023.

[7] K. Stote, The Coercive Sterilization of Aboriginal Women in Canada. American Indian Culture and Research Journal, 2012. K. Stote, Decolonizing Feminism: From Reproductive Abuse to Reproductive Justice, 2017.

[8] Comité de suivi des appels à l’action de la Commission Viens. 2021.

[9] JA Powell, Structural Racism: Building upon the Insights of John Calmore, North Carolina Law Review, 86.

[10] I. Guissé, Racisme: de la doctrine à l’ordinaire, 2020.

[11] Principe de Joyce. Mémoire présenté par le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la Nation Atikamekw, 2020.

[12] TL Beauchamp, JF Childress, Principles of Biomedical Ethics, 2008.

[13] Comité de suivi des appels à l’action de la Commission Viens. 2021. Collège des médecins du Quebec. Mémoire Projet de loi no 32, septembre 2023.