Les méandres de la gestion de la COVID : restez chez moi pis perdre ma job …

Depuis des semaines, on nous demande de faire confiance aux expert-e-s de la santé. Et nous l’avons fait. Il est temps de faire confiance au jugement des travailleurs et des travailleuses – qui souvent sont aussi des parents – et de les soustraire à l’odieux de choix impossibles.

Un carnet rédigé par Me Lucie Lamarche, vice-présidente du conseil d’administration de la LDL et professeure en sciences juridiques à l’UQAM

La gestion de la pandémie covidienne ressemble de plus en plus à un mauvais film pour les travailleurs et pour les travailleuses.

Au début du film, on nous a dit de rentrer chez nous et de bénéficier de la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Rappelons que plusieurs travailleurs et travailleuses n’ont pas eu un tel choix et sont resté-e-s au travail à leurs risques et périls: la santé; les abattoirs; les services; etc. Ce sont les premiers et les premières qui ont mené la bataille de l’accès aux protections adéquates sur les lieux de travail. Ils et elles n’ont pas toujours gagné et l’ont parfois payé de leur vie.  Déjà, nous sommes devant un film triste.

L’amorce du déconfinement rend le film encore plus dramatique. Et le scénario n’est pas toujours facile à comprendre. Proposons à titre d’exemple deux arrêts sur image.

Deux arrêts sur image

Aujourd’hui, certains bénéficiaires de la PCU sont rappelés au travail. Le dilemme est
cornélien : perdre la PCU ou perdre sa job? Ou les deux? Le gouvernement fédéral a beau se faire rassurant, il demeure que sauf exception … le droit du travail est de compétence provinciale. Ainsi, c’est le droit québécois qui prévoit que le travailleur ou la travailleuse n’a pas le dernier mot lorsqu’il s’agit de savoir si son milieu de travail présente un risque. C’est le service d’inspection de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui décide. Or, non seulement les travailleurs et travailleuses sont-ils fatigués, mais ils sont aussi confus. Entre l‘intérêt de la reprise économique ou celui des personnes au travail, on ne sait pas toujours ce qui prime. Et comme pendant des semaines on nous a dit d’avoir peur…

Il est difficile de nous percevoir aujourd’hui comme des êtres déraisonnables, car les mauvaises nouvelles de la contamination sur les lieux de travail ne cessent de faire la une.

Les péripéties s’accumulent

Les choses cependant sont encore plus compliquées pour les parents-travailleurs. Car on a levé l’obligation de fréquentation scolaire pour les régions où les écoles sont – ou seront – réouvertes. Ce faisant, on laisse à l’autorité parentale le soin de décider du meilleur intérêt de l’enfant. Cette notion, en temps de pandémie, est toutefois complexe. C’est un peu comme tenter de savoir qui contaminera qui? Le parent-travailleur contaminant son enfant? L’enfant contaminant son parent ou un autre membre de la famille? Ou le parent-travailleur contaminé par son enfant, un autre travailleur? On comprend, dans un tel contexte, les familles qui passent leur tour autant que l’on doit respecter celles qui n’ont simplement pas le choix de retourner au travail.

Or, le droit du travail ne prévoit pas qu’un travailleur ou une travailleuse puisse refuser de retourner au travail en raison du risque que représente un membre de sa famille pour le milieu de travail ou, le milieu de travail pour l’enfant. Rien non plus ne dit que dans de telles circonstances, le droit à la PCU demeure intact. Ce serait plutôt le contraire. Le dilemme est donc doublement cornélien.

Quel dénouement?

En conclusion, il est faux de prétendre que les travailleurs et les travailleuses ont des choix réels et effectifs lorsqu’il s’agit de leur santé et de celle de leur famille et de leur communauté. Et il serait utile que le gouvernement fédéral, plein de bonnes intentions, en prenne acte.

À l’heure de la pandémie, nous sommes régis collectivement par au moins d’une quarantaine de décrets déclenchant l’urgence sanitaire et d’arrêtés en conseil organisant la vie en temps de pandémie. Force est de constater qu’aucun de ces nouveaux outils de gouvernance – si peu démocratiques – n’offre au travailleur et à la travailleuse des choix qui garantissent sa sécurité physique, psychologique et économique.

L’intérêt collectif et, faut-il le répéter, économique, jette dans l’ombre le triste scénario du film dans lequel nous jouons malgré nous.

Nous avons besoin, pour encore quelques temps, d’un quarante-et-unième, ou quarante-deuxième décret qui consacre le contrôle du travailleur ou de la travailleuse sur sa vie, sa santé et ses finances. C’est l’heure de la réciprocité. Depuis des semaines, on nous demande de faire confiance aux expert-e-s de la santé. Et nous l’avons fait. Il est temps de faire confiance au jugement des travailleurs et des travailleuses – qui souvent sont aussi des parents – et de les soustraire à l’odieux de choix impossibles. Ils sont déjà trop nombreux à avoir payé de leur vie et de leur santé le fait de travailler pour gagner leur vie et celle de leur famille.

On opposera à cette proposition le fait qu’elle encourage la triche, la paresse et la fraude. Nous répondons que le droit à la vie, à la sécurité et à la famille n’a que faire de ces considérations administratives… et économiques.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.