Les prisons provinciales à l’ère du déconfinement

Depuis le début de la pandémie, la situation dans les prisons se dégrade. L’isolement cellulaire ne peut être la solution pour endiguer la pandémie ; les mesures de prévention et de protection mises en place par les autorités carcérales sont inacceptables.

Un carnet rédigé par Catherine Chesnay, PhD, Professeure, École de travail social, UQÀM et Dominique Bernier, PhD, membre du Barreau, Professeure, Département des sciences juridiques, UQÀM

Comme le soulignait Lucie Lemonde dans le carnet du 19 mars, les prisons et les lieux de détention sont des terreaux fertiles pour la propagation de la COVID-19. Les prisons provinciales sont particulièrement problématiques, vu leur surpopulation chronique, l’exigüité des lieux de détention, ainsi que, dans certains cas, la vétusté des installations.

Comparativement à la réalité propre aux pénitenciers qui relèvent du palier fédéral, les informations sur la pandémie de la COVID-19 dans les prisons provinciales ont été rendues publiques tardivement, soit le 29 avril 2020.

La COVID-19 circule en prison

D’après les informations publiées par le ministère de la Sécurité publique, la COVID-19 circule en prison. L’Établissement de détention de Montréal (la prison de Bordeaux) et celui de Rivière-des-Prairies semblent, officiellement, les plus touchés par la COVID-19. Le nombre exact de personnes infectées est inconnu, car, pour le moment, la stratégie de dépistage se limite aux personnes qui présentent des symptômes et à celles qui ont été en contact direct avec ces personnes. Nous ne savons pas s’il y aura une stratégie de dépistage systématique dans les prisons provinciales. Bref, il est encore difficile de se prononcer sur l’ampleur de la pandémie en prison.

Jusqu’à maintenant, les mesures adoptées par le ministère de la Sécurité publique ont visé à minimiser les échanges entre les milieux de détention et l’extérieur. Ainsi, les peines discontinues ont été temporairement suspendues pour éviter des déplacements vers les centres de détention. De plus, les visites aux personnes incarcérées ont aussi été suspendues, tout comme l’offre de services de prévention, de soutien psychosocial et de thérapie offerts par divers organismes communautaires, ainsi que les programmes éducatifs et vocationnels. Pour éviter le transport de personnes incarcérées des prisons provinciales aux palais de justice, certaines étapes de la procédure judiciaire sont réalisées par visioconférence.

À ce stade-ci, il est difficile de mesurer l’ampleur et les effets de l’usage de la visioconférence. Pour le moment, il semble que le système de justice tourne au ralenti ce qui, de facto, a ralenti le flot des personnes dans les prisons, mais qui semble aussi ralentir la sortie de ceux qui y sont déjà.

Et la désincarcération?

Qu’en est-il des mesures de désincarcération? Annoncée le 6 mai 2020, une seconde mesure de réduction de la population carcérale, qui devrait toucher peu de personnes incarcérées. Cette mesure s’inscrit dans la Loi sur les Services Correctionnels : elle repose sur l’octroi d’une permission de sortie à des fins médicales (art. 42-44). Elle vise les personnes qui sont âgées de plus de 65 ans, qui sont enceintes, qui ont une confirmation médicale d’un facteur de vulnérabilité face à la COVID-19 ou qui ont 30 jours ou moins à purger. Certaines conditions s’appliquent.  Elles ne peuvent être membre d’un groupe criminel et elles ne doivent pas purger une peine pour un crime violent. Elles ne peuvent pas avoir été l’objet d’une révocation d’une ordonnance de sortie, d’une libération conditionnelle ou d’une permission de sortir, ni avoir commis de manquement disciplinaire (allant de la violence physique à l’usage de langage injurieux) lors de leur incarcération. De plus, elles doivent disposer d’un endroit adéquat où demeurer et avoir été isolées minimalement 14 jours durant leur incarcération ou avoir obtenu un résultat négatif à un test de dépistage[1].

Somme toute, cette mesure ne va s’appliquer qu’à un nombre restreint de personnes, ne permettant pas de réduire la population carcérale de façon significative.

Les conditions de détention déplorables

À quoi sont donc confrontés ceux qui restent? Les personnes qui arrivent dans une prison (que ce soit d’un poste de police, d’un palais de justice ou d’un autre centre de détention) sont confinées à leur cellule, dans une aile régulière ou une aile de confinement 23h sur 24h. Concrètement, cela limite considérablement l’accès aux douches, aux téléphones, à la cour, car ceux-ci sont situés dans des espaces communs. Les personnes dorment, mangent, font leurs besoins dans leur cellule.

L’accès à des soins de santé adéquats demeure le même, soit ardu, voire traumatisant. Les échos qui nous sont provenus de Bordeaux dans les secteurs C et E, où des personnes sont infectées par la COVID-19, font état d’un confinement encore plus sévère. Depuis le 24 avril, les personnes incarcérées dans ces secteurs sont isolées presque 24h sur 24h, pour une période minimale de 14 jours, sans accès à des téléphones, ce qui a pour effet d’isoler ces personnes de leur réseau, mais aussi de compromettre leur accès à leur audience de libération conditionnelle ou à une représentation adéquate si nécessaire. Il est important de souligner que ces deux secteurs sont les plus populeux de la prison : environ 350 personnes y sont incarcérées, soit près de la moitié des détenus de Bordeaux.

Double confinement

Le confinement dans une cellule pour 23h sur 24h (ou selon certains témoignages jusqu’à 24h sur 24h) s’apparente à l’isolement cellulaire décrié par les organismes de défense de droits depuis si longtemps. Rester dans une cellule sans contact pour une période prolongée peut être discriminatoire pour certains groupes des populations carcérales et, surtout, ne devrait jamais être utilisé de façon prolongée. Suivant des décisions judiciaires en Ontario et en Colombie-Britannique, les tribunaux canadiens ont obligé le gouvernement fédéral à modifier sa loi 2019 pour encadrer partiellement l’isolement. La Cour suprême du Canada a accepté en mars dernier d’entendre l’appel de ces deux recours.

L’isolement cellulaire, une mesure de dernier ressort

Pour le contexte propre à la détention au Québec, rappelons que la Protectrice du citoyen a déjà demandé au gouvernement du Québec de respecter les règles de Mandela[2]. Bien que les règles de Mandela n’aient pas force de loi au Canada, elles établissent les normes minimales de traitement des personnes incarcérée de l’admission à la libération. Elles stipulent que l’isolement cellulaire, défini comme un isolement de 22h par jour sans contact humain réel, ne doit être utilisé qu’en dernier ressort, pour une durée maximale de 15 jours.

Les règles de Mandela stipulent aussi que les personnes susceptibles d’être atteintes de maladies infectieuses peuvent être en isolement clinique, avec un traitement adapté, ce qui est loin de la situation actuelle.

Le contexte sanitaire sera probablement une occasion de définir autrement cette impossibilité de sortir de la cellule en raison de l’urgence sanitaire, mais le peu d’information auquel nous avons accès et l’opacité de cette pratique restent inquiétants. L’isolement, qu’il soit pour des raisons disciplinaires ou sanitaires, a des effets importants sur la santé physique et mentale des personnes qui le subissent.

Le 6 mai, des détenus de la prison de Bordeaux ont entamé une grève de la faim pour dénoncer leur condition de détention. Une liste de demande des détenus a d’ailleurs été rendue publique le 11 mai. En plus de matériel de protection, ils demandent une réduction de la population carcérale, la création et la reconnaissance d’un comité de détenus, ainsi qu’une reconnaissance du temps (1 jour pour 3) passé en prison dans ces circonstances exceptionnelles. Il reste à voir comment leur demande seront entendues et reconnues. Selon des développements récents, il semblerait que certains détenus des secteurs C et E ont été déconfinés et transférés dans d’autre secteur. Nous en apprendrons plus les prochains jours.

Une situation intenable

Les voix qui s’élèvent derrière les murs des prisons le clament haut et fort : cette situation est intenable. Les actes de résistance – grève de la faim, refus de se conformer aux demandes de l’institution, attaque de biens du centre de détention – se sont multipliés. L’histoire nous démontre que ces actes – ré-écrits comme des émeutes, du grabuge – sont des stratégies que les personnes incarcérées mobilisent car, en prison, il ne leur reste que leur corps pour s’opposer, se soulever, incarner leur colère. Alors que le Québec se déconfine tout en respectant la distanciation physique, les personnes incarcérées doivent-elles se résigner à un isolement total?


[1] Arrêté numéro 2020-033 de la ministre de la Santé et des Services
sociaux en date du 7 mai 2020

[2] Radio-Canada, Isolement dans les prisons : Québec prolonge sa réflexion, 28 septembre 2019.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.