Consultations particulières et auditions publiques au sujet du projet de loi 57, Loi édictant la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions et modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal
Mémoire présenté par la
Ligue des droits et libertés
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Devant la Commission de l’aménagement du territoire
Assemblée nationale du Québec
30 avril 2024
Table des matières
Présentation de la Ligue des droits et libertés
1) Un contexte de limitation des espaces de contestation sociale
1.1 Des courriels à l’attention des élu-e-s concernant le projet de loi 15 qualifiés de harcèlement
1.2. Recours à la police dans un conseil municipal
1.3. Mise en demeure pour avoir fait un commentaire sur les réseaux sociaux
1.4. Mise en demeure envoyée à une centaine de citoyen-ne-s
3) La Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions.
3.2. Création de deux nouvelles infractions pénales
3.3. Nouveaux pouvoirs conférés au Directeur général des élections du Québec
4) L’obligation pour les conseils municipaux d’adopter un règlement de régie interne
Présentation de la Ligue des droits et libertés
La Ligue des droits et libertés (LDL) est une organisation indépendante, non partisane et sans but lucratif, qui vise à défendre et à promouvoir les droits humains en mettant de l’avant leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance. Depuis sa création en 1963, la LDL a influencé plusieurs politiques gouvernementales et projets de loi, en plus de contribuer à la création d’instruments et d’institutions voués à la défense et la promotion des droits humains, tels que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et la création de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Elle intervient régulièrement dans l’espace public pour porter des revendications et dénoncer des violations de droits humains auprès des instances gouvernementales sur la scène locale, nationale ou internationale. La LDL est également membre de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), qui a fêté son 100e anniversaire en 2022.
La LDL poursuit, comme elle l’a fait tout au long de son histoire, différentes luttes contre la discrimination et contre toute forme d’abus de pouvoir, pour la défense des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Nous remercions la Commission de l’aménagement du territoire de son invitation à participer aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi 57, Loi édictant la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions et modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal.
Introduction
Le présent mémoire porte principalement sur le chapitre I du projet de loi omnibus no 57 (PL 57), qui propose l’adoption de la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions. Des commentaires sont aussi formulés sur un aspect additionnel du PL 57, soit l’obligation pour les municipalités d’adopter un règlement de régie interne, lequel prévoit notamment des normes concernant le maintien de l’ordre, le respect et la civilité durant les séances.
La nouvelle Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions est présentée comme une réponse aux situations d’intimidation, de harcèlement et de menaces auxquelles sont confrontées des personnes élues. Ces situations sont le fait à la fois d’autres élu-e-s et de citoyen-ne-s. Un rapport de recherche transmis à la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, indique que le harcèlement envers les élu-e-s municipaux provient des personnes suivantes : « les maires et autres conseiller-ère-s de la municipalité, les fonctionnaires et le.la directeur-trice général-e de la municipalité, les opposant-e-s politiques, ainsi que des citoyen-ne-s de la municipalité et parfois d’autres personnes qui habitaient à l’extérieur de la municipalité[1] ». Il s’agit là d’un problème sérieux, auquel il convient de répondre en adoptant des mesures adéquates. Toutefois, la nouvelle loi proposée dans le PL 57 n’apporte pas de solution adéquate à la problématique, tandis qu’elle présente des risques sérieux d’atteintes aux droits et libertés.
La LDL recommande le retrait du chapitre I du PL 57, lequel propose l’adoption de la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions, et ce, principalement pour deux raisons.
La première est qu’il existe dans le cadre législatif actuel des recours tels que certaines infractions prévues au Code criminel ainsi que les demandes d’injonction prévues au Code de procédure civile, qui suffisent pour répondre aux menaces, à l’intimidation et au harcèlement visant des personnes élues. Par ailleurs, ne serait-il pas souhaitable d’adopter des mesures qui ne relèvent pas du registre de la judiciarisation ? À cet égard, le rapport La gestion par les élues et élus municipaux des actes et propos violences, haineux ou déplacés à leur égard propose plusieurs recommandations qui sont des pistes intéressantes contre le harcèlement, notamment la valorisation de la communication en continu avec les citoyen-ne-s[2].
Cela nous amène au deuxième motif pour lequel nous recommandons le retrait du chapitre I du PL57, soit l’existence de risques sérieux d’atteintes aux libertés fondamentales d’expression, d’opinion et d’association de citoyen-ne-s et d’organisations de la société civile, qui sont protégées par la Charte canadienne des droits et libertés (art. 2 b et d) et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (art. 3). Or, le PL 57 ne fait aucunement mention de ces libertés constitutionnelles et le gouvernement ne semble pas en avoir tenu compte dans l’élaboration du projet de loi. Les reculs démocratiques et la limitation des espaces de contestation sociale observés par la LDL et de nombreuses autres organisations et qui s’accentuent depuis plusieurs années au Québec font craindre légitimement une application abusive de la nouvelle loi proposée. À cet égard, la nouvelle loi contient des dispositions aux énoncés trop larges et ne distingue pas, d’une part, les menaces avérées envers des personnes élues et, d’autre part, la contestation sociale qui est au cœur d’une société démocratique et de l’action politique en faveur de la justice sociale et de la défense des droits humains.
La LDL n’est pas seule à s’inquiéter des conséquences du PL 57 sur l’action politique des mouvements sociaux. Le 24 avril dernier, dans une lettre ouverte, la chercheuse Joëlle Dussault et 19 organisations de la société civile faisaient part de leurs préoccupations à ce sujet : « Dans sa forme actuelle, le projet de loi semble concerner tant les individus violents à l’égard d’élus que des groupes communautaires agissant pour influencer des décisions politiques[3] ».
Un processus de consultation escamoté
Selon le mémoire déposé au conseil des ministres par les ministres Andrée Laforest et Jean-François Roberge, le PL 57 vise entre autres à « protéger les institutions démocratiques[4] ». Paradoxalement, les processus démocratiques de participation citoyenne sont largement escamotés dans le cadre des consultations sur ce projet de loi.
En effet, les consultations particulières et auditions publiques sur le PL 57 se déroulent du 30 avril au 2 mai 2024, soit seulement trois semaines après le dépôt du projet de loi, le 10 avril dernier. Cet échéancier tout à fait déraisonnable constitue un obstacle à une véritable participation citoyenne dans les débats démocratiques sur des enjeux sociaux importants. La LDL déplore vivement non seulement ces courts délais, mais également l’absence d’autres organisations communautaires, syndicales et de défense collective des droits qui auraient pu vouloir être entendues lors des consultations. À cet égard, la LDL considère qu’une prolongation des consultations particulières et auditions publiques sur ce projet de loi est nécessaire.
Cette situation s’inscrit dans une tendance du gouvernement à enchaîner les dépôts de projets de loi en laissant très peu de temps aux organisations de la société civile pour les analyser, écartant un grand nombre d’entre elles du débat public démocratique. Ce n’est pas la première fois que la LDL déplore vivement cette situation, or la situation demeure inchangée et tend même à s’accentuer. Un examen indépendant s’impose sur les processus de consultation de l’Assemblée nationale sur les projets de loi déposés.
1. Un contexte de limitation des espaces de contestation sociale
Plusieurs événements préoccupants ont eu lieu dans différentes municipalités au cours des dernières années et ont fait l’objet d’une couverture médiatique. Ils sont emblématiques d’une limitation des espaces de participation ou de contestation pour les citoyen-ne-s face aux décisions prises par les élu-e-s. Voici quelques exemples qui permettront d’illustrer combien les craintes de la LDL et de nombreuses organisations de la société civile en regard d’une application abusive du projet de loi 57 sont bien réelles.
1.1 Des courriels à l’attention des élu-e-s concernant le projet de loi 15 qualifiés de harcèlement
En novembre 2023, le Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL) a participé à une campagne de lettres aux député-e-s pour manifester son opposition au projet de loi 15, Loi visant à rendre le système de santé plus efficace et au plan Santé du ministre Christian Dubé. Le ROCL a envoyé une telle lettre par courriel aux 10 député-e-s de la région, plaçant en copie conforme l’adresse courriel du bureau de circonscription du premier ministre François Legault. Le bureau de circonscription du premier ministre a fait parvenir au ROCL une réponse contenant notamment le paragraphe suivant :
Sachez également que le nombre excessivement élevé de courriels envoyés à notre adresse constitue du harcèlement. Nous préférions vous en avertir avant de devoir transmettre cette situation problématique à la Sûreté du Québec pour analyse afin de décider de la suite à donner à ceux-ci. Nous vous prions de cesser ces envois non sollicités et d’agréer nos respectueuses salutations.[5]
Le ROCL a été consterné par cette réponse pour le moins inquiétante, puisque de telles campagnes de lettre constituent un mode démocratique de participation au débat public. Dans un communiqué émis le 28 novembre 2023, la présidente du ROCL souligne à cet égard que « la menace de judiciariser cette tentative d’expression ne fait que confirmer les craintes que nous avions déjà concernant le mode de gouvernance du gouvernement actuel, tout comme envers le PL-15 et le recul démocratique qu’il laisse présager[6] ».
Le bureau de circonscription du premier ministre n’a pas donné suite aux mises en garde formulées dans la réponse. Le contraire aurait été surprenant, car, bien évidemment, une campagne de lettres sur un projet de loi n’est d’aucune façon une forme de harcèlement criminel. Toutefois, ces menaces peuvent avoir un effet dissuasif non seulement sur les personnes et les organisations visées, mais aussi sur d’autres groupes qui se demanderont à l’avenir si l’envoi de lettres au premier ministre leur fait courir le risque de faire l’objet de poursuites judiciaires et par conséquent, il ne vaudrait pas mieux s’abstenir.
De plus, le fait de qualifier une dizaine de courriels soulevant les préoccupations du milieu communautaire concernant un projet de loi d’« envois non sollicités » est à la fois déroutant et inquiétant. Le fait d’être interpellé-e-s par des organisations de la société civile et d’être à l’écoute fait partie intégrante du rôle de député-e.
1.2. Recours à la police dans un conseil municipal
À l’été 2023, des citoyen-ne-s de la Ville de Trois-Rivières sont préoccupé-e-s par le projet d’agrandissement du parc industriel 40-55 en raison de la destruction de plusieurs hectares de milieux humides occasionnée et de l’absence de consultation citoyenne. Lors de la séance du conseil municipal du 20 juin 2024, des citoyen-ne-s dans l’assistance se lèvent en silence pendant l’intervention d’un conseiller, lequel marque également son opposition à cette mesure, et brandissent des petites affiches sur lesquels on peut lire « Milieux humides, On vous a à l’œil », « Eau propre Ou Asphalte, l’heure des choix », « La prochaine génération vous regarde » et déroulent une bannière. Alors que les propos du conseiller suscitent des applaudissements de citoyen-ne-s pendant quelques secondes, plusieurs chantent ensuite le slogan « pas un hectare de plus ! ». Le tout dure environ deux minutes. Le maire suppléant Daniel Cournoyer a alors suspendu rapidement la séance et appelé la police. Le reste de la séance s’est déroulée en présence de la police, les portes verrouillées, empêchant toute personne d’entrer ou de sortir de la salle.
L’ampleur de cette réaction laisse peu d’espace pour l’expression du mécontentement citoyen, qui est pourtant essentiel dans un contexte de débat démocratique. Elle pourrait également décourager certain-ne-s citoyen-ne-s ou groupes de s’exprimer lors d’un conseil de ville dans le futur.
Il importe de rappeler que cet événement a eu lieu dans un contexte où tant les groupes citoyens que certains membres du Conseil municipal dénonçaient le manque de transparence et l’escamotage du processus démocratique entourant la décision devant être prise par la municipalité concernant ce projet. L’intervention de la police et le verrouillage des portes du conseil municipal le 20 juin dernier ont contribué à attiser les tensions, alors que les citoyen-ne-s exigeaient simplement que le projet fasse l’objet d’un débat éclairé, démocratique et transparent.
1.3. Mise en demeure pour avoir fait un commentaire sur les réseaux sociaux
À l’été 2023, une résidente de la Ville de Trois-Rivières, Joan Hamel, publie dans un groupe privé du réseau social Facebook un commentaire au sujet du projet d’agrandissement du Parc industriel 40-55, un projet controversé en raison de son impact sur les milieux humides. Le contenu de son commentaire est le suivant : « Une nouvelle qui démontre l’incompétence d’une personne qui défend ce projet de développement. Doit-on vraiment lui faire confiance ? »
La Ville de Trois-Rivières a pris connaissance de ce commentaire et a envoyé une mise en demeure à la citoyenne. La mise en demeure indiquait notamment ce qui suit :
Les propos que vous avez tenus, et leur maintien, correspondent aux définitions de « violence » et de « manque de civisme » prévues à la Politique sur la prévention de la violence dans les interactions avec le personnel de la Ville de Trois-Rivières, et vous avez alors contrevenu à ladite politique, dont le texte est joint à la présente.
Les fonctionnaires de la Ville de Trois-Rivières ont le droit de travailler dans un milieu exempt de violence et de propos incivils et doivent être protégés d’attaques personnelles sur la place publique en raison des gestes qu’ils posent dans l’exercice de leurs fonctions.
Pour cette raison, la Ville a adopté cette politique, considérant que la violence, quelle que soit sa forme, est inacceptable et que toute manifestation de violence, y compris l’intimidation et la médisance, à l’égard de son personnel ne peut être tolérée. […] [7]
Madame Hamel a dénoncé avec raison l’interprétation abusive de ce règlement par la Ville de Trois-Rivières. Les propos alors tenus participent au débat démocratique et ne sont pas violents. Les citoyen-ne-s doivent pouvoir formuler des critiques, aussi impopulaires et dérangeantes soient-elles, sur le travail des élu-e-s et des employé-e-s municipaux : cela fait partie intégrante de la liberté d’expression.
1.4. Mise en demeure envoyée à une centaine de citoyen-ne-s
En 2023, une centaine de citoyen-ne-s faisaient parvenir une pétition aux élu-e-s de Sainte-Pétronille pour leur communiquer leur préoccupation au sujet de la directrice générale de cette municipalité après avoir appris par une demande d’accès à l’information son congédiement passé par la municipalité de Val-des-Lacs. Ces citoyen-ne-s demandaient une enquête et exigeaient que les élu-e-s reconsidèrent son embauche. Le 20 décembre 2023, chacun-e des citoyen-ne-s signataires recevait une mise en demeure les menaçant de poursuites judiciaires s’ils et elles continuaient le « harcèlement, l’intimidation et la violence [8] ».
Pourquoi menacer des citoyen-ne-s de judiciarisation alors qu’ils et elles ne faisaient que s’exprimer sur une question d’intérêt public ? Le recours à des sanctions pénales ou aux injonctions dans de tels cas ne peut qu’entraîner des violations aux libertés fondamentales et envenimer des conflits locaux.
2. Les libertés d’expression, d’opinion et d’association : les grandes absentes du projet de loi 57
Les libertés d’expression, d’opinion et d’association sont au cœur même de l’existence d’une société libre et démocratique[9]. Pourtant, le PL 57 ne fait aucune mention de la nécessité de prendre en compte ces libertés fondamentales dans l’interprétation et la mise en application de la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions. Cette absence risque fort de donner lieu à une arbitraire et à des atteintes non justifiées à l’exercice de ces libertés garanties par les Chartes. Alors que le PL 57 prétend viser à protéger les institutions démocratiques, il est paradoxal qu’il laisse plutôt entrevoir des atteintes aux libertés constitutionnelles ainsi qu’à la participation citoyenne.
Dans leur mémoire sur le PL 57, les ministres Laforest et Roberge abordent brièvement les craintes que des citoyen-ne-s pourraient avoir à l’égard du respect de leur liberté d’expression. Les ministres soumettent à ce sujet que :
Les infractions pénales visant à sanctionner les citoyens menaçants ou harcelants, intimidants à l’égard d’une personne élue ou ceux troublant le déroulement d’une séance du conseil d’un organisme municipal pourraient toutefois susciter des inquiétudes de la part des citoyens à l’effet qu’une telle infraction pourrait porter atteinte à leur liberté d’expression ou de les censurer lors d’une séance du conseil. Il reviendrait alors aux tribunaux de circonscrire la portée de ces infractions[10].
Nous estimons que cette approche est insoutenable, et ceci, pour trois raisons.
Premièrement, nous sommes d’avis que dès l’élaboration de projets de loi ou de règlements, le législateur a le devoir de prendre en compte les droits et libertés des citoyen-ne-s. Il est malheureux de constater que trop d’élu-e-s font peu de cas des protections constitutionnelles lors de l’élaboration de dispositions législatives et éludent leurs responsabilités en laissant aux tribunaux le soin de réparer ou de faire cesser subséquemment les violations aux droits protégés par les Chartes canadienne et québécoise. S’il est essentiel que le pouvoir judiciaire puisse servir, en aval, de rempart aux potentielles dérives et violations de droits, cela ne soustrait pas le législateur à ses responsabilités en ce qui concerne le respect et la protection des droits et libertés dès l’étape des processus législatifs, en amont.
Deuxièmement, nous considérons qu’il est injuste d’imposer aux citoyen-ne-s et aux organisations de la société civile le fardeau financier de contester devant les tribunaux les dispositions législatives visées. Peu de citoyen-ne-s disposent des connaissances et des ressources pour le faire et, entre-temps, celles-ci peuvent avoir un effet dissuasif (chilling effect) important sur la participation citoyenne au débat démocratique.
Finalement, une telle approche attentiste fait des victimes, puisque les violations de droits constitutionnels ne seront pas corrigées ou révisées tant qu’un tribunal n’aura pas statué sur la validité de la disposition législative. Entre-temps, plusieurs citoyen-ne-s ne pourront exercer leurs droits ou encore seront punis injustement.
3. La Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions
L’article 1 du projet de loi propose l’édiction de la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions (la Loi visant à protéger les élus). Cette loi a pour objectif de :
[…] valoriser le rôle des élus [d’encourager] les candidatures aux élections et [de] contribuer à la rétention des élus en favorisant l’exercice sans entraves des fonctions électives au sein des institutions démocratiques québécoises, notamment l’exercice de telles fonctions à l’abri des menaces, du harcèlement et de l’intimidation.
La notion d’entrave aux fonctions électives se retrouve ainsi au cœur de la nouvelle loi proposée.
Pour atteindre cet objectif, la Loi visant à protéger les élus propose notamment l’adoption des mesures suivantes, que nous commentons dans les prochaines pages :
- Un régime d’injonction lorsqu’un-e député-e ou un-e élu-e municipal-e « fait l’objet de propos ou de gestes qui entravent indûment l’exercice de ses fonctions ou portent atteinte à son droit à la vie privée[11] » ;
- Une amende lorsqu’une personne « entrave l’exercice des fonctions [d’un député ou un élu municipal] en le menaçant, en l’intimidant ou en le harcelant de façon à lui faire craindre raisonnablement pour son intégrité ou sa sécurité »[12] ;
- Une amende lorsqu’une personne, lors d’une séance de tout conseil d’un organisme municipal, « cause du désordre de manière à troubler le déroulement de la séance[13] » ;
- L’élargissement des pouvoirs du Directeur général des élections afin de lui permettre d’intenter une poursuite pénale pour le bénéfice d’un-e député-e et de faire enquête[14].
3.1. Injonction
Le droit québécois prévoit trois types d’injonctions : provisoire, interlocutoire et permanente. Les injonctions interlocutoire et provisoire sont des mesures conservatoires temporaires qui visent à préserver les droits de la partie qui les demande, en attendant d’obtenir un jugement définitif et une injonction permanente[15]. L’injonction est quant à elle une ordonnance de la Cour pour mettre en œuvre diverses actions, lesquelles doivent être considérées comme réalistes et applicables[16]. L’injonction permanente est dite de protection lorsqu’elle enjoint « à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée[17] ». Dans ce cas, elle « ne peut être prononcée que pour le temps et aux conditions déterminés par le tribunal, et pour une durée qui ne peut excéder trois ans[18] ».
Le PL 57 crée un régime spécifique d’injonction (art. 2 et 8). Ainsi, un-e député-e ou un-e élu-e municipal-e qui estiment faire « l’objet de propos ou de gestes qui entravent indûment l’exercice de ses fonctions ou portent atteinte à son droit à la vie privée peut demander à la Cour supérieure de prononcer une injonction pour mettre fin à cette situation ». Le projet de loi précise que cette demande devra être entendue d’urgence. Selon la ministre des Affaires municipales, ce régime d’injonction crée des « balises pour guider la Cour supérieure dans le cadre d’une demande d’injonction […], [lesquelles] invitent la Cour supérieure à examiner le comportement d’un citoyen à la lumière des objectifs de la loi[19] ». Ce régime spécifique prévoit diverses ordonnances de la Cour allant de l’interdiction de communiquer avec la personne élue jusqu’à l’interdiction de « se trouver dans les bureaux de tout organisme municipal » (art. 2 et 8), lesquels comprennent toute instance municipale et tout bureau de circonscription[20].
Une notion d’entrave trop large et imprécise
Le premier motif permettant de demander une injonction est la présence « de propos ou de gestes qui entravent indûment l’exercice [des] fonctions ». Considérant que l’objectif du projet de loi est de protéger les élus contre l’intimidation, les menaces et le harcèlement, il est curieux de noter l’utilisation du critère d’entrave indue à l’exercice des fonctions pour ces articles. Cela est d’autant plus incongru compte tenu du fait que les articles 3 et 10 du projet de loi précisent quant à eux que les amendes prévues pour une entrave à l’exercice des fonctions doivent également tenir compte de deux autres critères, soit la présence de menace, d’intimidation ou de harcèlement ainsi qu’une crainte raisonnable pour l’intégrité et la sécurité de la personne élue.
Selon le libellé actuel, les injonctions demandées par les élu-e-s pourraient par exemple viser des campagnes de lettres ou de courriels initiées par des organisations de la société civile et qui permettent à la population de participer activement à la vie démocratique. La définition d’entrave prévue aux articles 2 et 8 nous semble donc beaucoup trop large pour remplir l’objectif du projet de loi, d’autant plus compte tenu de l’absence des notions de libertés d’expression, d’opinion et d’association dans son texte.
Le droit à la vie privée des élu-e-s
Le régime d’injonction créé par la Loi visant à protéger les élus précise que le second motif pour demander une injonction est la présence « de propos ou de gestes qui […] portent atteinte au droit à la vie privée des élus ». Cette dimension nous préoccupe, puisqu’elle ne semble pas conforme aux conclusions de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt phare en matière de vie privée Aubry c. Éditions Vice-Versa[21]. En effet, dans cet arrêt phare en matière de droit à la vie privée, la Cour a conclu qu’en raison du droit du public à l’information, qui découle d’ailleurs du droit à la liberté d’expression, les personnes élues ont une expectative de vie privée réduite[22]. Selon l’auteur Pierre Laurin, « [il] est donc clair que quiconque se lance dans l’arène politique abandonne, de gré ou de force, une partie importante de la protection de sa vie privée que lui assuraient ces textes législatifs de portée générale[23] ». Laurin va jusqu’à dire que, contrairement aux « citoyen-ne-s moyen-ne-s ont la sphère privée est beaucoup plus grande que la sphère publique, les personnes élues voient leur vie privée réduite au minimum, voire jusqu’à l’inexistence[24].
D’autre part, la législation québécoise prévoit que certains renseignements personnels liés à la vie privée des personnes élues sont considérés d’intérêt public. Par exemple, l’implication d’un membre de la famille d’un conseiller municipal dans une entreprise ayant un lien avec la municipalité serait considérée comme d’intérêt public.
Cette transparence est importante pour le bon fonctionnement des institutions démocratiques parce qu’elle permet d’éviter la corruption. Elle est aussi le corollaire du besoin d’exposition qui découle de la vie politique. Il est nécessaire de protéger le mieux possible le droit à la vie privée des élu-e-s du Québec, mais cette mesure ne peut pas se faire au détriment du droit à l’information de la population. Comme mentionné précédemment, nous déplorons que les libertés d’expression, d’opinion et d’association ne soient pas mentionnées dans ces articles afin de marquer leur importance lorsqu’il s’agira pour le tribunal de pondérer les avantages et inconvénients dans le cadre d’une demande d’ordonnance.
Le caractère permanent des injonctions
Comme mentionné plus tôt, les injonctions permanentes, dites de protection, permettent de protéger la vie, la santé ou la sécurité d’une personne physique. Les ordonnances qui en découlent peuvent restreindre grandement les droits de la personne concernée par l’ordonnance, par exemple en l’empêchant d’occuper un lieu où se trouve la personne à protéger. Pour cette raison, elles sont soumises à une durée maximale de trois ans.
Selon notre lecture, les injonctions prévues par la Loi visant à protéger les élus ne relèvent pas de ce régime, puisqu’elles ne se limitent pas à protéger la vie, la santé ou la sécurité d’une personne physique, mais visent des gestes plus généraux à l’égard des élu-e-s, soit ceux qui « entravent indûment l’exercice [des] fonctions ou portent atteinte [au] droit à la vie privée ». Elles pourraient donc être ordonnées pour une durée de plus trois ans.
Or, les articles 2 et 8 prévoient spécifiquement des interdictions de ne pas se trouver dans le bureau de circonscription d’un-e député-e, de ne pas se trouver dans les bureaux du cabinet ministériel d’un membre du Conseil exécutif, de ne pas se présenter aux séances de tout conseil d’un organisme municipal auquel siège l’élu-e municipal-e et de ne pas se trouver dans les bureaux d’un organisme municipal sans y avoir été autorisé par le conseil de cet organisme. Puisque certain-e-s élu-e-s sont parfois en poste pendant plusieurs mandats qui peuvent durer dix, voire vingt ou trente ans, ces ordonnances et interdictions pourraient donc durer aussi longtemps que la carrière de certain-e-s élu-e-s, tant et aussi longtemps que l’élu-e visé-e ne demande pas une levée de l’injonction. Il est absolument déraisonnable et disproportionné d’envisager d’ordonner des interdictions permanentes de se trouver dans un lieu d’exercice démocratique comme les conseils municipaux et les bureaux de circonscription.
D’autres outils permettent déjà de protéger les élu-e-s
Enfin, nous interrogeons sérieusement l’intérêt de même créer ces balises pour guider la Cour supérieure lorsque celle-ci sera appelée à se prononcer sur une demande d’ordonnance. Comme mentionné plus tôt, la Cour supérieure peut déjà prononcer des injonctions de protection, ainsi que des injonctions instruites d’urgence. Le système criminel prévoit quant à lui des mesures qui permettent de mettre fin aux comportements intimidants à l’égard de toute personne, incluant les élu-e-s. Pensons par exemple aux infractions d’entrave, de menace et de harcèlement criminel, ainsi qu’aux conditions qui peuvent être imposées avec une promesse de comparaitre, lors d’une remise en liberté ou même lors de la signature d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de l’article 810 du Code criminel lorsqu’une personne suscite une crainte raisonnable que l’intégrité d’un bien ou la sécurité d’un individu soit mise en péril.
Il existe déjà des régimes d’injonction ainsi que des amendes, et ces outils judiciaires sont déjà utilisés (parfois de manière abusive) par les élu-e-s. De plus, le droit à la vie privée des élu-e-s n’a pas prépondérance sur le droit à la liberté d’expression de la population dans un contexte politique. Compte tenu de ces éléments, nous considérons que la création d’un nouveau régime risque fort de nuire à la prise de parole des citoyen-ne-s face aux élu-e-s, notamment en créant un sentiment de crainte relativement aux conséquences néfastes découlant d’une simple intervention politique dans une arène démocratique.
3.2. Création de deux nouvelles infractions pénales
Le PL 57 propose la création de deux nouvelles infractions pénales. La première est prévue aux articles 3 et 10 de la Loi visant à protéger les élus :
3. Quiconque entrave l’exercice des fonctions d’un député en le menaçant, en l’intimidant ou en le harcelant de façon à lui faire craindre raisonnablement pour son intégrité ou sa sécurité est passible d’une amende d’au moins 500 $ et d’au plus 1 500 $.
10. Quiconque entrave l’exercice des fonctions d’un élu municipal en le menaçant, en l’intimidant ou en le harcelant de façon à lui faire craindre raisonnablement pour son intégrité ou sa sécurité est passible d’une amende d’au moins 500 $ et d’au plus 1 500 $.
La LDL considère qu’il n’est pas souhaitable de créer une nouvelle infraction pénale. Le gouvernement du Québec et les municipalités ont déjà en main tous les outils nécessaires pour prévenir et faire cesser les menaces, l’intimidation et le harcèlement envers des élu-e-s. En ce qui concerne la prévention, nous considérons que la communication continue avec les citoyen-ne-s, la transparence et la sensibilisation doivent être au cœur des pratiques des institutions démocratiques. Des campagnes de sensibilisation permettraient de remplir ce même objectif à l’égard de la population et des élu-e-s. En ce qui concerne la fin des gestes intimidants, il existe déjà des dispositions criminelles d’application générale visant les menaces, l’intimidation et le harcèlement à l’égard de toute personne. La création de nouvelles infractions pénales spécifiques à la réalité des élu-e-s nous apparaît donc mal avisée pour la préservation des institutions démocratiques, car en plus de rater l’objectif d’agir sur la problématique visée, elles dissuaderont les citoyen-ne-s d’employer des moyens d’expression et de contestation légitimes.
La deuxième infraction pénale est prévue à l’article 9 de la Loi visant à protéger les élus. Elle concerne le fait de « cause [r] du désordre de manière à troubler le déroulement de la séance » d’un conseil d’un organisme municipal. Il s’agit ici notamment des séances des conseils municipaux ou des séances des conseils d’administration des sociétés de transport. L’amende peut aller de 50 $ à 500 $.
Lors des séances de conseils, des points de vue divergents peuvent s’exprimer, des débats ou des controverses peuvent avoir lieu et, certains troubles ou dérangements peuvent survenir. Au sein d’une démocratie, il est nécessaire de non seulement tolérer un certain niveau de perturbation, mais surtout de reconnaître que celles-ci peuvent être essentielles et légitimes.
La situation survenue au conseil municipal de la Ville de Trois-Rivières en juin 2023, dont nous avons fait état précédemment, est à cet égard un exemple éloquent. Le dérangement occasionné au déroulement de la séance du conseil par les citoyen-ne-s était une réaction légitime face à l’absence de consultations publiques sur un projet industriel menaçant de détruire des hectares de milieux humides. La réponse des décideurs doit être l’écoute, le dialogue et la prise en compte de la parole citoyenne, et non la répression et la judiciarisation. L’éloquence de l’exemple se poursuit quelques semaines plus tard, alors qu’une politique municipale de prévention de la violence est instrumentalisée de sorte à dissuader une citoyenne de critiquer publiquement les agissements de la municipalité.
Alors que l’urgence de la crise climatique et la gravité qu’atteignent de nombreux enjeux sociaux liés notamment à la santé et aux services sociaux, au logement et à l’itinérance suscitent d’importantes préoccupations pour les citoyen-ne-s, nous observons un enchaînement de prises de décisions de la part du gouvernement et de municipalités qui les excluent du débat démocratique et ne tiennent pas compte de leurs droits. Autrement dit, les citoyen-ne-s ne sont pas entendu-e-s par les décideurs et n’ont d’autres choix que de se présenter collectivement sur les lieux où se prennent les décisions pour tenter d’être entendu-e-s. Dans la perspective où tous les droits humains sont interdépendants, il est essentiel que la liberté d’expression et d’opinion puisse être pleinement respectée pour que les citoyen-ne-s et organisations de la société civile soient en mesure de se mobiliser pour défendre tous leurs droits du droit au logement au droit à la santé, en passant par le droit à un environnement sain.
3.3. Nouveaux pouvoirs conférés au Directeur général des élections du Québec
L’article 4 de la Loi visant à protéger les élus propose de donner au Directeur général des élections du Québec (DGEQ) deux pouvoirs : celui d’entreprendre lui-même le recours visé par l’article 2, soit de demander à la Cour supérieure de prononcer une injonction, ainsi que celui d’intenter des poursuites pénales en vertu de l’article 3, soit pour l’infraction d’entrave à l’exercice des fonctions d’un député en le menaçant, en l’intimidant ou en le harcelant de façon à lui faire craindre raisonnablement pour son intégrité ou sa sécurité. De plus, l’article 5 donne au DGEQ un pouvoir d’enquête de sa propre initiative ou suivant une plainte en application de cette section. Nous sommes préoccupés par ces nouveaux pouvoirs d’enquête et de poursuite octroyées au DGEQ, lesquelles s’étendent au-delà du processus électoral.
Le DGEQ a déjà le pouvoir de faire enquête et d’intenter des poursuites dans les cas de présumées infractions aux lois électorales, notamment en matière de scrutin ou de financement des partis politiques[25]. Il peut le faire lorsqu’il reçoit des plaintes, ou de sa propre initiative. Son rôle de poursuivant public vise donc directement le respect des lois électorales provinciales, municipales ou scolaires. Or, dans le cadre du projet de loi, le législateur propose d’élargir le mandat du DGQE aux relations entre les élu-e-s et les citoyen-ne-s, soit bien au-delà de son rôle traditionnel lié au processus électoral et au financement des partis politiques. Cet élargissement considérable du rôle du DGEQ comme régulateur des relations entre élu-e-s et citoyen-ne-s, sans consultation de la société civile, nous apparaît inquiétant.
Le DGEQ est une institution qui doit demeurer impartiale, neutre et indépendante[26] qui ne peut se livrer à un travail de nature partisane[27]. L’élargissement de son mandat tel que proposé par le projet de loi 57 pourrait toutefois mettre en péril sa nature non partisane, en permettant aux élu-e-s d’utiliser les pouvoirs du DGEQ pour faire taire et même punir des dissidences. L’exercice de ces pouvoirs, qui sont d’ailleurs prévus sans aucune supervision indépendante, pourrait ainsi nuire grandement à l’exercice démocratique que constitue la prise de parole des citoyen-ne-s face au travail des élu-e-s.
Cet élargissement du mandat et des pouvoirs du DGEQ nous apparaît d’autant plus inutile que les plaintes pourraient continuer d’être traitées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), tel que l’a déclaré la ministre des Affaires municipales en point de presse le 9 avril 2024[28]. Dans ces circonstances, nous nous questionnons sur l’intérêt d’élargir le rôle du DGEQ, tout en risquant de miner la confiance du public envers cette institution. Cela irait de toute évidence à l’encontre de l’objectif principal du projet de loi qui est de protéger les institutions démocratiques.
4. L’obligation pour les conseils municipaux d’adopter un règlement de régie interne
Le PL 57 propose des modifications législatives qui imposeront aux municipalités l’obligation d’adopter un règlement de régie interne[29]. Ce règlement devra prévoir des normes applicables à tout élu-e ou à toute personne participant à la séance d’un conseil municipal concernant « le maintien de l’ordre, le respect et la civilité » durant celle-ci. S’il est vrai que certaines municipalités ont déjà adopté de telles dispositions dans un règlement de régie interne, il est à craindre que ces dispositions fassent l’objet d’interprétations à géométrie variable et entraînent dans les faits des mises en application arbitraires. L’exemple relaté dans la section 1 d’une application abusive de la Politique sur la prévention de la violence dans les interactions avec le personnel de la Ville de Trois-Rivières est à cet égard emblématique.
Nous reconnaissons l’importance de laisser une souplesse aux municipalités dans l’adoption de ce règlement de régie interne afin que celui-ci reflète les besoins locaux. Cependant, chacune des municipalités sera désormais tenue d’adopter ses propres paramètres de civilité dans les séances publiques, et ce, sans balises claires. Ces règlements sont donc à risque de créer des normes qui pourraient avoir une portée discriminatoire ou taillée sur mesure pour affaiblir les oppositions et les critiques, ce qui irait de toute évidence à l’encontre de l’objectif.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle concernant les règlements municipaux relatifs aux manifestations dans l’espace public. En 2021, la Ligue des droits et libertés répertoriait effectivement plus d’une soixantaine de règlements municipaux limitant ou entravant l’exercice du droit de manifester dans différentes régions du Québec. Il est apparu que plusieurs ces règlements étaient arbitraires, abusifs, ne comportaient pas de balises dans leur mise en application, ou encore avaient une portée excessive. Ainsi, les tribunaux ont jugé que plusieurs des restrictions[30] au droit de manifester édictées par les règlements municipaux portent atteinte de manière injustifiée à la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique dans une société libre et démocratique[31].
Recommandation
La LDL recommande le retrait du chapitre I du PL 57 qui vise à édicter la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions.
[1] Mireille Lalancette, La gestion par les élues et élus municipaux des actes et propos violences, haineux ou déplacés à leur égard, Rapport de recherche transmis à la ministre Andrée Laforest, non daté, p. 23. En ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/affaires-municipales/publications/organisation_municipale/democratie_municipale/RAP_gestion_elus_municipaux_actes_violents.pdf
[2] Ibid.
[3] Joëlle Dussault, Projet de loi 57 Une menace à l’action politique ?, Lettre ouverte dans La Presse, 24 avril 2024. En ligne : https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2024-04-24/projet-de-loi-57/une-menace-a-l-action-politique.php
Organisations signataires : Association pour la défense des droits sociaux de Gatineau, Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogue (AQPSUD), Centre des travailleurs et des travailleuses immigrant.e.s/Immigrant Workers Centre, Comité d’éducation aux adultes de la Petite-Bourgogne et Saint-Henri (CEDA), Comité chômage de l’est de Montréal, Comité logement Bas-Saint-Laurent, Comité logement du Plateau Mont-Royal, Comité logement Ville-Marie, Entraide logement Hochelaga-Maisonneuve, Infologis de l’est de l’île de Montréal, Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE), Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MEPACQ), Organisation populaire des droits sociaux (OPDS), Projet d’organisation populaire, d’information et de regroupement (POPIR Comité logement), Regroupement d’éducation populaire en action communautaire de Québec et Chaudière-Appalaches, Réseau d’action des femmes en santé et services sociaux (RAFSSS), Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec (RTRGFQ), Syndicat industriel des travailleurs et travailleurs de Montréal (SITT-IWW-MTL).
[4] Mémoire au conseil des ministres sur le projet de loi 57, déposé par Madame Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et Monsieur Jean-François Roberge, ministre responsable des Institutions démocratiques, Gouvernement du Québec, 27 mars 2024, page 1.
[5] ROCL, Les organismes communautaires des Laurentides craignent la réforme de santé, Communiqué, 28 novembre 2023. En ligne : https://roclaurentides.com/enjeux_sociaux_sante/les-organismes-communautaires-craignent-le-pl-15/
[6] Ibid.
[7] Alice Trahan et Audrey Bonaque, « C’est de l’intimidation » : Une résidente mise en demeure par la Ville de Trois-Rivières, Noovo Info, 21 juillet 2023. En ligne : https://www.noovo.info/video/cest-de-lintimidation-la-ville-de-trois-rivieres-envoie-une-mise-en-demeure-a-une-residente.html
[8] Gabriel Béland, Sainte-Pétronille met en demeure une centaine de citoyens, La Presse, 17 janvier 2023. En ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/regional/2024-01-17/sainte-petronille-met-en-demeure-une-centaine-de-citoyens.php
[9] Voir notamment : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3 ; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214, paragr. 17 ; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45 ; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927.
[10] Mémoire au Conseil des ministres sur le PL 57, déjà cité, p. 30.
[11] PL 57, art. 1, Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonction, art. 2 et 8.
[12] Ibid., art. 3 et 10.
[13] Ibid., art. 9.
[14] Ibid., art. 4-5.
[15] Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01, art. 510.
[16] Ibid., art. 509.
[17] Ibid., art. 509 al. 2.
[18] Ibid., art. 509 al 2.
[19] Mémoire au Conseil des ministres sur le PL 57, déjà cité, p. 17.
[20] Ibid., p. 17.
[21] Aubry c. Éditions Vice‑Versa, [1998] 1 R.C.S. 591.
[22] Ibid., aux para 57 à 60.
[23] Pierre Laurin, « Les élus municipaux ont-ils une vie privée ? », Développements récents en droit de l’accès à l’information 2005, vol 233, Barreau du Québec – Service de la Formation continue, Cowansville, Éditions Yvon Blais, à la page 230.
[24] Ibid., p. 223.
[25] Notamment en vertu de la Loi électorale, de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, ou de la Loi sur les élections scolaires.
[26] Mission, valeurs et mandats, Élections Québec. En ligne : https://www.electionsquebec.qc.ca/notre-institution/mission-valeurs-et-mandats/
[27] Loi électorale, RLRQ c. E-3.3 art. 4.
[28] En ligne : https://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/activites-presse/AudioVideo-103897.html
[29] Voir l’article 13 modifiant l’article 331 de la Loi sur les cités et les villes, RLRQ c. C-19, l’article 33 modifiant l’article 159.1 du Code municipal du Québec, RLRQ c. C-27.1, l’article 54 modifiant l’article 28 de la Loi sur la communauté métropolitaine de Montréal, RLRQ c. C-37.01 et l’article 60 modifiant l’article 20 de la Loi sur la communauté métropolitaine de Québec, RLRQ c. C-37.02.
[30] Il est notamment question de l’exigence de divulgation préalable de l’itinéraire d’une manifestation ou l’obtention d’un permis pour organiser une manifestation, ainsi que l’interdiction de gêner la circulation ou de porter un masque lors d’une manifestation.
[31] Bérubé c. Ville de Québec, 2019 QCCA 1764 ; Garbeau c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 5246 ; Québec (Ville) c. Tremblay, 2005 CanLII 100 (QC CS) ; Villeneuve c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 2888.