Mesures-spectacles : vers la banalisation de l’atteinte à des droits fondamentaux

L’instauration d’un passeport vaccinal, sous sa forme actuelle, représente une mesure qui porte atteinte à droits fondamentaux de manière injustifiée.

Une lettre ouverte rédigée par Catherine Descoteaux, coordonnatrice et Martine Éloy, membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Depuis quelques semaines, l’annonce par le gouvernement de l’instauration d’un passeport vaccinal et de l’imposition de la vaccination obligatoire pour le personnel du système de santé crée des remous sur la scène publique. Ces mesures portent atteinte aux droits fondamentaux, notamment aux droits à l’intégrité, à l’égalité et à la vie privée.

Prenons l’exemple du passeport vaccinal, lequel implique de garder sur soi une pièce d’identité en tout temps. Au Québec et au Canada, nous n’avons pas d’obligation de nous identifier sauf dans des situations très précises, par exemple en cas de soupçon d’avoir commis une infraction en vertu du Code de la route ou d’une loi. Ceci s’applique d’ailleurs aussi aux interpellations par un-e policier ou policière! Or, la pratique du passeport vaccinal remet en question le droit à l’anonymat lors de nos déplacements.

Ces atteintes aux droits ont des impacts particulièrement importants pour les populations marginalisées, comme les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner ou celles qui n’ont pas de pièce d’identité à présenter.

Des atteintes injustifiées

Rappelons qu’un État de droit est un État qui reconnait que les droits de la personne sont universels et inaliénables. Il est toutefois possible d’imposer des mesures qui entravent ces droits pour le bien commun, à trois conditions : l’utilité de ces mesures a été démontrée, d’autres moyens moins intrusifs s’avèrent insuffisants pour atteindre l’objectif visé et, finalement, l’atteinte aux droits n’est pas démesurée par rapport au bénéfice escompté. Une atteinte aux droits fondamentaux ne peut être prise à la légère et doit reposer sur un large consensus social.

Sous sa forme actuelle, le passeport vaccinal ne respecte pas ces conditions impératives; il a été adopté sans que la preuve de son utilité ou de sa proportionnalité n’ait été faite. Il est temps de commencer à le voir pour ce qu’il est réellement : une obligation de vaccination indirecte et sans aménagement.

Il n’y a pourtant pas à chercher bien loin pour trouver des mesures sanitaires alternatives à la vaccination : le personnel de la santé a l’opportunité depuis des mois de présenter à son choix une preuve de double vaccination, trois résultats négatifs de test rapide par semaine ou une preuve de vaccination assortie d’une preuve de contamination antérieure à la COVID-19. Or, aucune preuve n’a démontré que ces précautions alternatives ont pu causer des éclosions en milieu hospitalier. Vu l’existence et l’efficacité de ces alternatives, quelle devient la réelle utilité du passeport vaccinal? Sachant que ce que l’on connait sur l’efficacité relative des vaccins, nous croyons d’ailleurs que le passeport vaccinal risque de donner une illusion de sécurité et même, dans l’éventualité d’une nouvelle vague, d’entrainer un relâchement au niveau du respect des autres mesures sanitaires.

On peut enfin mettre en doute la corrélation entre l’utilisation du passeport vaccinal et le choix des lieux où il est désormais appliqué. Aucune donnée ne démontre la nécessité de limiter les éclosions dans des lieux comme les restaurants ou les salles de spectacle, alors qu’au contraire, la contamination semble s’effectuer de manière prédominante dans les garderies et les milieux de travail. On fait maintenant face à une application du passeport à la grandeur de la province, sans considération des variations d’éclosions d’une région à l’autre. Devrions-nous être surpris-e de cette atteinte aux droits non justifiée étant donné que l’état d’urgence sanitaire est toujours en vigueur?

Un besoin de transparence et de débat public

La transparence au niveau de la prise de décision est la meilleure garantie que les directives seront suivies. Or, en commission parlementaire, plusieurs intervenant-e-s ont souligné l’absence de données disponibles en appui aux décisions : pas de documents, pas de chiffres, pas d’études. Cela démontre comment, après plus de 18 mois, le gouvernement profite encore de l’état d’urgence sanitaire pour passer outre aux exigences de la démocratie. Sous ce régime, le Premier ministre a les pleins pouvoirs en regard de la crise sanitaire et peut agir sans consulter l’Assemblée nationale ni la société civile.

Or, en démocratie, l’état d’urgence sanitaire ne peut être permanent, car il ne peut que donner lieu à des pratiques autoritaires déplorables. Alors que l’état d’urgence pouvait être justifié au début de la pandémie par l’urgence d’agir rapidement pour contenir la propagation, il est maintenant temps d’y mettre fin.

Avec 81 % de la population adéquatement vaccinée, les mesures sanitaires requises à la lutte contre la pandémie, aussi légitimes peuvent-elles être, doivent recevoir l’attention de l’Assemblée nationale aux fins de leur validation. Nous ne pouvons collectivement nous permettre d’adopter des mesures-spectacles sans tenir compte des impacts majeurs qu’elles auront sur les droits fondamentaux.  Nous avons tout à gagner à élargir les débats pour éclairer les prises de décisions. L’état d’urgence prolongé et la gouvernance par décrets provoquent une rupture démocratique.

Que faudra-t-il pour que le gouvernement mette enfin un terme à cette concentration de pouvoirs entre ses mains? Il est temps de déconfiner la démocratie!