Fiche d'information
Les pouvoirs policiers issus de la common law (la doctrine des pouvoirs accessoires)
La doctrine des pouvoir accessoires
Pour déterminer si une pratique policière est autorisée en vertu de la common law - c’est-à-dire les règles établies par les tribunaux - il faut appliquer l’analyse de la doctrine des pouvoirs accessoires établie par la Cour suprême (Fleming c. Ontario, 2019 CSC 45).
La doctrine des pouvoirs accessoires vise à déterminer « si une action policière particulière qui a pour effet de restreindre la liberté d’un individu est autorisée en common law » (Fleming c. Ontario, par. 43). Le test se décline en deux étapes, précédées par une étape dite préliminaire.
Étape préliminaire : définir le pouvoir et la liberté en cause
Avant d’entreprendre l’analyse, une étape préliminaire doit être effectuée : la pratique policière en cause et les droits mettant en cause la liberté doivent être identifiés clairement.
Première étape : le pouvoir policier
La première étape de l’analyse consiste pour le tribunal à établir si la conduite policière en question s’inscrit dans le cadre général d’un devoir policier statutaire ou en common law. (Fleming c. Ontario, par. 46).
Deuxìème étape : raisonnablement nécessaire
La deuxième et dernière étape de l’analyse consiste à déterminer si la conduite policière en cause est raisonnablement nécessaire pour accomplir le devoir policier identifié à la première étape.
Il faut alors soupeser trois facteurs :
(1) l’importance que présente l’accomplissement de ce devoir pour l’intérêt public ;
(2) la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir ;
(3) l’ampleur de l’atteinte à la liberté individuelle. (Fleming c. Ontario, par. 47)
Tout au long de l’analyse, le fardeau de la preuve repose sur l’État.
En résumé, il s’agit d’évaluer si la conduite policière en cause est raisonnablement nécessaire, en soupesant, d’une part, l’impact de la pratique policière en question sur les droits et libertés et, d’autre part, sa nécessité (et non la simple utilité) pour assurer la sécurité publique.
[75] Les tribunaux doivent toujours appliquer la deuxième étape de la doctrine des pouvoirs accessoires avec rigueur pour veiller à ce que l’État s’acquitte de son fardeau de démontrer que l’atteinte à la liberté individuelle est justifiée et nécessaire. Comme la juge Abella l’a mentionné dans l’arrêt Clayton :
Il faut délimiter les pouvoirs policiers avec prudence afin d’établir un juste équilibre entre la prévention de l’atteinte injustifiée à la liberté et à la vie privée d’une personne et l’octroi aux policiers de pouvoirs raisonnablement nécessaires à la protection des citoyens. [par. 26]
(Fleming c. Ontario, par. 75) (gras et italique ajoutés)
La doctrine des pouvoirs accessoires appliquée aux interpellations policières (street checks)
Selon un avis juridique indépendant sur les street checks (assimilables aux interpellations) en Nouvelle-Écosse co-rédigé en 2019 par un ancien juge en chef de la Cour d’appel de cette province, les policiers n’ont pas le pouvoir de faire des interpellations en vertu de la common law.
À l’étape de l’analyse préliminaire, les auteur-e-s définissent ainsi l’action policière en cause, le street check : ‘’An interaction or observation (without interaction) whereby personal and/or identifying information is collected by an officer and entered into the Versadex database for future use’’.
Les auteur-e-s, MacDonald et Taylor, distinguent la pratique du street check de l’interception routière, un pouvoir prévu dans le Motor Vehicle Act, et de la détention aux fins d’enquête, un pouvoir issu de la common law reconnu par la Cour Suprême (R c. Mann, 2014 CSC 52).
Les auteur-e-s établissent également que l’action policière en cause, le street check, implique une ingérence apparente avec la liberté.
À la première étape, les auteur-e-s écrivent que les street checks sont, du point de vue de certains policiers, un outil pour prévenir le crime et assurer la sécurité publique. Dans le cadre de leur analyse en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires, les auteurs partent du principe que les street checks entrent dans le cadre général des obligations de la police en matière de prévention de la criminalité et de protection du public, bien qu’il y ait un manque de preuve démontrant que les street checks permettent de recueillir de l’information utile à la réalisation de la mission policière.
Les auteur-e-s procèdent ensuite à la deuxième et dernière étape de l’analyse, celle qui permet de déterminer si l’action policière en cause est raisonnablement nécessaire.
En résumé, les auteur-e-s établissent que les street checks portent atteinte à plusieurs droits et libertés protégés par la Charte canadienne des droits et libertés : le droit à la liberté, le droit à la vie privée et à l’anonymat, le droit à la protection contre les détentions arbitraires et le droit à la protection contre des fouilles et saisies abusives.
De plus, les auteur-e-s font le constat que les personnes noires sont plus affectées par les street checks que les personnes blanches, étant sur-interpellées, tel que le démontre le rapport Wortley rendu public en 2019. La surinterpellation des personnes noires à Halifax est un aspect central dans l’analyse effectuée par MacDonald et Taylor. En raison de l’historique des relations entre la police et les communautés noires, une personne noire interpellée par la police peut se sentir détenue et obligée de répondre à un policier, ce qui constituerait une forme de détention arbitraire.
MacDonald et Taylor fondent en partie leur analyse sur l’arrêt R. c. Le de la Cour suprême (R. c. Le, 2019 CSC 34). Dans cette décision, la Cour suprême a établi qu’un jeune homme racisé questionné par des policiers à Toronto avait été arbitrairement détenu par des policiers, celui-ci ayant été en état de détention psychologique, c’est-à-dire qu’il n’était pas légalement tenu d’obtempérer aux ordres des policiers et de répondre à leurs questions, mais qu’il s’était senti obligé de le faire. Dans cette décision, le plus haut tribunal du pays a placé au cœur de son analyse le contexte historique et social des relations entre la police et les diverses communautés racisées du pays :
[L’]historique documenté des relations entre la police et les collectivités racialisées aurait eu une incidence sur la perception d’une personne raisonnable mise à la place de l’accusé. Des études ont établi que les minorités raciales sont traitées de façon différente par la police et que cette différence de traitement ne passe pas inaperçue auprès de celles‑ci. Nous sommes maintenant arrivés au point où les travaux de recherche montrent l’existence d’un nombre disproportionné d’interventions policières auprès des collectivités racialisées et à faible revenu. (R. c. Le, résumé et par. 90 et 97)
Alors que les violations aux droits et libertés sont avérées et ont des impacts concrets sur la vie des gens, la nécessité des street checks en regard de la sécurité publique n’a pas été démontrée. À cet égard, MacDonald et Taylor se basent sur les constats du rapport Wortley :
[notre traduction] La majorité des agents de police qui ont pris part au processus de consultation ont admis que de nombreux street checks sont de mauvaise qualité et contribuent peu à la sécurité publique. (Wortley, p. 81)
[D]ans l’ensemble, les street checks n’ont qu’un petit rôle à jouer dans les enquêtes policières et n’ont vraisemblablement qu’un faible impact sur les taux de criminalité. (Wortley, p. 150)
En conclusion, MacDonald et Taylor établissent que les policiers n’ont pas le pouvoir de faire des street checks en Nouvelle-Écosse :
As a result, we have concluded that the common law does not empower the police to conduct street checks, because they are not reasonably necessary. They are therefore illegal.
[notre traduction] Par conséquent, nous avons conclu que la common law n'autorise pas la police à effectuer des street checks, car ceux-ci ne sont pas raisonnablement nécessaires. Les street checks sont donc par conséquent illégaux. (MacDonald et Taylor, p. 9)
Qu'en est-il au Québec?
Au Québec, des études ont révélé que les personnes autochtones, noires et racisées sont sur-interpellées par la police, bafouant leurs droits et libertés protégés par les Chartes (droit à la liberté, droit à la vie privée et à l’anonymat, droit à la protection contre les détentions arbitraires et droit à la protection contre des fouilles et saisies abusives), tandis que la nécessité de cette pratique pour assurer la sécurité publique n’a pas été démontrée, un fardeau qui repose sur l’État. La même conclusion s’applique quant aux interpellations policières au Québec.
Cette pratique policière doit être interdite par le gouvernement du Québec et les autorités municipales.