Un carnet rédigé par Me Lucie Lamarche, vice-présidente du conseil d’administration de la LDL et professeure en sciences juridiques à l’UQAM
Péniblement, lentement et obscurément, le gouvernement fédéral a annoncé au fil des derniers jours de bonnes mesures – en théorie – destinées à accompagner les ménages aux prises avec une pénurie impromptue de revenu. En effet, la crise sanitaire du COVID19 force au chômage bien des travailleurs et des travailleuses qui ne l’avaient pas vu venir et qui n’ont pas les moyens économiques et financiers de réagir.
À cette fin, le gouvernement mobilise des outils fondateurs de la protection sociale au Canada. D’une part, le régime d’assurance-emploi ouvrira les vannes en offrant une allocation de soins d’urgence pour ceux et celles qui peuvent établir une période de prestations. Ce sont les salarié-e-s qui ont assez travaillé au cours de la dernière année qui peuvent se qualifier à ces prestations. Les autres pourront compter sur une allocation de soutien d’urgence. Dans les deux cas, on parle d’environ 900$ par quinzaine pour une période d’environ 15 semaines.
D’autre part, l’allocation canadienne pour enfants (ACE), devenue un appui majeur au revenu des ménages au Canada, sera aussi bonifiée. Cette dépense purement fiscale est donc réservée aux familles.
Si ces mesures sont aussi nécessaires que judicieuses, pourquoi tout le monde affiche-t-il une mine patibulaire ? C’est parce qu’elles sont mal expliquées, tardivement livrées et que les travailleurs et travailleuses dans le besoin peinent à accéder à l’information. Le droit humain à la protection sociale est donc malmené par la mise en œuvre de ces mesures d’urgence. Or, l’accessibilité facilitée à de telles mesures est une composante importante de ce droit.
On ne s’étonnera pas, hélas, du cas de la Commission de l’assurance-emploi, reconnue pour sa lenteur et pour le labyrinthique exercice que représente l’accès en ligne ou au téléphone au service.
Voici ce qui arrive lorsque la crise sanitaire s’ajoute à la crise perpétuelle d’un régime de protection sociale pourtant soutenu en partie par les cotisations des salarié-e-s. La violation du droit à l’assurance-emploi est donc, en ces temps difficiles, le résultat d’un cumul de crises de gestion et de mauvaises intentions. Et ce sont toujours les mêmes qui casquent, soit les plus vulnérables.
On nous dit par ailleurs qu’il faudra quelques semaines pour encaisser la bonification de l’ACE. Logistique oblige. C’est un peu déroutant lorsqu’on considère que le versement de crédits d’impôts est le mode le plus agile de livraison de mesures de protection sociale. Il suffit pour en profiter d’avoir produit pour l’année fiscale précédente son rapport d’impôt ! Comment expliquer le fait que le gouvernement fédéral soit incapable de s’adapter aux besoins urgents des victimes économiques de la crise sanitaire ?
Retenons de ce triste état de situation une leçon. Lorsque d’une décennie à l’autre on procède au démantèlement de l’État social, ce qu’il en reste est bien mal outillé pour réagir avec agilité.
Et c’est pourquoi nous affichons une mine patibulaire. Parce que cette inconsistance étatique constitue en soi une violation du droit humain à la protection sociale.
Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.