Lettre publiée dans La Presse le 20 juin 2025.
Rejetons le projet de loi C-2
Louis-Philippe Jannard, responsable du volet protection de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) et militant à la Ligue des droits et libertés et Maryse Poisson, directrice de l’intervention au Collectif Bienvenue et militante à la Ligue des droits et libertés.
Nos organismes s’opposent fermement au projet de loi C-2, la Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière, déposée récemment par le gouvernement Carney. Parmi les multiples enjeux relatifs au respect des droits humains que soulève ce projet de loi, certaines de ses dispositions, inspirées des politiques étasuniennes, entretiennent un amalgame inacceptable entre sécurité frontalière et migration humanitaire. Présenté comme un renforcement de la sécurité à la frontière, il restreint de façon inacceptable l’accès à l’asile, en plus d’octroyer de vastes pouvoirs aux autorités migratoires.
Une attaque contre le droit d’asile
Le PL C-2 introduit deux nouveaux motifs d’irrecevabilité de la demande d’asile. Loin d’être une technicalité, ces dispositions ont un impact réel sur toutes les personnes migrantes concernées, en les empêchant d’accéder à la procédure de détermination du statut de réfugié. Il existe déjà plusieurs motifs d’irrecevabilité, qui font en sorte que les personnes ainsi exclues ont seulement accès à un Examen des risques avant renvoi (ERAR).
S’ajoutent maintenant deux autres types de demandes irrecevables. D’une part, il sera impossible pour une personne présente en sol canadien depuis plus d’un an de demander l’asile. Imaginons un étudiant palestinien arrivé au Canada depuis plus de douze mois: il ne pourra plus, désormais, demander la protection du Canada, malgré le génocide en cours à Gaza.
D’autre part, l’accès à l’asile sera complètement bloqué pour toute personne entrée au Canada de façon irrégulière depuis les États-Unis. Or, depuis la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs, les possibilités de demander l’asile à la frontière terrestre sont très limitées. Étant donné les failles du système de protection des réfugiés aux États-Unis, qui ne font que s’aggraver, des personnes prennent donc souvent la route dangereuse d’une traversée irrégulière. Si elles déposent une demande d’asile moins de 14 jours après leur entrée, elles sont renvoyées aux États-Unis, bien souvent en détention; après 14 jours, elles n’auront accès qu’à l’ERAR, plutôt qu’à la demande d’asile, comme c’est le cas actuellement.
Or, contrairement aux arguments avancés par le gouvernement fédéral, qui affirme que les personnes pourront démontrer les risques encourus dans leur pays d’origine par le biais de l’ERAR, cette procédure est extrêmement restrictive et n’équivaut pas au processus d’examen de la demande d’asile. L’ERAR repose sur la décision d’un fonctionnaire plutôt que d’un commissaire d’un tribunal administratif; la décision est prise sur la seule base d’un dossier papier plutôt qu’à la suite d’une audience; les recours sont beaucoup plus limités en cas de décision négative; le taux d’approbation est famélique, de l’ordre de 2 à 4%, plutôt que de 65% pour les demandes d’asile.
De surcroît, le PL C-2 propose que ces mesures soient rétroactives au moment de son dépôt: des personnes qui présentent aujourd’hui leur demande d’asile se verraient subséquemment redirigées vers l’ERAR.
De vastes pouvoirs aux effets délétères
Une deuxième mesure alarmante consiste en la création de nouveaux pouvoirs relatifs à la gestion des demandes et documents d’immigration. Le gouvernement pourrait, par simple décret, annuler ou suspendre en masse des demandes d’immigration, ou bien annuler ou modifier des documents d’immigration, comme des permis ou des visas, lorsque “justifié par l’intérêt public”. Cela n’est pas sans rappeler la décision déplorable du gouvernement du Québec d’annuler quelque 18 000 demandes d’immigration en 2019. En plus de reposer sur une notion particulièrement élastique de l’intérêt public laissant place à l’arbitraire, l’adoption de tels décrets serait soustraite aux obligations de transparence usuelles.
Pour l’instant, les intentions du gouvernement demeurent floues. Cependant, il n’est pas farfelu de croire qu’il puisse annuler en masse des permis d’études ou de travail, plongeant des milliers de personnes dans l’incertitude et la précarité. Les impacts des récents changements en immigration nous renseignent sur les effets délétères de telles mesures: rêves brisés, familles et communautés déchirées, précarisation économique et sociale, violations de plusieurs droits et déni d’accès aux services. Au vu de ces conséquences, la création de cette procédure trahit la désinvolture avec laquelle nos gouvernants décident de la vie des personnes migrantes et du mépris de leurs droits.
Ces nouvelles mesures s’inscrivent dans un durcissement du discours public entourant les personnes migrantes, notamment au Québec, où elles sont devenues les boucs émissaires pour expliquer un ensemble de problèmes aux racines complexes et bien antérieures aux arrivées des dernières années. Ces discours trompeurs ne justifient aucunement les limitations aux droits proposées, ni le non-respect des obligations internationales du Canada relatives à la protection des personnes réfugiées.
En terminant, rappelons que la précarisation et la marginalisation de pans entiers de la population n’a pas que des impacts sur les personnes exclues: c’est l’ensemble de la société qui en paie le prix. Nous refusons de laisser la société québécoise et canadienne s’enfoncer dans une spirale de mesures discriminatoires et xénophobes sous prétexte de céder aux caprices de l’administration étasunienne.