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Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021
Réné Charest, organisateur communautaire et militant syndical
Santé publique et développement des communautés locales, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal
Sous prétexte d’ouvrir la porte à « un profond changement de culture qui permettra de passer d’un réseau d’établissements à un véritable réseau intégré, entièrement axé sur les services aux patients[1] », le ministre Barrette imposait au réseau de la santé et des services sociaux, en 2015, une réforme fondée sur une centralisation des pouvoirs de décision et sur la création de superstructures administratives. Or, sur le terrain, plutôt que de faire la preuve de sa prétendue efficacité, le réseau a frappé un mur dès le début de la pandémie causée par la COVID-19. Pour le ramener à ses objectifs de départ, le recadrer sur les personnes plutôt que sur les structures, il faudra compter non seulement sur l’engagement des travailleuses et les travailleurs du réseau mais également sur celui de nombreux acteurs et actrices sociaux.
Un réseau en mauvaise santé
Faut-il le rappeler, lors de la 1re vague de cette pandémie, nous avons assisté à une hécatombe dans les CHSLD ainsi que dans différents types de résidences pour personnes âgées. Encore aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés à la 2e vague, on note que 73% des décès concernent les personnes âgées de 80 ans et plus[2]. Mais il n’y a pas que les personnes âgées qui ont été grandement affectées. Dans l’ensemble du réseau, on a observé des cas de maltraitance, de malnutrition et de dégradation de la santé physique et mentale notamment dans les secteurs de la jeunesse, de la déficience intellectuelle, du soutien à domicile. Et, il est à craindre que ce ne soit qu’une partie de l’ensemble de ce lamentable portrait.
Une véritable évaluation de l’état de santé de notre réseau de services de santé et de services sociaux, de sa capacité à répondre aux besoins de la communauté et du ministère qui en a la charge, doit impérativement être menée. Dans cet exercice d’évaluation, il faudra considérer notamment le rôle joué par le changement d’orientation opéré depuis plusieurs années dans le réseau de la santé axé sur la centralisation du pouvoir ministériel, l’accélération du processus de privatisation des services et l’intensification du pouvoir médical. On l’a vu dès le début de la pandémie, cette culture organisationnelle et politique était exactement à l’opposé de ce dont la population québécoise avait besoin pour passer au travers, soit une prise en compte des besoins locaux, une connaissance fine des communautés en situation de vulnérabilité, et une proximité assurant une capacité d’agir adaptée aux différents milieux.
Au cours des débats publics à venir, l’évaluation du système de santé et de services sociaux ne pourra pas non plus faire l’économie d’interroger et de remettre en question l’idéologie sur laquelle celui-ci repose. Il s’agit ici de la gouvernance néolibérale qui intervient à la fois dans la vie sociale, économique et politique d’une manière structurante voire contrôlante[3], et qui, depuis 25 ans, a modelé le réseau des services de santé et de services sociaux.
Une austérité ciblée
C’est ainsi que le réseau a été soumis aux règles de l’austérité dans le domaine de la prévention et celui des soins et des services sociaux offerts aux populations en situation de vulnérabilité. En revanche, l’industrie pharmaceutique, l’immobilier et la nouvelle technologie ont connu d’importants investissements[4].
À titre d’exemple, alors que l’on sabrait dans les services de soutien à domicile notamment auprès des personnes aînées, on a commencé à investir dans le domaine de la domotique. Il y a dès lors moins d’interventions auprès de la personne puisqu’une infirmière ou un infirmier peut observer celle-ci à distance par le truchement de l’Internet et ajuster sa médication s’il constate qu’il y a trop d’agitation durant la nuit. Ceci n’est qu’un exemple qui à notre sens démontre la nature de la dérive qui affecte notre réseau de la santé. La technologie ne peut supplanter
l’intervention fondée sur des rapports humains. Elle doit y être subordonnée, n’être utilisée qu’en support à cette intervention directe et humaine. Il y a fort à parier qu’une consultation menée auprès des personnes aînées confirmerait la nécessité de maintenir les rapports humains au cœur des services de santé et des services sociaux qui leur sont dédiés.
La nécessaire participation citoyenne
Sortir de l’agenda néolibéral implique que les services de santé et les services sociaux reposent à nouveau sur deux socles fondamentaux : la protection des usagères et des usagers et la participation citoyenne. Cet enjeu doit être soumis à des instances de délibération citoyenne auxquelles seraient invités à participer les différents intervenant-e-s du réseau ainsi que les groupes sociaux.
Nous pourrions, comme point de départ, porter un regard critique sur les dernières décennies et, notamment, examiner la formule des cliniques de quartier qui avaient pour mission de répondre aux besoins d’une communauté donnée, laquelle était appelée à exercer une certaine vigilance à l’égard de ses institutions locales.
Une approche collective de la santé publique
La santé publique doit permettre de comprendre pourquoi certaines personnes sont en santé alors que d’autres ne le sont pas en tenant compte entre autres des enjeux de classe, de genre et de diversité culturelle.
Un autre enjeu, trop souvent passé sous silence, devra être considéré concernant le secteur de la santé publique qui a, lui aussi, perdu des plumes dans la foulée de la réforme Barrette. Il faut réinvestir dans ce réseau pour lui assurer des assises plus solides certes, mais il faut également mener une réforme visant à le sortir de l’agenda néolibéral. Cet enjeu devra lui aussi être soumis à des instances de délibération citoyenne. D’une approche centrée sur la responsabilité individuelle et les habitudes de vie, qui ne tient pas compte des inégalités sociales, il faut revenir au rôle premier de la santé publique qui consiste à mener une action concertée sur les déterminants de la santé, tant économiques que sociaux. Aussi, l’approche individualiste doit être remplacée par une approche fondée sur l’action collective. La santé publique est une affaire de société et non d’individus.
Une mobilisation pour transformer le réseau
Le gouvernement québécois doit être interpellé sur ces enjeux. Des organismes ont initié une démarche en ce sens, réclamant une commission d’enquête et des états généraux sur la santé. C’est ainsi que les organismes syndicaux et communautaires regroupés au sein de la Coalition Solidarité Santé ont fait un appel à la tenue d’états généraux alors qu’une table de concertation de groupes communautaires dans le quartier Petite-Patrie et une autre dans le quartier St-Michel (à Montréal) ont demandé que soit menée une commission d’enquête sur les CHSLD. Le Premier ministre n’a pas daigné répondre à l’appel de la Coalition et a rejeté l’idée d’une commission d’enquête sur les CHSLD. Il faudra élargir la mobilisation lancée par ces groupes sociaux, se donner des espaces de délibération citoyenne afin de partager notre critique des orientations actuellement données au réseau des services de santé et services sociaux et exiger une transformation de celui-ci dans une perspective de démocratie sanitaire.
[1] Gaétan Barrette, (présentation de la loi 10, 7 février 2015)
[2] https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/ situation-coronavirus-quebec/#c63031, consulté en ligne, le 14 novembre 2020.
[3] Barbara Stiegler, Il faut s’adapter, Gallimard, 2019, dans lequel l’autrice explique ces changements de gouvernance par l’étude des contributions de Walter Lippmann dans les années 20.
[4] Sous la direction de Normand Baillargeon, La santé malade de l’austérité, Sauver le système public…et des vies, voir le texte de René Charest, Capitalisme et santé : le cas de la réforme Barrette, Éditions M, 2017.