Le droit à la santé à l’heure du COVID-19 : plus qu’un droit de crise …

L’accessibilité facilitée aux mesures d’aide d’urgence est une composante importante du droit à la protection sociale.

Un carnet rédigé par Me Lucie Lamarche, vice-présidente du conseil d’administration de la LDL et professeure en sciences juridiques à l’UQAM

Le contexte dans lequel nous plonge la crise sanitaire mondiale actuelle nous invite à centrer notre attention sur les stratégies déployées par les responsables de la santé publique des divers paliers de gouvernement.  La Ligue des droits et libertés souligne à cet égard l’excellent travail accompli par ces autorités en contexte québécois.

La santé est plus que l’absence de maladie ou d’handicap

Toutefois, le droit humain à la santé ne se limite pas l’obligation des États de gérer des crises de la nature de celle que nous traversons actuellement. Ce droit est le droit de toute personne, tous les jours. Depuis 1946, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrit le droit à la santé comme un état de complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’handicap. Cette définition fait appel au concept des déterminants sociaux de la santé. Selon l’OMS, « les déterminants sociaux de la santé sont l’une des principales causes des inégalités en santé, c’est-à-dire des écarts injustes et importants que l’on enregistre au sein d’un même pays ou entre les différents pays du monde ».

En conséquence, la mobilisation du concept des déterminants sociaux de la santé aux fins du respect du droit humain à la santé exige que l’on conçoive celui-ci comme étant étroitement lié à de nombreux autres droits humains tel le droit à l’alimentation, à l’eau, au logement, au travail, à la vie privée, à l’éducation et à la vie, par exemple. Cette proposition est à la clé du principe de l’interdépendance de tous les droits humains.

Les inégalités sociales révélées

La crise sanitaire du COVID-19 est un puissant révélateur des inégalités sociales. Qu’il s’agisse de là où on habite, de la qualité de notre habitation, du travail qu’on occupe ou qu’on a perdu, de notre bilan général de santé issu de notre trajectoire de vie ou de misères ou encore, des discriminations que subissent tous les jours certaines personnes issues de certaines communautés, chacun et chacune d’entre nous ne sont pas également situés par rapport à la jouissance du droit à la santé.

Le cumul des discriminations diverses durement vécues par certaines populations doit donc être pris en compte lors du déploiement des politiques nécessaires à la lutte contre le COVID-19. Cette affirmation qui découle naturellement de l’évocation du devoir des États de respecter les droits humains est aussi à la source d’une tension qu’il convient de ne pas ignorer.

La santé publique

En effet, les approches épidémiologiques de la santé publique sont par essence des exercices de ciblage, de quantification et de projection des risques. Dans ce contexte, nul ne sera surpris du fait que les populations les plus vulnérables et les plus susceptibles de discrimination sont profilées parce qu’elles présentent des risques communautaires spécifiques. Elles vivent dans des habitations de moins bonne qualité ou sur la rue, ou encore, dans des quartiers de plus grande promiscuité. Elles sont moins facilement accès à l’information. Les membres de certaines communautés ne souhaitent pas s’autoidentifier en raison de l’irrégularité de leur présence sur le territoire. On constatera aussi que l’opinion publique est tentée d’assimiler certaines populations à des populations à risque en raison de leur vulnérabilité. C’est le cas des personnes âgées.

Au nom des stratégies de santé publique, il existe donc un risque important de profilage épidémiologique dont il faut avoir conscience : comment une interdiction, un confinement, un contrôle ou une restriction affectent-ils les populations les plus susceptibles de discriminations croisées en raison de caractéristiques personnelles et socio-économiques ?

Tout comme il est du devoir de l’État de veiller généralement et en tout temps au respect du droit humain à la santé, il appartient aussi à l’État d’éviter le profilage discriminatoire de nature épidémiologique.

On rétorquera que les directions de la santé publique ont d’autres chats à fouetter. Mais selon la Ligue des droits et libertés, tout est dans la manière. À la tentation des décisions unilatérales et autoritaires, doit se substituer la consultation et la participation des communautés concernées dans la recherche de solutions. Une étape de plus dans le déploiement des stratégies de crise ? Peut-être bien. Mais celle-ci n’est pas optionnelle, car il convient de rappeler qu’en matière de politiques publiques, même d’urgence, le cadre de référence des droits humains s’impose. C’est la conséquence de l’engagement des États, dont le Québec, envers les principaux instruments internationaux de droits de la personne, dont le Pacte relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.