Gare à la surveillance en temps de pandémie!

Des mesures de surveillance exagérées, sans respect des droits, pour pallier à une crise sanitaire.

Un carnet rédigé par Silviana Cocan, membre au comité surveillance des populations de la LDL, stagiaire postdoctorale à l’UQÀM et docteure en droit international de l’Université de Bordeaux et de l’Université Laval

 

Au début avril, on apprenait que la Sûreté du Québec envisageait d’utiliser la géolocalisation des téléphones cellulaires pour retrouver les personnes testées positives à la COVID-19 qui ne respecteraient pas les mesures de confinement et de distanciation sociale. Le lendemain, on apprenait que le Service de police de la Ville de Québec l’avait déjà fait! Les jours précédents, l’entreprise québécoise Protect-Yu vantait dans La Presse son bracelet électronique permettant de surveiller les personnes infectées. Ce contexte de crise sanitaire est perçu comme une occasion en or par ceux qui souhaitent faire des affaires en vendant des technologies de ce type et par ceux qui souhaitent les utiliser!

De temporaires à permanentes

Ces mesures peuvent paraître à première vue raisonnables dans un contexte d’urgence. Cependant, ce contexte de crise ne doit pas être utilisé pour mettre en place à la hâte des mesures exceptionnelles qui peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux, aux impératifs de l’État de droit et aux exigences démocratiques et qui, surtout, pourraient perdurer une fois la crise sanitaire derrière nous. Ce que l’on présente comme une mesure extraordinaire en temps de crise devient trop souvent une mesure permanente. L’histoire nous a en effet enseigné à diverses reprises que les autorités sont très souvent réticentes à laisser aller des pouvoirs acquis dans de tels contextes… Prenons l’exemple des mesures d’exception, adoptées après le 11 septembre 2001, qui ont entraîné de nombreuses violations des droits et… qui sont toujours en vigueur 20 ans plus tard!

Le respect des garanties judiciaires fondamentales

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, qui a été ratifié par le Canada et auquel le Québec a adhéré, impose certaines obligations aux États, y compris en situation d’urgence. Le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a souligné que même dans un contexte d’exception, les États ont l’obligation de s’assurer du respect des garanties judiciaires fondamentales, comme la présomption d’innocence,  qui doit garantir que les mesures utilisées ne traitent pas toute une population comme potentiellement coupable de ne pas respecter les mesures de confinement liées à la COVID-19 en l’assujettissant à une surveillance généralisée, le pouvoir exclusif des tribunaux pour juger et condamner un individu pour des infractions pénales ou le droit d’introduire un recours devant un tribunal pour contester la légalité d’une détention afin de protéger les droits qui ne sont pas susceptibles de dérogation.

Pourquoi des mesures pénales en santé publique?

Les dispositifs de surveillance tels que la géolocalisation et les bracelets électroniques consistent à transposer des mesures utilisées en droit pénal à la santé publique. Par exemple, le bracelet électronique est une mesure de droit pénal utilisée pour surveiller des individus sur ordre judiciaire. Or, si le Québec choisissait d’aller vers l’imposition du port d’un bracelet électronique à une partie de la population dans un contexte d’urgence sanitaire, et ceci sans ordre judiciaire, cela priverait ces personnes de leur droit à la présomption d’innocence et à un recours utile. De plus, il s’agirait alors d’une violation des principes de justice fondamentale en lien avec l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui indique que : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

Le système de santé mis à mal

Bien plus que des mesures de surveillance, la protection de la santé publique nécessite des mesures qui renforceraient le système de santé après des années d’austérité. De telles mesures ne sont pas sans coûts pour l’État. Et elles profitent à qui? À des compagnies privées. Il serait plus efficace, en termes de santé publique et de respect des droits fondamentaux, d’allouer cet argent à de la prévention et à la lutte contre les inégalités en matière d’accès aux soins de santé et pour contrer les effets des discriminations et des exclusions afin de renforcer la justice sociale. Il faut aussi augmenter la capacité d’effectuer des tests de dépistage, y compris des personnes asymptomatiques, pour identifier rapidement les personnes infectées et contagieuses mais qui ne présentent pas de symptômes, notamment à leur retour de voyage, permettrait un isolement ciblé et efficace.

La Ligue des droits et libertés ajoute sa voix à la mise en garde publique d’une centaine d’organisations de la société civile à travers le monde le 2 avril. Ces organisations exhortent les gouvernements « à ne pas utiliser la pandémie mondiale comme couverture pour mettre en place de futurs espionnages électroniques envahissants […] Aujourd’hui plus que jamais, les gouvernements doivent veiller rigoureusement à ce que toute restriction à ces droits soit conforme aux garanties des droits de l’homme établies de longue date ».


Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.