Conférence de presse 28 avril 2020, allocution de Me Lucie Lamarche

En sortie de crise, une attention particulière doit être portée par le Québec aux droits sociaux.

Le texte de l’allocution de Me Lucie Lamarche, vice-présidente du conseil d’administration de la LDL et professeure en sciences juridiques à l’UQAM

La Ligue des droits et libertés veille à la promotion et à la protection de tous les droits de la personne, tant les libertés fondamentales que les droits civils, politiques, économiques et sociaux.

Alors que se dessineront au fil des jours qui viennent des scénarios de déconfinement, la LDL souhaite aujourd’hui inviter le Québec à porter une attention particulière aux droits sociaux.

On peut dire sans risque de se tromper que la crise de la COVID-19 a révélé à quel point les droits sociaux des Québécois et des Québécoises ont été mis à mal au cours des dernières décennies, décennies dites d’austérité.

On savait avant la crise sanitaire qui nous frappe que les CHSLD opèrent sur une glace très mince, ce qui ne peut que porter atteinte au droit à la santé des résidents et résidentes de ces établissements.

On savait avant la crise de la santé que les écoles publiques sont surpeuplées, mal outillées et que les besoins spéciaux des élèves vont choir sur des listes d’attente interminables. De même, on a souvent dénoncé les iniquités entre les systèmes public et privé d’éducation, révélant ainsi de multiples fractures socio-économiques entre les familles et entre les enfants.

On savait que dans plusieurs villes du Québec, dont Montréal et Gatineau, le sort des locataires est précaire. Les logements sont rares, chers et ceci entraîne des cas nombreux de surpeuplement des unités d’habitation. De tels surpeuplements, en période de confinement, sont peu propices aux apprentissages en ligne et certes propices à l’accroissement des situations de violence domestique.

Et que dire du monde du travail et du droit au travail ? Le travail précaire, le travail d’Agence et les multiples boulots générés par le commerce électronique (livreur ; empaqueteur ; travailleur d’entrepôt) ne sont pas nés avec la crise du COVID-19. Ils existaient. Ce que la crise a révélé c’est l’importante fragilité d’une portion grandissante des travailleurs et travailleuses au Québec. Combien de ménages vivent de chèque de paye en chèque de paye ? Trop de ménages.

Enfin, on savait aussi que les mécanismes de protection sociale sont déficients. Avons-nous été surpris de constater qu’un pourcentage important de travailleurs mis à pied en raison de la crise de la COVID-19 ne pouvaient tout simplement pas se qualifier à l’assurance-emploi.

Après quelques cafouillages, des mécanismes d’urgence temporaires, telle la Prestation canadienne d’urgence ont été mis sur pied et bonifiés. Mais ce sont des mécanismes temporaires. Et les travailleurs précaires n’abandonneront pas leur précarité du seul fait des mesures de dé-confinement. Au contraire, il s’en trouve pour célébrer sans autre considération l’accélération de l’économie numérique en raison de la crise de la COVID-19.

Le Québec, comme la majorité des États du monde, a pris l’engagement de veiller à l’amélioration progressive des conditions d’existence des personnes et des ménages. Non seulement a-t-il failli, et ce bien avant la crise sanitaire qui nous confine, à cet engagement, mais en sus, il n’a pas su redresser les marqueurs socio-économiques qui font en sorte que certains sont plus exclus que d’autres.

Les populations racisées et les ménages néo-québécois sont encore plus durement touchés par les effets de la crise sanitaire parce qu’ils sont plus nombreux à être pauvres, mal logés et à exercer des boulots précaires.

S’engagera cette semaine un complexe arbitrage entre le social et l’économique dans la foulée de la sortie progressive de la crise de la COVID-19. Les violations cumulatives et systémiques des droits sociaux des personnes qui habitent le Québec ne disparaîtront pas magiquement non plus qu’elles ne s’atténueront du seul fait de la relance.

Le respect des droits sociaux, dont la santé, l’éducation, le logement et le travail, doivent faire partie de l’équation de la relance.

Certains aiment répéter que le post-crise sanitaire modifiera définitivement nos habitudes de vie. Mais une attention juste aux conditions du déconfinement et de la relance ne peut se faire au détriment des droits des plus précaires d’entre nous.

En matière de droits sociaux, il y a au Québec de vieilles urgences. La crise sanitaire de la COVID-19 n’a hélas fait que les révéler avec plus de douleur.