Trois décès aux mains de la police les 29 et 30 mars
Les enquêtes de la police sur la police continuent
Trois personnes ont perdu la vie aux mains de la police au Québec lors de la fin de semaine du 29 et 30 mars, à Montréal et à Québec, entraînant le déclenchement de trois enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).
La Ligue des droits et libertés est troublée par ces événements tragiques et dénonce à nouveau le fait que les enquêtes de la police sur la police se poursuivent au Québec, sous l’égide du BEI. Le BEI n’est pas un bureau d’enquête transparent, impartial et indépendant de la police.
Les 29 et 30 mars, deux interventions policières ont mené aux décès de deux personnes à Montréal, l’une par arme à feu, l’autre à la suite d’un usage de la force physique par des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le 30 mars à Québec, une personne est décédée lors de sa détention par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ).
Les communiqués du BEI annonçant le déclenchement des enquêtes relatent une courte trame factuelle[1] dont les informations proviennent strictement des corps de policiers impliqués[2]. Or, la LDL rappelle qu’il a été démontré à maintes reprises par le passé que les versions policières diffèrent grandement de celles des témoins.
En juin 2021, la Cour supérieure a déclaré que le BEI n’avait pas été indépendant et impartial dans ses communications avec le public concernant l’enquête sur le décès de Koray Kevin Celik survenu le 6 mars 2017 à L’Île-Bizard, lors d’une intervention SPVM. Dans son communiqué sommaire sur le bilan de l’enquête en août 2018, le BEI n’avait relaté que la version policière et avait complètement occulté la version contradictoire des parents de Koray, Cesur Celik et June Tyler, qui étaient des témoins directs de l’intervention policière brutale qui s’est déroulée au domicile familial.
Vigiles à la mémoire de Abisay Cruz
L’identité de la personne décédée le 30 mars 2025 à Montréal a été révélée en début de semaine par ses proches. Il s’agit d’Abisay Cruz, un jeune homme et père de 29 ans. Le mardi 1er avril, une vigile s’est tenue au lieu de l’intervention policière, un immeuble à logements au coin de la 47e rue et du boulevard Pie-IX. Plus de 300 personnes étaient présentes lors de la vigie et manifestation pour exiger justice pour Abisay Cruz.
La famille et la communauté qui se sont recueillies ce soir-là pour commémorer la mémoire d’Abisay ont fait face à une importante présence policière, y compris des polices anti-émeutes. La LDL s’explique mal comment le SPVM a cru juger adéquat d’encadrer ainsi ce moment de deuil et de rage alors qu’une communauté entière est affectée par la mort d’un des leurs.
Des vidéos troublantes de l’intervention policière qui a eu lieu sur le balcon d’un immeuble à logements ont été partagées sur les réseaux sociaux et ont suscité l’indignation. On y voit Abisay Cruz maintenu au sol par des policiers dont l’un pèse de tout son poids sur son dos, provoquant vraisemblablement des difficultés respiratoires. On y entend également des voisin-es relater que des policiers ont donné des coups à Abisay Cruz pendant qu’il était assis et demander aux policiers d’arrêter de le frapper.[3] Selon le communiqué du BEI, Abisay Cruz a perdu connaissance lors de l’intervention policière et est décédé par la suite.
D’autres vigiles et manifestations sont prévues ce dimanche 6 avril, l’une à 15h00 au parc Ovila-Légaré sur le boulevard Pie-IX, l’autre à 18h00 au coin des rues Saint-Hubert et Maisonneuve.
La LDL offre ses condoléances à la famille et aux proches d’Abisay Cruz et de toutes les victimes de brutalité policière qui font face à d’innombrables obstacles pour obtenir justice et lutter contre l’impunité policière.
L’illusion d’un « Bureau d’enquêtes indépendantes » qui n’est pas transparent, impartial et indépendant de la police
Le BEI a été créé à la suite de l’enquête publique du coroner sur le décès de Fredy Villanueva, abattu par balle lors d’une intervention policière à Montréal-Nord le 9 août 2008. Le décès de Fredy avait suscité la colère dans le quartier où de nombreux jeunes sont victimes de profilage racial et de violences policières. L’enquête du coroner avait révélé quelques années plus tard la complaisance et la partialité des policiers chargés de mener l’enquête, forçant le gouvernement a créé en 2013 un nouveau bureau d’enquête (le BEI).
Dans un sondage publié en janvier 2012, 72 % des Québécois-e-s considéraient que les poursuites criminelles sont rarissimes lorsqu’un civil est tué ou blessé par un policier, parce que les enquêteurs « ferment la plupart du temps les yeux sur de possibles négligences ou mauvaises pratiques de la part de leurs confrères[4] ».
En janvier 2020, la LDL et la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) ont publié un rapport à la suite d’un examen approfondi des trois premières années d’activités du BEI depuis sa première enquête en juin 2016. Le bilan démontre que le BEI ne remplit pas les exigences de transparence, d’impartialité et d’indépendance à l’égard de la police qui devraient pourtant être les siennes. Le rapport formule 46 recommandations concrètes pour opérer une réforme en profondeur du BEI.
À ce jour, le gouvernement du Québec refuse de mettre en place les changements législatifs requis. En avril 2023, la LDL a déposé un mémoire sur le projet de loi 14, Loi modifiant diverses dispositions relatives à la sécurité publique et édictant la loi visant à aider à retrouver des personnes disparues, visant notamment à réformer la Loi sur la police. Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a ignoré les demandes de la LDL concernant le BEI.
En ce début d’année 2025, l’impunité policière perdure et le BEI n’est pas un bureau d’enquête transparent, impartial et indépendant capable de susciter la confiance des familles des victimes et de la population.


En savoir plus
LDL et CRAP, Regards critiques sur les trois premières années d’activité du Bureau des enquêtes indépendantes, Rapport, 2020.
Tracy Wing, J’ai rapidement perdu confiance dans le Bureau des enquêtes indépendantes, Revue Droits et libertés, 2020. Mme Wing est la mère de Riley Fairholm, un jeune homme tué par la police le 25 juillet 2018 à Lac-Brome.
Alexandre Popovic, Week-end meurtrier pour le SPVM, Chronique, Pivot, 31 mars 2025.
[1] Selon les communiqués du BEI, le 29 mars, les policiers ont tiré sur une personne dans un immeuble à logement à la suite d’un appel qui aurait été fait au 911 pour une personne en possession d’une arme à feu. La personne est décédée sur les lieux. Le 30 mars, des policiers sont intervenus auprès d’une personne qui aurait été en crise. La personne a ensuite perdu connaissance et son décès a été constaté à l’hôpital. Le 30 mars à Québec, une personne est décédée lors de sa détention par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Selon le communiqué du BEI à la suite de son arrestation, la personne aurait subi une perte de conscience et son décès a été constaté à l’hôpital.
[2] Dans un rapport de 2020, la LDL et la CRAP avaient formulé une recommandation qui a été ignorée par le BEI et le gouvernement du Québec : « 12. Que le BEI mentionne la source des informations qu’il publie dans ses communiqués annonçant la prise en charge d’une enquête indépendante ainsi que la fonction occupée par les personnes qui les lui ont transmises ».
[3] Vidéo publiées sur Instagram (Avertissement, images troublantes), https://www.instagram.com/reel/DH7UsFFujDP ; https://www.instagram.com/reel/DH30sdiOlpt
[4] Marie-Claude Malboeuf, « Enquêtes sur des policiers : confiance ébranlée », La Presse, 14 janvier 2012, https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/201201/13/01-4485817-enquetes-sur-des-policiers-confiance-ebranlee.php