Une crise qui affecte les droits humains à Gatineau

Le rapport publié en février 2021 conclut que Gatineau vit une situation d’urgence permanente et que les multiples entraves au droit au logement qui y sont vécues compromettent d’autres droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi civils et politiques.

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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021

Hors dossier : Logement
Une crise qui affecte les droits humains à Gatineau

François Saillant, rapporteur mandaté par la Ligue des droits et libertés et expert des enjeux de logement

À l’été et à l’automne 2020, j’ai eu l’occasion de mener une mission d’observation pour la Ligue des droits et libertés (LDL) sur la crise du logement qui sévit à Gatineau. Le signe le plus visible en est le nombre alarmant de familles et de personnes sans domicile fixe. Des familles avec enfants doivent vivre pendant plusieurs mois, entassées dans des chambres d’hôtel ou de motel. Des personnes en situation d’itinérance s’entassent en pleine pandémie dans des lits de camp, séparés par de simples rideaux, sur le plancher de l’aréna Robert‑Guertin. Des sans-abris érigent des campements de tentes, fréquemment démantelés par les autorités.

Ce n’est pourtant là que la pointe de l’iceberg, bien d’autres problèmes étant vécus entre les quatre murs des maisons : coût inabordable des loyers, évictions pour non‑paiement, logements inhabitables, inaccessibilité pour des personnes en situation de handicap, etc.

Soucieuse d’avoir un portrait d’ensemble de la situation, la mission a rencontré virtuellement plusieurs organismes, des experts, ainsi que les autorités politiques. Malheureusement, les députés caquistes de la région n’ont été rencontrés qu’après la mission. Enfin, une vingtaine de familles sans‑logis ou mal‑logées, de même qu’une dizaine de personnes en situation d’itinérance, ont pu témoigner de leurs réalités.

Le rapport publié en février 2021 conclut que Gatineau vit une situation d’urgence permanente et que les multiples entraves au droit au logement qui y sont vécues compromettent d’autres droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi civils et politiques.

En quelques jours, le rapport a suscité plusieurs réactions dont celle du maire de Gatineau, Maxime Pedneaud‑Jobin, des organismes communautaires, de l’Office d’habitation de l’Outaouais et même d’un des plus gros investisseurs immobiliers de la ville. Personne n’a remis ses constats en question.

Dans un commentaire publié dans Le Droit du 12 février, le chroniqueur Patrick Duquette écrit: « Les principales victimes de cette crise? Les femmes, les familles nombreuses, souvent issues de l’immigration, et celles qui ont de la misère à joindre les deux bouts. Dans leur cas, la violation du droit à un loyer décent se traduit par une cascade d’autres violations à leurs droits fondamentaux: sécurité, alimentation, santé, éducation… Le rapport nous rappelle que pour une femme sans logis, trouver un toit, c’est parfois accepter de retourner vivre avec un conjoint violent ou qui exige des faveurs sexuelles. Pour une famille d’immigré‑e‑s noir‑e‑s, c’est la quasi‑certitude de se faire exiger un dossier de crédit ou des références qu’elle n’a pas. Ou de se faire revirer de bord par un propriétaire raciste: c’est déjà loué, meilleure chance la prochaine fois ».

Pourquoi Gatineau?

Ce n’est pas que la gravité et la persistance des problèmes qui ont convaincu la LDL d’acquiescer à la demande de mission d’observation, mais aussi certaines particularités vécues dans cette ville.

Gatineau est voisine d’Ottawa où le coût des logements est beaucoup plus élevé que de l’autre côté de la rivière Outaouais. De nombreux ménages ontariens sont donc tentés de déménager à Gatineau, ce qui a pour effet d’y accroître la rareté des logements locatifs et d’y contribuer à la hausse des loyers.

Le voisinage avec la capitale canadienne contribue aussi à ce que Gatineau soit le deuxième pôle québécois d’attraction de l’immigration internationale qui se combine de surcroît avec une forte migration interprovinciale. Tout cela fait en sorte que le taux de logements inoccupés a été sous la barre d’équilibre de 3 % au cours de 13 des 21 dernières années et que Gatineau soit maintenant la région métropolitaine où le coût du logement est le plus élevé au Québec.

Une autre spécificité de la ville est le nombre et la dureté de catastrophes dites naturelles qui l’ont frappée dans les dernières années. En 2017 et 2019, la ville a vécu deux graves inondations printanières, alors que c’est une tornade de force F3 qui l’a touchée de plein fouet en 2018. Plus de 5 500 bâtiments résidentiels ont au total été touchés, dont plusieurs centaines de logements locatifs qui ont été totalement rasés ou qui sont maintenant considérés comme non habitables.

Or, plusieurs témoignages ont permis de constater que ces catastrophes, qui sont destinées à se reproduire avec la crise climatique, ont donné lieu à des injustices environnementales.

Ainsi, ce sont des quartiers socioéconomiquement défavorisés qui ont été les plus durement affectés par les catastrophes naturelles.

L’exemple du secteur du Mont-Bleu est éloquent. Avant la tornade de 2018, il était habité par des familles nombreuses, très souvent racisées, en situation de pauvreté. Celles qui ont dû quitter les immeubles ravagés ont vécu de pénibles situations d’hébergement. Certaines ont été accueillies par leurs familles dans des logements déjà surpeuplés, alors que d’autres étaient placées dans des motels parfois situés dans des endroits aussi éloignés que Mont-Laurier, alors que les enfants devaient se rendre quotidiennement à l’école à Gatineau. La recherche de logements a été tout aussi ardue, se butant au coût et à la rareté des appartements familiaux, mais aussi à la discrimination.

Or, la reconstruction, qui est en cours au Mont‑Bleu, exclut maintenant ces familles. Les nouveaux appartements, dont la construction a été abandonnée à la discrétion de promoteurs privés, sont petits, luxueux, à loyer très élevé… Les familles, elles, sont durablement privées des ressources communautaires et des services qui leur étaient jusque-là accessibles.

Les suites

La LDL a décidé de soumettre le rapport au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU qui doit, au cours des prochains mois, se pencher sur le cas du Canada. Comme l’a expliqué la LDL lors d’une rencontre avec les organismes qui ont participé à la mission d’observation, c’est toutefois leur travail sur le terrain qui fera en sorte que la mission aura ou non des suites. Ils disposent désormais d’un outil supplémentaire pour le faire.


Le rapport de la mission d’observation intitulé La situation du logement à Gatineau et ses impacts sur les droits humains est disponible en ligne sur le site Web de la LDL.

Des exemplaires imprimés sont aussi disponibles sur demande.


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