Lettre ouverte publiée dans Le Devoir, le 30 octobre 2021
Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés
Catherine Descoteaux, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Lors de son discours d’ouverture de la session parlementaire du 19 octobre dernier, le premier ministre François Legault a annoncé que le gouvernement du Québec renoncerait « définitivement à extraire des hydrocarbures sur son territoire ». Bien qu’il s’agisse d’un pas dans la bonne direction, il est inutile de concevoir un plan de lutte aux changements climatiques sans tenir compte des impacts que ceux-ci ont sur les populations les plus marginalisées. La Ligue des droits et libertés (LDL) rappelle donc au gouvernement du Québec que la lutte contre la crise climatique ne peut se faire sans entreprendre des actions concrètes pour améliorer les droits économiques, sociaux et culturels de la population, notamment en valorisant les droits à la santé, à un environnement sain, au logement, à l’égalité et à la dignité.
Le lendemain de cette annonce, M. Legault revenait sur le sujet en évoquant la possibilité que le gouvernement indemnise les entreprises d’exploration gazière au Québec pour la perte inéluctable de leurs permis. À mots couverts, le gouvernement agite le spectre d’éventuelles menaces de poursuites de la part de ces entreprises qui s’accumulent déjà à la porte de l’État à coup de plusieurs centaines de millions, voire de milliards de dollars. À l’autre bout du spectre, plusieurs groupes environnementaux ont manifesté leur mécontentement face à ce scénario. Ils demandent au gouvernement de ne pas céder à la pression de ces entreprises. Un rapport du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) publié en juin dernier sur cette question est clair : le gouvernement a toute la souveraineté requise pour mettre fin à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire du Québec sans indemniser les entreprises pétrolières et gazières.
Contre le principe du Pollueur-payé
La Ligue des droits et libertés joint sa voix à celles des organisations environnementales pour dénoncer d’emblée toute décision qui aurait pour effet d’indemniser d’hypothétiques profits polluants qui, de toute évidence, ne se seraient jamais concrétisés.
Par ailleurs, la LDL est d’avis que cette annonce du gouvernement s’apparente à une épreuve d’écoblanchiment (greenwashing). En effet, interdire les activités d’un secteur industriel déjà factuellement à l’arrêt n’entraîne aucune amélioration réelle sur la protection des écosystèmes de la province.
Les bonnes priorités ?
Assez ironiquement, lors de ce même discours du 19 octobre, M. Legault n’a mentionné que du bout des lèvres « regarder des moyens pour aider les Québécois […] à faire face à [l’] augmentation énorme du coût de la vie, entre autres dans le secteur de l’épicerie puis du logement. » En pleine crise du logement, une déclaration aussi famélique n’était définitivement pas à la hauteur des problèmes à régler, puisqu’elle n’est liée à aucune action concrète pour la réalisation des droits au logement, à la santé, à la dignité ou à l’égalité.
Même, s’il faut saluer la décision du gouvernement de mettre enfin un terme à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures au Québec, il serait inadmissible que cette décision détourne des précieux fonds publics (ceux envisagés pour un dédommagement des compagnies) qui doivent de toute urgence être destinés à resserrer les mailles du tissu social. En ce sens, il apparait d’autant plus inacceptable de chercher à compenser des profits « potentiels » d’entreprises qui auraient ravagé les écosystèmes québécois et contribué à la crise climatique à l’échelle planétaire, plutôt que d’adopter un plan concret de réalisation des droits humains au Québec.