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Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021
Dre Marie-France Raynault,
professeure émérite, École de santé publique, Université de Montréal
La santé publique a pris une place importante dans l’actualité locale et internationale depuis le début de la pandémie de COVID-19. Ses institutions, ses leaders et ses recommandations ont fait l’objet de beaucoup d’attention médiatique et la population a découvert une composante du système de santé avec laquelle elle avait rarement eu à interagir. Cette nouvelle connaissance est cependant biaisée par l’urgence sanitaire car la santé publique va bien au-delà de la protection des personnes contre les risques infectieux.
Le rôle de la santé publique
L’Organisation mondiale de la santé définit la santé publique comme « la science et l’art de favoriser la santé, de prévenir la maladie et de prolonger la vie grâce aux efforts organisés de la société[1] ». Ses différentes fonctions comprennent la surveillance de l’état de santé, la promotion de la santé et du bien-être, la prévention des maladies et traumatismes ainsi que la protection de la santé des personnes et des populations contre les risques biologiques, environnementaux et liés au travail[2]. Les interventions de santé publique essentielles concernent l’information aux populations sur les risques à la santé, le plaidoyer pour de meilleures politiques publiques (soutien au revenu, logement, normes du travail, aménagement du territoire) et la mise en place de programmes de prévention. Les interventions cliniques individuelles sont rarement privilégiées sauf dans le cas où le système de soins peine à rejoindre des populations exclues.
La démarche de santé publique est classiquement initiée par la surveillance des différents problèmes de santé et de leurs déterminants. La mise en évidence de l’influence du manque de revenu, des logements insalubres ou des conditions de travail sur la santé physique et mentale des personnes est la première étape d’une série d’interventions de santé publique. Le devoir d’informer la population sur les risques à sa santé amène sur la place publique des enjeux sociaux et provoque souvent la mise à l’ordre du jour de nouvelles politiques publiques.
Le logement et les agences de placements
Des exemples québécois récents de telles interventions sur les politiques concernent l’appel à la construction de logements sociaux[3] ou la demande de régulation des agences de placement de personnel[4].
Dans le cas du logement, depuis plusieurs années, les intervenant-e-s de santé publique constataient sur le terrain des problèmes pulmonaires et cutanés imputables aux moisissures et à la vermine présentes dans de nombreux logements qu’ils déclaraient insalubres. En menant des études et en exploitant les bases de données de santé, ils ont pu décrire la distribution de ces problèmes sur le territoire de l’Île de Montréal. Des recensions d’écrits subséquentes ont permis d’identifier des avenues de solution et de mettre en relation insalubrité et abordabilité du logement. Une interpellation des partis politiques fédéraux (qui étaient alors en campagne électorale) a amené sur la place publique une discussion sur l’importance de développer des logements sociaux pour améliorer la santé physique et mentale des Montréalaises et des Montréalais et d’inscrire la Direction de la santé publique dans les discussions avec la Société d’Hypothèque et de Logement. Un consortium de recherche sur le logement abordable est né de cette initiative.
Pour ce qui est du chantier sur les travailleuses et les travailleurs d’agence, il a permis aux groupes communautaires qui revendiquaient depuis des décennies des modifications aux lois du travail d’avoir accès à des données et à une assise scientifique solide. Le gouvernement québécois a réagi en intégrant dans sa révision de la Loi sur les normes du travail, des dispositions permettant d’encadrer les agences de placement de personnel.
Les inégalités sociales de santé
Dans les dernières années, l’intervention de la santé publique sur les déterminants sociaux s’est structurée autour du concept d’inégalités sociales de santé. Ce concept met de l’avant que l’état de santé varie en fonction des inégalités de revenu, d’éducation, de catégories socioprofessionnelles ou de territoires[5]. La réduction de ces inégalités sociales est directement visée par la santé publique, que ce soit par l’importance accordée au développement de l’enfant, à la réglementation du marché du travail ou aux revenus des personnes assistées sociales.
Et le droit à la santé?
Dans une perspective de santé publique, le droit à la santé implique l’accès à de meilleures conditions de vie, à un environnement sain et à des milieux de travail sécuritaires. Les modèles conceptuels de promotion de la santé postulent que l’accès aux soins n’est qu’un des déterminants de la santé[6] (Figure 1). Les recherches empiriques confirment cette théorie.
Cette perspective globale est appuyée légalement. La Loi sur la santé publique, votée à l’unanimité par les élu-e-s québécois-es en 2001, prévoit des actions de plaidoyer pour l’adoption de meilleures politiques publiques visant les déterminants sociaux de la santé :
« promouvoir la santé et l’adoption de politiques sociales et publiques aptes à favoriser une amélioration de l’état de santé et de bien-être de la population auprès des divers intervenants dont les décisions ou actions sont susceptibles d’avoir un impact sur la santé de la population en général ou de certains groupes[7]».
Si la légitimité de la santé publique pour promouvoir le droit à la santé ne fait pas de doute, il en est tout autrement des ressources dont elle dispose pour y parvenir. Au quotidien, elle doit affronter dans des forums publics, différentes personnes qui veulent maximiser leurs profits et qui font peu de cas du bien commun.
Ces personnes disposent souvent de moyens financiers considérables et de conseils juridiques sur les meilleurs moyens de contourner les recommandations de santé publique. Ces derniers mois, l’arrivée de la pandémie de Covid-19 a mobilisé toutes les ressources de santé publique dans la lutte à la maladie, les amenant à délaisser des dossiers importants en promotion de la santé. Malgré ces différentes embûches, il n’en reste pas moins, qu’intervenant pour promouvoir le bien commun dans l’espace public, sans intérêt financier ni corporatiste, la santé publique peut amener la mise à l’ordre du jour d’enjeux sociaux importants pour la réalisation du droit à la santé au bénéfice de la population du Québec et particulièrement des plus démuni-e-s.
[1] Organisation mondiale de la santé (1999). Glossaire de la promotion de la santé, Genève.
[2] Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (2015). Programme national de santé publique 2015-2025, disponible au https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2015/15-216-01W.pdf
[3] Direction régionale de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (2015). Pour des logements salubres et abordables ; Rapport du directeur de santé publique de Montréal 2015, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
[4] Direction régionale de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (2016). Les travailleurs invisibles ; Les risques pour la santé des travailleurs des agences de location de personnel : Rapport du directeur de santé publique de Montréal 2016, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
[5] Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS (2009). Combler le fossé en une génération; Instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé : rapport final, Organisation mondiale de la santé, Genève.
[6] Agence de la santé publique du Canada (1986). Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé : une conférence internationale pour la promotion de la santé, https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/sante-population/charte-ottawa-promotion-sante-conference-internationale-promotion-sante.html
[7] Québec (2001). Loi sur la santé publique, chapitre 6, art. 53, Éditeur officiel du Québec, http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/s-2.2#se:53