Cette lettre ouverte été publiée dans La Presse, le 10 décembre 2022.
Des droits à réitérer et à mettre en œuvre
Laurence Guénette, Lucie Lamarche, Diane Lamoureux, respectivement coordonnatrice et membres du conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés
Le 10 décembre 1948, les 58 États membres de l’Assemblée générale des Nations Unies ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Dans le sillage des crimes de guerre et des horreurs qui ont marqué la Deuxième Guerre mondiale, le préambule affirme que «la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ».
Ce texte, toujours pertinent, affirme la reconnaissance des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, et il reconnaît que « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet » (art. 28). L’adoption de la DUDH a été complétée et précisée par plusieurs autres instruments dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) et de nombreuses conventions.
Dans la foulée de ce travail de reconnaissance des droits humains, les États ont inscrit de manière plus ou moins exhaustive les droits humains progressivement reconnus en droit international dans leur propre législation. C’est notamment le cas du Québec en 1975, avec l’adoption de la Charte des droits et libertés de la personne et du Canada, avec l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982.
Pourquoi un tel arsenal normatif et législatif?
Au regard de l’actualité, on peut se demander à quoi servent toutes ces déclarations, pactes, conventions ou chartes puisque ces droits sont bafoués à une fréquence alarmante. Pourtant, ces droits constituent un outil pertinent et toujours utile dans les luttes menées pour l’égalité des droits, la justice sociale ou la justice climatique.
Ces droits sont le produit des luttes menées depuis plus d’un siècle par divers groupes sociaux. Aurions-nous la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes si les suffragettes ne s’étaient pas mobilisées pour obtenir le droit de vote et si les féministes des générations successives ne s’étaient pas battues pour la justice reproductive, l’équité salariale ou la reconnaissance du travail invisibilisé des femmes? La DUDH a aussi soutenu les efforts des peuples colonisés pour s’affranchir du joug colonial, y compris la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Au Québec, la Ligue des droits et libertés (LDL) a joué un rôle majeur pour que l’Assemblée nationale adopte la Charte des droits et libertés et se mobilise encore aujourd’hui pour la faire évoluer, afin notamment d’y inclure de nouveaux droits qui n’y figurent pas encore, tel le droit au logement ou à la santé.
Rappelons que les États qui souscrivent aux normes internationales des droits humains sont présumés les considérer contraignantes et devraient les incorporer pleinement au droit interne afin d’en garantir le respect, bien que ce soit loin d’être toujours le cas. Un État qui déroge à ses engagements doit justifier ces dérogations, soumises à une règle de raisonnabilité et de rationalité. De plus, les États doivent rendre compte de la mise en œuvre des droits humains devant les divers comités de contrôle des Nations Unies. Ainsi, la LDL est intervenue auprès du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels en 1998 pour montrer que le Canada et le Québec ne s’acquittaient pas de leurs obligations en ce qui concerne l’itinérance, le logement social ou le traitement égalitaire des prestataires de l’aide sociale. Par conséquent, le gouvernement québécois est revenu sur sa décision de saisir une partie importante des chèques d’aide sociale en guise de remboursement de versements payés en trop, et que le gouvernement fédéral a dû s’impliquer dans le financement du logement social.
Dans son préambule, la Charte québécoise souligne que l’affirmation solennelle des libertés et droits fondamentaux contribue à ce que « ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation ». Ce qu’il faut retenir est que les instruments internationaux et nationaux de droits humains sont de puissants outils argumentaires et énoncent des principes incontournables, qui nous permettent de juger de la conformité des législations et de rappeler les gouvernements à l’ordre.
De grandes inquiétudes
Une façon pertinente de montrer son engagement envers les droits humains et la justice sociale est de valoriser à la fois les Chartes et la DUDH, outils essentiels pour le maintien et la consolidation des institutions démocratiques. Pourtant, dernièrement, les gouvernements ont manifesté une désinvolture inquiétante face aux Chartes: on n’a qu’à penser à l’usage abusif et éthiquement inacceptable de la clause dérogatoire lors de l’adoption des projets de loi 21 et 96. De plus, le recours prolongé à l’état d’urgence durant la pandémie laisse craindre que ne s’instaure une gouvernance autoritaire peu compatible avec le respect de l’ensemble des droits humains.
En cette Journée du 10 décembre, une date importante dans le monde entier, la LDL souligne que les États ne devraient pas sembler se prémunir contre les droits humains, mais veiller activement à leur protection, leur promotion et leur mise en œuvre. La LDL poursuivra son travail en ce sens, persuadée que l’ensemble des instruments de protection de droits humains dont nous disposons est plus nécessaire que jamais pour faire face aux inégalités qui mettent à mal la justice sociale, aux discriminations systémiques et aux crises environnementales. L’heure est à la valorisation des droits humains et des Chartes qui les reconnaissent, et non à leur banalisation ou à leur fragilisation.