Montréal, le 15 novembre 2024
Lettre en version PDF
À lire aussi :
Lettre ouverte 6 juin 2024
signée par 72 organisations
Lettre au gouvernement 5 mars 2024
signée par 23 organisations
Monsieur François Legault
Premier ministre
Conseil exécutif
Édifice Honoré-Mercier
835, boulevard René-Lévesque Est, 3e étage
Québec (Québec) G1A 1B4
[email protected]
Madame Martine Biron
Ministre des Relations internationales et de la Francophonie
Édifice Hector-Fabre
525, boulevard René-Lévesque Est, 4e étage
Québec (Québec) G1R 5R9
[email protected]
OBJET : Deuxième demande de rencontre – Fermeture du bureau du Québec à Tel-Aviv et suspension des liens de coopération avec Israël
Monsieur le Premier ministre,
Madame la ministre,
Par la présente, nous soussigné-es, représentant-es de cinq organisations de la société civile québécoise, sollicitons une rencontre avec vous personnellement, Monsieur le premier ministre, Madame la ministre, afin de discuter de la fermeture du bureau du Québec à Tel-Aviv et des relations que le Québec entretient avec Israël.
Le 5 mars 2024, 23 organisations, dont les nôtres, vous faisaient parvenir une première demande de rencontre à laquelle vous n’avez pas donné suite favorablement. En guise de réponse, Madame la ministre, vous indiquiez dans une lettre datée 9 avril que « vos équipes du ministère des Relations internationales et de la Francophonie prendraient contact avec nous afin d’organiser une rencontre permettant d’approfondir les échanges ». Une délégation formée de nos cinq organisations a participé à une rencontre avec votre sous-ministre adjointe, Mme Hélène Drainville, le 16 mai dernier. Malheureusement, celle-ci n’a pas permis d’avoir les échanges approfondis escomptés, puisqu’elle n’avait qu’un mandat d’écoute, et nous avons réitéré à cette occasion notre demande de vous rencontrer personnellement.Le nombre d’organisations de la société civile opposées à l’ouverture du bureau à Tel-Aviv s’est depuis élargi. Dans une lettre ouverte publiée le 6 juin 2024 dans Le Soleil et les médias des Coops de l’information, plus de 70 organisations syndicales, communautaires, de défense des droits et citoyennes vous demandaient annuler l’ouverture de ce bureau et de suspendre tout lien de coopération avec Israël. Nous joignons cette lettre en pièce jointe avec la liste des signataires.
Intensification de l’assaut génocidaire sur Gaza
Cela fait maintenant plus d’un an qu’Israël mène une offensive militaire sans relâche dans la bande de Gaza sous les yeux du monde entier et en toute impunité. Les actions militaires depuis octobre 2023 présente un caractère génocidaire, en continuité avec l’occupation militaire et la colonisation de la Palestine. À ce jour, plus de 40 000 Palestinien-nes ont été tué-es, dont plus de 15 000 enfants. Selon une lettre publiée dans The Lancet, des chercheur-es estiment que le nombre de décès pourrait être beaucoup plus élevé, soit plus de 186 000 Palestinien-nes, lorsqu’on tient compte des décès indirects. Des dizaines de milliers ont été gravement blessé-es et 1,5 millions de personnes est en déplacement constant sous la menace de bombardements par l’armée israélienne. L’acheminement de l’aide humanitaire vitale demeure bloqué par Israël. Le territoire de la bande de Gaza est détruit et inhabitable. Les habitations, les hôpitaux, les écoles, les lieux de culte et les refuges sont massivement bombardés. Les conditions sanitaires sont désastreuses.
L’assaut génocidaire d’Israël s’est encore intensifié dans les dernières semaines avec l’interdiction de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la qualification du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres de « persona non grata » et le siège total du Nord de Gaza bombardé sans relâche, le tout visant l’évacuation complète et finale des Gazaoui-e-s de cette partie de leur territoire. En Cisjordanie, les attaques de colons et de l’armée contre les Palestinien-nes de plusieurs villages se sont également intensifiées.
Dernier rapport de la Rapporteuse spéciale
De passage au Canada du 2 au 8 novembre, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Me Francesca Albanese, présentait son dernier rapport, L’effacement colonial par le génocide, et les obligations des États, incluant le Québec, en vertu du droit international.
Considérant « les horreurs qui se produisent dans le territoire palestinien occupé », la Rapporteuse spéciale indique dans son rapport que la violence qu’Israël y déchaîne « s’inscrit dans une campagne destructrice orchestrée intentionnellement au niveau de l’État pour provoquer systématiquement le déplacement forcé et le remplacement à long terme des Palestiniens ».
La Rapporteuse spéciale a rappelé les États ont des obligations légales de faire cesser ce « premier génocide colonial diffusé en direct ». Lors de sa visite, Me Albanese a expliqué que pour se conformer à leurs obligations en vertu du droit international, le Canada, incluant le Québec, doit réviser toutes ses relations diplomatiques, politiques, commerciales, militaires et stratégiques avec Israël, au risque d’être complice d’un régime qui commet un génocide et des crimes contre le peuple palestinien.
Décisions de la Cour internationale de Justice et obligations du Québec
Comme vous le savez, le 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice a ordonné des mesures conservatoires visant à protéger le peuple palestinien d’un « risque réel et imminent d’un préjudice irréparable » et d’un « risque plausible de génocide ». Israël n’en a respecté aucune. Les États parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dont le Canada et incluant le Québec, ont l’obligation juridique de prévenir, arrêter et punir tout acte génocidaire. Il s’agit d’une responsabilité juridique contraignante en vertu du droit international et de l’article 1 de la Convention. Les États doivent adopter toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser les actes génocidaires perpétrés par Israël à l’encontre du peuple palestinien depuis plus d’un an. Poursuivre et intensifier les relations commerciales avec Israël va à l’encontre d’une telle obligation.
Le 19 juillet dernier, la Cour internationale de Justice a rendu un Avis consultatif déclarant que l’occupation par Israël du Territoire palestinien occupé, composé de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et la bande de Gaza, est illégale. Cet avis énonce sans aucune ambiguïté les obligations des États en ce qui a trait aux politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé (nous soulignons) :
[…] de ne pas entretenir, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire ; [les États] doivent s’abstenir, dans l’établissement et le maintien de missions diplomatiques en Israël, de reconnaître de quelque manière sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé ; et prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé. [par 278]
[…] tous les États sont tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence. Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. En outre, tous les États parties à la quatrième convention de Genève ont l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention. [par 279]
La décision du Québec d’ouvrir un bureau à Tel-Aviv va à l’encontre des décisions de la Cour internationale de Justice du 26 janvier et 19 juillet 2024, et de son obligation de prévenir et réprimer le crime de génocide, conformément aux engagements du Québec en vertu du droit international. Un tel bureau rendrait le Québec tacitement complice des actes génocidaires et des violations des droits humains qui sont commis par Israël dans le territoire palestinien occupé.
Les investissements de la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ) dans des entreprises comme WSP global, dont la CDPQ est l’actionnaire principal, vont également à l’encontre de l’avis du 19 juillet dernier de la Cour internationale de Justice. En effet, l’entreprise québécoise WSP Global est responsable du prolongement du train léger de Jérusalem, un prolongement qui entérine l’annexion unilatérale de Jérusalem-Est par le gouvernement israélien, ce qui va à l’encontre des responsabilités d’une puissance occupante, en vertu de la Charte des Nations Unies.
Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre, nous vous demandons d’entendre la voix de la société civile québécoise et de tenir compte de la gravité historique de la tragédie qui se déroule en Palestine. Les appels à un cessez-le-feu et au respect du droit international humanitaire, tel que la motion adoptée par l’Assemblée nationale du Québec le 30 janvier 2024, sont sans effet s’ils ne sont pas accompagnés d’actions tangibles et cohérentes. Les images d’enfants palestiniens tués par des bombardements israéliens, dont les parents ne retrouvent pas les corps entiers, nous sont insupportables. Nous vous exhortons de dissocier le Québec des actions militaires d’Israël dans la bande de Gaza et dans l’ensemble du territoire palestinien occupé en fermant le bureau à Tel-Aviv.
Nous aspirons à ce que le gouvernement du Québec joigne sa voix aux autres nations à travers le monde qui ont adopté des positions claires en faveur de la justice et du respect immédiat des droits du peuple palestinien à la vie, à la sécurité et à la liberté.
Dans l’attente d’une réponse positive de votre part, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre, nos cordiales salutations,
Michèle Asselin, directrice générale
Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
Marie-Hélène Hébert, représentante
Collectif de Québec pour la paix
Laurence Guénette, coordonnatrice
Ligue des droits et libertés
Dominique Sauvé, responsable à l’information et la mobilisation
Syndicat des Enseignantes et des Enseignants du Cégep Montmorency (SEECM), affilié FNEEQ-CSN
Niall Clapham Ricardo, porte-parole
Voix Juives Indépendantes – Montréal
C.C.
Marc Tanguay, chef de l’opposition officielle, député de LaFontaine
Gabriel Nadeau-Dubois, chef du deuxième groupe d’opposition, député de Gouin
Paul St-Pierre Plamondon, chef du troisième groupe d’opposition, député de Camille-Laurin
André Albert Morin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de relations internationales et de francophonie, député de l’Acadie
Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de relations internationales et de francophonie, député de Saint-Henri–Sainte-Anne
Pascal Paradis, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière de relations internationales et de francophonie, député de Jean-Talon
P.J.
Rapport de Me Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, « L’effacement colonial par le génocide », Assemblée générale des Nations Unies, 1er octobre 2024.
Avis consultatif de la Cour internationale de Justice, « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 19 juillet 2024.
Ordonnance de la Cour internationale de Justice, « Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël) », 26 janvier 2024.
Lettre ouverte, « Québec doit fermer son bureau à Tel-Aviv », 6 juin 2024, publiée dans Le Soleil e les médias des Coops de l’information, signée par 72 organisations.
Correspondance datée du 5 mars 2024, signée par 23 organisations.
Réponse de Madame la ministre, datée du 9 avril 2024.