Logement sociaux accessibles, oui, mais pour qui?

L’accessibilité au logement pour les personnes en situation d’itinérance s’accompagne de multiples formes de restrictions et de profilage. Le milieu communautaire doit s’ouvrir à la réalité de ces personnes doublement marginalisées et les solutions existent.

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Martin Pagé, Directeur général, Dopamine
Julien Montreuil, Directeur adjoint, L’Anonyme

 

En 2018, l’accès à un logement ou un hébergement stable et salubre devrait être un besoin de base atteignable pour toutes et tous. Pourtant, les défis demeurent importants pour les personnes qui consomment des drogues ou sont marginalisées à cause de certaines activités comme le travail du sexe. Certes, il y a quelques projets dans notre communauté, mais plusieurs d’entre eux comportent des exigences telles qu’être à jour concernant ses papiers d’identité et ses impôts, avoir un plan d’intervention, socialiser avec les autres locataires, arrêter toute consommation de drogues ou toute activité liée à ces substances, ne pas avoir d’animaux de compagnie ou encore se délocaliser loin de leurs réseaux. Ces nombreuses exigences, voire obligations dépassent largement le cadre d’une simple demande de se loger convenablement.

Pourquoi? Pourquoi tant de restrictions? Pourquoi tant de profilage à l’occasion d’une simple demande d’accès à un logement salubre? Est-ce que les personnes qui consomment des drogues sont nécessairement des mauvais locataires? Est-ce qu’on demande à toutes les citoyennes et à tous les citoyens leur histoire de consommation de drogue, leur activité sexuelle ou leur bilan de santé mentale? Pourquoi les exigences de location de chambre ou d’appartement pour les personnes marginalisées vont-elles au-delà des responsabilités normales d’un-e locataire? Ne serait-il pas temps d’avoir des logements accessibles pour les personnes en situation d’itinérance, qui sont doublement marginalisées?

Nos organismes, qui travaillent en réduction des méfaits, pensent que OUI. Nous accompagnons régulièrement des personnes qui tentent d’améliorer leur qualité de vie et qui veulent simplement reprendre du pouvoir sur leur situation, qui veulent avoir un chez-soi sans avoir à subir d’autres exigences. Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, de nombreux projets avec socialisation ont vu le jour, mais peu tiennent compte des nombreuses particularités des personnes de notre communauté vivant présentement dans la rue. Les maisons de chambres sont de moins en moins disponibles et le quartier fait face à une transformation, voire une gentrification qui semble laisser peu de place aux personnes qui y vivent depuis de nombreuses années.

C’est dans ce contexte que nous devons organiser une réponse créative et faire preuve d’adaptabilité face aux réalités des personnes qui consomment des drogues. Certaines actrices et acteurs du quartier aimeraient ne plus les voir; elles sont souvent décrites comme étant dérangeantes, et même repoussantes. Pourtant, moins on leur offre de services, plus elles se retrouvent dans l’espace public et plus elles sont perçues comme nuisibles. Afin de combler leur besoin d’avoir un toit sur la tête, ces personnes se retrouvent dans des milieux hautement risqués, parfois insalubres, et même dangereux. Nous remarquons cependant que, malgré la qualité parfois douteuse de ces endroits, un écosystème s’installe. Un milieu qui convient à ces personnes, un endroit où elles peuvent habiter, un milieu où elles se sentent, malgré tout, relativement en sécurité. Bref, un lieu auquel elles s’identifient. Souvent le dernier avant la rue.

Le milieu communautaire est là pour répondre aux besoins identifiés par la communauté. Comme mentionné précédemment, des initiatives de logements adaptés ont émergé pour répondre aux besoins de différentes populations, mais trop de personnes sont encore laissées pour compte. Le logement social avec soutien communautaire classique, un modèle québécois bien perçu, est essentiel, mais trop restrictif pour plusieurs. Nous croyons qu’il est possible de se doter d’une nouvelle possibilité; un endroit où habiter qui soit salubre, sécuritaire, ouvert et adapté. Un endroit où payer son loyer à chaque mois et se conduire de manière à ne pas troubler l’usage normal des autres locataires seraient les deux seules conditions pour demeurer dans son logement. Un endroit où des services sont disponibles, mais où on ne te les enfonce pas dans la gorge, en brandissant la menace d’une éventuelle éviction. Un lieu où tu es roi et maître de tes objectifs de vie. Un lieu où tu peux vivre avec d’autres ou seul. Un logement où tu as le droit d’avoir ton chien pour te tenir compagnie. Bref, TA maison dans laquelle TU décides!

La difficulté est que ces personnes vivent dans des conditions que nous, société « respectable », jugeons inacceptables. Comme si, pour ces personnes, le logement passait de droit à mérite. Si on n’est pas assez beau, pas assez propre, pas assez tranquille et pas assez moral, on ne mérite pas d’exister! À la rue, ces personnes! Elles se retrouvent ainsi dans une situation encore plus précaire, itinérant-e-s chroniques, à risque constant de se faire violenter, de se faire violer et parfois même de ne plus être, de disparaître, de mourir. Nous avons une responsabilité collective envers ces personnes. Elles font partie de notre société même si trop souvent, nous tentons de les éviter, de les cacher ou de les chasser.

Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, nous voulons mettre fin à cette situation. Des organisations communautaires ainsi que d’autres actrices et acteurs s’unissent dans le but d’acheter un immeuble où logent déjà des gens que nous rencontrons dans le cadre des activités de nos organismes. Cette bâtisse serait dite socialisée. L’objectif n’est pas de transformer cet endroit, mais plutôt d’offrir une meilleure qualité de vie aux résidant-e-s, ce qui veut dire :

Ø s’assurer de rendre l’endroit sécuritaire

Ø s’assurer de rendre l’endroit salubre

Ø s’assurer de respecter le rythme des personnes concernant l’amélioration de leur qualité de vie.

Bien entendu, toutes ces démarches doivent se faire avec les personnes qui y habitent déjà, en respectant ce qu’elles sont et en tenant compte de leurs besoins.

Or, l’appui des instances gouvernementales à ces projets adaptés se fait attendre. Les programmes de financement actuels laissent peu de place à de telles initiatives. Les groupes communautaires comme les nôtres, désireux d’offrir une réponse différente en logement, se heurtent trop souvent à des paramètres rigides, parfois inaccessibles. Pourquoi une solution structurante, telle que celle proposée ici, suscite autant de questions et de réactions? Pourquoi faut-il du courage pour soutenir ce type d’initiative? Laisser ces personnes à la rue n’est pourtant pas une option.

Nos demandes sont claires :

  • un financement approprié
  • un appui des trois paliers de gouvernement
  • de la souplesse dans les programmes
  • la reconnaissance et la confiance en notre capacité d’entreprendre de tels projets.

Nous devons nous mobiliser afin de clamer haut et fort que le logement est un droit. Que toute personne le désirant doit y avoir accès. Que ces droits et les responsabilités qui viennent avec doivent être les mêmes pour toutes et tous. Pour faire une réelle différence en matière de logement, il faut avoir la volonté d’agir et d’innover.

 

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