Un carnet rédigé par Bochra Manaï, directrice générale de Parole d’excluEs et membre du conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés
La pandémie et la vie urbaine sont un mélange explosif, comme nous pouvons le voir chaque jour dans les villes, globales ou ordinaires et les hubs internationaux, devenant des tremplins de la contagion internationale.
Par temps de pandémie, ce sont surtout les territoires qui rassemblent et concentrent des populations vulnérables qui devraient retenir notre attention. Dans ces territoires cumulant certaines vulnérabilités, le « risque systémique[1]» local y est important. Comment s’assurer que les zones les plus densément peuplées ne deviennent pas des foyers de contagion ? Ou que les conditions de salubrité des logements ne deviennent pas des raisons de non-respect du confinement ? Or malgré ces difficultés, multiples, une grande solidarité s’ancre au quotidien.
Par temps de pandémie, cette solidarité s’incarne à toutes les échelles. Au Canada et au Québec, les gouvernements fédéral et provincial ont annoncé des mesures de soutien économiques, sociales, humanitaires et sécuritaires très rapidement. Mais ce sont surtout les citoyen-ne-s qui ont rapidement créé des espaces d’entraide et d’échanges virtuels pour s’appuyer collectivement dans un temps de distanciation sociale et physique.
Certains territoires, plus particulièrement, nous permettent de mesurer les conséquences de nos sociétés inégalitaires autant que le meilleur des relations humaines tissées au gré du temps.
À Montréal-Nord la pandémie ne fait pas qu’inquiéter les citoye-ne-s, ses effets se font déjà sentir très concrètement dans leurs vies. Ils et elles perdent leur emploi ou leurs contrats et rapidement n’ont plus de quoi s’approvisionner. L’anxiété se lit sur les visages de celles et ceux qui n’ont pas accès à la régularité des payroll. L’incertitude économique s’accorde avec les autres formes de vulnérabilités. Si les conditions de santé d’une partie des habitant-e-s, notamment les aîné-e-s, sont particulièrement inquiétantes, ce sont également les conditions d’accès aux ressources alimentaires qui sont inégales.
Bien que l’incertitude gagne du terrain pour de nombreux foyers qui n’ont pas les capacités financières d’un approvisionnement alimentaire ou encore la capacité de mobilité, dans le cas des femmes monoparentales, concentrées géographiquement dans certaines zones paupérisées, les réponses institutionnelles et communautaires sont là. Malgré le contexte difficile, les organisations et concertations du quartier travaillent d’arrache-pied pour établir une réponse adéquate, comme l’illustre la réorganisation de l’offre des banques alimentaires locales, telles que les Fourchettes de l’Espoir.
Par temps de pandémie, les espaces d’entraide se développent en dehors des canaux classiques. C’est là d’ailleurs un signe d’intelligence, de résilience et d’adaptation.
L’humilité des citoyen-ne-s qui osent dire leurs vulnérabilités s’arrime avec la volonté de coopération de toutes celles et tous ceux qui veulent offrir de l’aide. Sur les réseaux sociaux, où les organisations telles que Hoodstock, Parole d’excluEs ou les Accorderies ont saisi l’importance de créer des espaces virtuels, les citoyen-ne-s peuvent briser l’isolement et trouver appui et réponses. La coopération et l’entraide s’y tissent quotidiennement, comme avec ces individus qui rendent service aux personnes aînées, en appelant les résident-e-s grâce au travail du Centre d’action bénévole.
« L’incertitude radicale »[2] est là, partagée par un grand nombre, comme dans le monde entier. Ici plus qu’ailleurs, c’est le tissu social, basé sur l’entraide et sur les formes de solidarité qui permet d’assurer la traversée collective de cette catastrophe hors du commun.
Le slogan de Montréal-Nord « Civium vires civitatis vis », qui signifie «La force d’une ville est faite de la valeur des citoyens» est une illustration de cette communauté, dont les valeurs de partage et d’entraide des citoyens est une condition partagée. Ce slogan s’incarne plus que jamais et nous invoque de ne pas détourner nos yeux.
[1] Pablo Servigne, 2018. Une autre fin du monde est possible. Éditions du Seuil, Collection : Anthropocène
[2] Pablo Servigne, 2018. Une autre fin du monde est possible. Éditions du Seuil, Collection : Anthropocène
Cette tribune permet d’aborder des sujets d’actualité qui sont en lien avec les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les carnets sont rédigés par des militant-e-s des droits humains et n’engagent que leurs auteurs et autrices.