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Jessica Dufresne,
avocate et candidate au doctorat en droit à l’Université d’Ottawa
Les municipalités, souvent péjorativement qualifiées de créatures des provinces dans le cadre de la structure fédérale canadienne, ne sont pas le premier palier de gouvernement auquel on se réfère lorsqu’on songe à la réalisation des droits humains. On constate pourtant qu’elles sont de plus en plus nombreuses à mettre en place différentes initiatives pour intégrer, localement, des normes issues du droit international[1]. Que ce soit en s’autoproclamant Human Rights City[2], en se soumettant à une charte municipale des droits de la personne, ou encore en adoptant des règlements municipaux qui intègrent, en tout ou en partie, des traités de droit international portant sur les droits humains, un nombre croissant de gouvernements locaux, ici comme ailleurs, participe au processus de localisation de ce corpus de droit qui ne leur est traditionnellement pas associé.
Leur implication
L’environnement est le domaine d’action privilégié des municipalités en la matière. Confrontées à plusieurs enjeux liés à sa détérioration, elles n’hésitent plus, en effet, à prendre les devants sur les paliers de gouvernement supérieurs, à qui l’on reproche souvent lenteur et inaction. Plusieurs d’entre elles agissent ainsi à titre de cheffes de file dans la lutte contre les changements climatiques, en s’inspirant notamment du droit à un environnement sain et de ses corollaires[3] et en s’auto-imposant différents impératifs découlant d’un cadre de droits humains. L’objectif est notamment d’instaurer une approche locale de ces droits, de manière ascendante, misant sur une gouvernance participative, démocratique et non discriminatoire, où les décideuses et décideurs sont responsables et rendent des comptes à la communauté en se fondant sur les règles de l’état de droit[4]. C’est une illustration parfaite du principe de subsidiarité, qui signifie que les mesures juridiques devraient être prises par le palier de gouvernement le plus près des objectifs visés et de celles et ceux qui en bénéficient. Les municipalités offrent ainsi un degré de protection de ces droits le plus proche des citoyen-ne-s et le plus ancré dans la réalité et les besoins locaux, recontextualisant les composantes et adaptant les modalités de leur mise en œuvre aux particularités locales[5].
Les idées novatrices des villes
Elles osent également aller plus loin que les gouvernements nationaux dans leurs engagements, mues par la pression citoyenne et le poids des conséquences liées aux changements climatiques qui les frappent de plein fouet : catastrophes naturelles, risques accrus d’inondations, érosion des rives, vagues de chaleur, sécheresses ou encore problèmes de santé publique liés à la mauvaise qualité de l’air. Des municipalités des quatre coins du monde se sont ainsi engagées à réduire leurs émissions de carbone et ont, pour ce faire, usé d’une multitude de stratégies novatrices qu’elles s’échangent au travers de réseaux régionaux et internationaux tels que Cities for Climate Protection program, C40 Cities, ou US Mayors Climate Protection Agreement.
Paris
Parmi les stratégies adoptées, on retrouve notamment la réglementation restrictive des modes de transport urbain adoptée à Paris, par l’interdiction d’automobiles dans plusieurs secteurs et l’ajout massif de pistes cyclables.
Londres
Quant à elle, Londres choisit d’imposer une taxe aux voitures qui ne respectent pas les normes d’émission de CO2 établies, un revenu ensuite réinvesti par la ville dans le transport en commun et actif.
Shenzen
La ville de Shenzen en Chine a pour sa part misé sur l’électrification des sources d’énergie et des transports, devenant notamment la première ville à convertir entièrement son système d’autobus à l’électricité, allant même jusqu’à imposer cette norme aux camions de livraison et aux taxis. On ne compte désormais plus les villes qui ont intégré, dans leur plan d’urbanisme, la création d’espaces verts et une densification accrue pour limiter les dérives liées à l’étalement urbain, ou qui adoptent des règlements contraignant les développeuses et développeurs à opter pour la construction ou la rénovation de bâtiments devant être écoénergétiques[6].
Montréal
Plus près de nous, la ville de Montréal a adopté en 2015 son Plan d’adaptation aux changements climatiques, qui prévoit d’ailleurs plusieurs des mesures mentionnées ci-dessus, en plus d’avoir récemment annoncé, dans le cadre plus vaste de sa stratégie visant à atteindre le seuil Zéro-déchet d’ici 2030, qu’elle interdirait l’utilisation de sacs de plastique partout sur son territoire dès l’an prochain et qu’elle donnerait suite à la consultation publique sur le gaspillage alimentaire tenue plus tôt cette année.
Les accords internationaux en soutien des villes
Le point commun de la plupart des actions et des réseaux mis sur pied par les municipalités est la place prééminente faite aux accords internationaux visant initialement les actions étatiques et auxquels elles se sentent liées, tels que le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris, ainsi que les partenariats établis entre elles et différents organes onusiens[7] qui soutiennent leurs démarches. L’autre particularité des actions locales en matière de changements climatiques repose sur la nouvelle structure de gouvernance adoptée face à ces enjeux. Celle-ci revêt en effet une dimension plus humaine et participative, à la fois permise et exigée par cette échelle d’action, qui requiert davantage d’ouverture et de sensibilité aux vulnérabilités et aux sources d’iniquité engendrées par la transformation des milieux de vie des populations.
Le rôle des gouvernements centraux
Malgré ce dynamisme indéniable du palier local et le potentiel d’action des municipalités tant en matière de lutte contre les changements climatiques que, plus largement, de réalisation des droits humains, il demeure qu’elles ne peuvent agir seules. Les gouvernements centraux, qui sont encore à ce jour ceux qui négocient et ratifient les traités internationaux et qui sont ultimement les seuls liés par ces textes, doivent eux aussi prendre leurs responsabilités afin de minimiser les risques engendrés par les transformations majeures qui pointent à l’horizon. Ils doivent en outre s’ouvrir à la coopération avec le palier local, en commençant par élargir ses compétences ainsi qu’en finançant les actions à cette échelle, notamment à travers divers transferts fiscaux. Néanmoins, il est encourageant de voir qu’à défaut d’actions concrètes de plusieurs gouvernements récalcitrants quant aux efforts à mettre en place pour limiter l’ampleur des catastrophes, les municipalités répondent présentes et talonnent les grands dirigeants et dirigeantes de ce monde, avec la perspective que les municipalités pourraient réussir là où les paliers supérieurs de gouvernement ont échoué [8].
[1] Frate, B., Gouvernements municipaux et droit international des droits de la personne : Une analyse exploratoire de la pratique récente, Thèse de maîtrise en droit, Université d’Ottawa, 2010.
[2] Les Human Rights Cities sont l’une des manifestations les plus concrètes de la théorie des droits humains dans la ville, qui repose sur l’idée de relier le pouvoir et le potentiel des autorités locales avec les obligations en matière de droit international des droits humains. Barbara M. Oomen Introduction : The Promise and Challenges of Human Rights Cities, 2016.
[3] Notamment les droits socio-économiques qui y sont intimement liés tels que le droit à la santé, le droit à l’alimentation, le droit à l’eau, le droit à l’égalité et le droit à l’autodétermination, mais aussi, plus généralement, le droit à la vie et le droit à l’information, entre autres droits civils et politiques.
[4] Graham, E., Gready, P., Hoddy, E. et Pennington, R., Human Rights Practice and the City. A case study, 2016.
[5] Soohoo, C., Human Rights Cities : Challenges and Possibilities, 2016.
[6] Écohabitation, Quand les villes se mobilisent face à l’urgence climatique, 2019 : https://www.ecohabitation.com/guides/3435/de-nombreuses-villes-se-mobilisent-face-a-lurgence-climatique/
[7] Notamment UN-Habitat, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et la Banque mondiale.
[8] Blank, Y., The City and the World, 44 Columbia Journal of Transnational Law, 2005.