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Droits et libertés, automne 2023 / hiver 2024
Eric Pineault, professeur, Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et chercheur associé à la Chaire de recherche UQAM en transition écologique
Quels seraient les contours d’une politique de transition si l’urgence climatique était prise au sérieux par le gouvernement du Québec ? Elle reposerait sur trois piliers. Le premier pilier serait la priorité à l’atteinte, voir au dépassement, des cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES) et de protection de la biodiversité sur le territoire québécois. Nos politiques économiques et énergétiques seraient modelées en fonction de ces deux objectifs. Comme second pilier, il y aurait la participation de la population aux décisions structurantes pour atteindre ces cibles, à partir d’un débat public, vaste, structuré et franc — c’est à dire informé par la science — sur les trajectoires de transition possibles pour le Québec. Ce dialogue social sur les trajectoires de transition devrait également porter sur les changements socio-économiques qu’elles impliquent, ainsi que le type de politique énergétique qui en découle. Finalement, le troisième pilier serait l’accompagnement des communautés locales, villes, villages et municipalités régionales de comtés (MRC), dans la mise en oeuvre de stratégies de résilience socio-écologique et d’adaptation aux changements climatiques1.
Trois piliers
Le premier pilier implique à court terme d’introduire une conditionnalité écologique dans toutes les décisions économiques, énergétiques et écologiques de l’État, incluant ses programmes de subventions1. Compte tenu de l’urgence environnementale, cette conditionnalité doit primer sur les autres considérations. Le second pilier implique d’ouvrir un processus de dialogue social pour prendre en charge la transformation socioécologique de l’économie et de la société québécoise afin que la transition puisse être planifiée démocratiquement. C’est une mesure de moyen à long terme. Le troisième pilier permet aux gouvernements de proximité et aux communautés locales mobilisées d’agir maintenant pour transformer matériellement notre cadre de vie, nos modes de production et d’occupation du territoire. Évidemment, ce n’est pas de cette manière que s’organise la gouvernance de la transition écologique sous la Coalition avenir Québec (CAQ). Bien que ce gouvernement reconnaisse nominalement l’existence d’une urgence climatique, il aborde cette question, comme bien d’autres, avec une approche affairiste. La transition comme occasion d’affaires ? Cela semble résumer en quelques mots l’approche business as usual de la CAQ vis-à-vis des enjeux environnementaux.
Northvolt donne le ton
L’annonce de l’accueil de l’entreprise suédoise Northvolt a donné le ton. D’un côté un investissement public substantiel dans une industrie stratégique pour la transition énergétique, de l’autre une révision des règles qui encadrent le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) afin que ce projet échappe à une évaluation en bonne et due forme de ses impacts environnementaux. L’urgence climatique justifie, semble-t-il, l’état d’exception en matière de politique environnementale, même pour ce qui se présente comme le plus important projet industriel privé de l’histoire du Québec. Pourtant, des enjeux il y en a, particulièrement en matière d’impacts sur la biodiversité et les milieux humides.
Le premier ministre du Québec voit dans l’arrivée de Northvolt, qui produira des batteries pour les constructeurs de véhicules électriques, un premier pas vers un retour de l’industrie de production de l’automobile au Québec. On pourrait dire que la transition écologique à la CAQ se résume à une grande occasion d’affaires.
Notre dotation en hydroélectricité qui, sans être entièrement propre, est au moins renouvelable, sert d’appât à des grandes entreprises multinationales qui ont besoin d’énergie verte pour leurs procédés industriels. L’équipe économique de la CAQ, le ministre de l’Économie et de l’Énergie en premier, se promène d’un Davos à l’autre en promettant à qui veut l’entendre des futurs mégawatts à des prix plus que concurrentiels. Mégawatts que le Québec ne produit pas encore. La publication du plan d’action 2035 par Hydro-Québec confirme cette tendance dans la mesure où il privilégie l’augmentation de la production d’électricité sur la réduction planifiée de la demande et prévoit que le quart de ces nouveaux mégawatts seront destinés à la croissance industrielle.
Une transition pour que rien ne change
Quels sont les éléments de cette politique de transition business as usual ? Elle tient dans les deux éléments qui composent l’expression : « comme d’habitude » et « affaires ». L’aveu par le premier ministre que son souhait ultime est d’attirer un constructeur d’automobiles électriques au Québec en dit long sur sa compréhension des changements à apporter à nos modes de vie, à l’organisation du territoire et aux manières de produire et de consommer dans la transition.
La réponse est simple, on ne change rien, on n’a qu’à électrifier.
La transition est purement technologique, pour paraphraser Naomi Klein, tout va changer, mais rassurez-vous rien ne va changer. Alors que le Québec a déjà été un important producteur de matériel roulant pour le transport collectif, qu’il compte des entreprises engagées dans la production d’autobus électriques et de camions électriques, le premier ministre rêve d’une usine capable de produire des VUS made in Québec. En attendant, on peut être fier de fournir des batteries à l’usine du Michigan qui produit les E-Hummer.
Le plan d’action d’Hydro-Québec pour 2035 est de la même trempe. Bien qu’Hydro augmente ses ambitions en efficacité énergétique, le plan ne fait pas de la réduction de la demande en énergie une pierre d’assise de sa stratégie. Il incarne ainsi dans la vision du gouvernement qu’il sera possible de tout décarboner ou presque en électrifiant et qu’il y en aura, en plus, pour les nouveaux projets industriels. Résultat, il faut prévoir ajouter de 8 000 à 9 000 mégawatts de plus d’ici 2035 en construisant de nouveaux grands complexes hydroélectriques dans le Nord et en tapissant le sud du Québec d’éoliennes. Et, même au terme de cet effort, on ne sera pas assez avancé dans la décarbonation. Le Québec continuera de brûler du gaz pour chauffer les bâtiments en période de pointe et on nous fait miroiter la possibilité de redémarrer la production d’énergie nucléaire.
Alors qu’ailleurs la transition énergétique s’inscrit dans un vaste débat public impliquant la production et la discussion d’une gamme de scénarios alternatifs, ici le gouvernement continue de défendre les infrastructures de l’automobilité telles que le 3e lien et de faire l’apologie de l’étalement urbain.
Duplessisme énergétique
Affaires est le deuxième terme de notre expression. La transition réduite à sa plus simple itération — le développement de technologies qui mobilisent de l’électricité — c’est, aux yeux de la CAQ, autant de projets d’investissements privés. Le modèle de développement est bien rodé depuis les années 1950 : accueil de grandes entreprises industrielles étrangères à l’affut d’intrants à bas prix, environnement règlementaire allégé et prévisible, allégements fiscaux. Il fut un temps où c’était la main d’oeuvre et le minerai de fer, aujourd’hui les multinationales viennent chercher de l’énergie verte sous son coût marginal de production. Le tissu industriel du Québec et son système énergétique deviennent ainsi un point nodal, une étape, dans une longue chaine de valeur dont l’amont et l’aval nous échappent presque entièrement.
Plutôt qu’un développement économique et industriel qui répond aux besoins de transition du Québec, celui-ci est largement organisé par des forces économiques externes et globales que le gouvernement se presse d’accommoder. La confusion est ainsi entretenue entre un soutien aux entreprises qui interviennent dans les technologies nécessaires à la décarbonation et la planification d’une transition viable au Québec. Est-ce que les batteries de Northvolt vont servir aux fabricants de véhicules de transport collectif au Québec ? Nul ne le sait. Quelle est la proportion de matériaux et de services que Northvolt va acheter aux PME québécoises ? Nul ne le sait. « Nous avons confiance dans le marché » nous répète le premier ministre, et c’est pourquoi la subvention de 2,9 milliards à l’entreprise vient sans obligation d’achat local.
En fin de compte, ce n’est pas tant l’urgence climatique qui définit l’état d’exception justifiant la suspension de nos règles, mais plutôt l’urgence d’une occasion d’affaires à ne pas rater.
1. En ligne : https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2023/10/cr-2023-17_contreparties_vf.pdf